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L’objectif avait été affirmé, réaffirmé, confirmé. Il est désormais atteint, et avec la manière. En battant largement l’Islande (5-2) au Stade de France, dimanche 3 juillet, l’équipe de France a atteint les demi-finales de «son» Euro. C’est le minimum que lui avait fixé à plusieurs reprises le président de la FFF, Noël Le Graët. Une ambition logique quand on considère que toutes les nations majeures du football européen (l’Allemagne 1988, l’Angleterre 1996, les Pays-Bas 2000, le Portugal 2004…) avaient elles aussi au moins atteint les demi-finales de «leur» Euro.
Objectif atteint, donc. Euro réussi? On ne sera pas aussi affirmatif pour l’instant. Même tempéré par une deuxième mi-temps poussive, ce carton face à l'Islande est de ceux qui poussent aux superlatifs et à la recherche de précédents glorieux. La France est par exemple la première équipe à inscrire autant de buts dans un match à élimination directe de l'Euro depuis les Pays-Bas contre la Yougoslavie, au même stade de la compétition en 2000 (6-1). Le problème, c'est que les Néerlandais étaient sortis au tour suivant, assassinés par leur manque d'efficacité offensive (deux penaltys ratés) et un délicieux cucchiaio de Totti.
Dernière fois que la France a marqué 2 buts en 1re MT dans un match à élimination directe ? France-Espagne, 1/4 de finale de l'Euro 2000.
— Laurent Vergne (@LaurentVergne) 3 juillet 2016
One more goal and France match Netherlands' record for biggest Euros win, 6-1 v Serbia in Euro 2000 quarter-final.
— Miguel Delaney (@MiguelDelaney) 3 juillet 2016
L'entre-deux de 2014
Dans une compétition à élimination directe, ce n'est pas la descente qui compte, c'est l'atterrissage, et c'est pour cela qu'il n'est pas exclu que, dans une semaine, ce Portugal que tout le monde moque, avec son incapacité à gagner un match dans le temps réglementaire, et cette France que tout le monde va vanter tirent une tête complètement inverse.
En 2014 déjà, la France faisait partie, avec l’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas, des quatre meilleures équipes européennes, lors de la Coupe du monde au Brésil. En 2014 déjà, elle avait alterné entre moments de fébrilité défensive et emballements offensifs (huit buts en deux matchs pour ouvrir le tournoi). En 2014 déjà, elle avait bouclé son premier tour sur un pauvre 0-0 puis s’était sortie d’un match couperet piégé contre le Nigéria, qui l'avait autant remuée que l'Irlande cette année à Lyon. Aujourd’hui, si personne n’ira qualifier cette Coupe du monde de ratée, il sera difficile de dire unanimement qu’elle a été réussie. La faute à l’atterrissage, sous le soleil de plomb du Maracana, contre l’Allemagne en quarts de finale, cette même Allemagne que les Bleus retrouveront en demi-finale à Marseille jeudi, cette même Allemagne contre laquelle ils attendent une victoire en match officiel depuis près de soixante ans.
Ce jour-là, les Bleus avaient été battus; pire, ils avaient été frustrés. Victimes du sentiment d'être passés à la fois si loin, eux qui avaient couru derrière le score pendant soixante-quinze minutes, et si près, à cause de la main ferme de Manuel Neuer. En nous laissant sur cette impression d'entre-deux, ils avaient fait mentir la théorie du tout ou rien de l'époque 1998-2010 qu'avait présentée, en rigolant, un site américain avant la compétition: «Héros nationaux, profondément gênants, ZINEDINE ZIDANE DONNANT UN COUP DE TÊTE À MARCO MATERAZZI EN FINALE DE LA COUPE DU MONDE, guerre civile à petite échelle.»
Brouillard de bruine
Pour l’instant, ce tournoi des Bleus laisse un peu la même impression, au bémol près qu'ils ont déjà prouvé cette année qu'ils savaient renverser une situation défavorable. Une sensation, non pas de chance, comme cela a été beaucoup (et faussement) écrit, mais de flou, à l'image du brouillard de bruine qui planait sur le Stade de France ce dimanche soir. De jolie irrégularité, entre les victoires dans le money time et les trous d'air défensifs, entre l'heure de peur contre l'Irlande et une soirée islandaise où ils n'auront jamais tremblé. C'est une équipe à réaction où à chaque match, les punis ou les critiqués de la veille (Giroud, Griezmann, Matuidi, Pogba...) viennent rectifier le tir. Cette drôle d'impression d'un tournoi Bleu qui avance au ralenti, en léger décalage, dont on attend avec impatience qu'il s'emballe enfin et nous emballe totalement, est accentuée par la façon dont le tirage au sort et, surtout, l'organisation du tournoi, ont épargné les Français, leur garantissant un tableau où ils étaient sûrs de ne pas affronter un premier de groupe avant les demi-finales et leur aménageant une semaine entre leurs derniers matchs.
Ce premier de groupe, ils l'ont désormais face à eux, et dans quatre jours seulement: l'Allemagne. Une demi-finale face à la Mannschaft, après les précédents douloureux de 1982 et 1986, va charger le match d'une puissance nostalgique, déjà présente en 2014. Les retrouvailles des deux équipes, sept mois après la tragique soirée du 13-Novembre, vont donner aussi un parfum commémoratif à la rencontre. Vivement qu'on revienne au présent: ce qu'on demandera à l'équipe de France pour enfin laisser la sensation d'un Euro réussi, ce n'est pas forcément de gagner (demandez aux Anglais, qui ont célébré cette année avec nostalgie les vingt ans d'un Euro à domicile que les Allemands sont venus leur chiper sous le nez, ce qu'ils en pensent), c'est de jouer un grand match, un vrai choc contre une nation majeure du football. Obligation de moyens, pas de résultats. À ces Bleus d'afficher une vraie personnalité, eux dont Libération écrivait il y a deux ans, après le revers de Rio, qu'ils n'avaient «pas fait preuve d’une grande personnalité dans l’épreuve», et de nous offrir le grand moment attendu désormais depuis dix ans et le départ à la retraite de la génération Zidane.