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Après l'échec anglais, l'inquiétante chasse au bouc émissaire Sterling

De nombreux journalistes sportifs montent au créneau pour défendre le jeune milieu de terrain de Manchester City, cible de la presse tabloïd.

Raheem Sterling lors de l'élimination de l'Angleterre face à l'Islande. PAUL ELLIS / AFP.
Raheem Sterling lors de l'élimination de l'Angleterre face à l'Islande. PAUL ELLIS / AFP.

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À chaque fois qu'elle est éliminée d'un grand tournoi de football, l'Angleterre, sortie sans gloire en huitièmes de finale par l'Islande à Nice (1-2), se cherche un bouc émissaire, et l'année 2016 ne fait pas exception à la règle. Après cet Euro en France, celui de la sélection aux Trois Lions s'appelle Raheem Sterling, et le pilonnage de la presse populaire envers lui s'avère tellement glauque que de nombreux journalistes sportifs sont montés au créneau pour le défendre outre-Manche.

Le milieu de terrain de Manchester City a fait l'objet de critiques sportives logiques vu la faiblesse de ses performances (dans les colonnes de notre partenaire L'Equipe, Joey Barton le jugeait, avant le match contre l'Islande, «mauvais depuis deux ans maintenant») mais c'est à un véritable pilonnage sur sa vie personnelle que s'est livré la presse tabloïd. Des attaques symbolisées par cette une du Sun montrant des images d'une maison de luxe exhibées par le joueur sur son compte Snapchat (pas la sienne, mais celle qu'il a achetée pour sa mère) sous le surtitre «Sterling touche à nouveau le fond» (un jeu de mots sur les tracas de la livre sterling depuis le référendum sur la sortie de l'Union européenne).

Le quotidien a même utilisé une photo du joueur pour illustrer un article sur un joueur semi-pro devenu dealer de drogue. Le Daily Mail, l'autre gros tabloïd britannique, s'est livré aux mêmes attaques.

«Voici la dernière étape d'une campagne visant à victimiser un jeune footballeur anglais qui n'a –et nous ne pouvons pas répéter ces quelques mots suffisamment ou assez fort– rien fait de mal. Un joueur de 21 ans a du mal à affronter la pression sur la scène internationale? Faisons-en un bouc émissaire et regardons si cela aide», s'indigne la version britannique du site Football365. «Sterling est riche, il a confiance en lui et il vient juste d'échouer à se montrer performant pour l'Angleterre, mais rien de tout cela n'est un crime, ni ne mérite une éviscération en public», écrit The Independent.

Le site Sport360° rappelle lui que Sterling, déjà critiqué pour son départ de Liverpool à City ou son refus de jouer un amical en 2014 (le «Tired-gate») est la dernière victime d'une liste qui a compté avant lui, notamment, David Beckham après son expulsion en huitièmes de finale de la Coupe du monde 1998 en France, et cite les propos de Sven-Goran Eriksson après un autre carton rouge, celui essuyé par Rooney en quarts de finale du Mondial 2006: «Wayne Rooney est le golden boy du football anglais. Ne le tuez pas car vous aurez besoin de lui.»

Plusieurs journaux voient aussi dans l'acharnement autour de Raheem Sterling quelque chose d'autre, de plus grave, que des attaques sur un style de vie bling-bling, dans un pays dont les stars noires (John Barnes, Ian Wright...) ont régulièrement été victimes de comportement racistes. Un reflet, souligne le site américain Slate.com, des malaises autour de l'identité anglaise, pas seulement liés au débat sur le Brexit mais aussi au passé colonial du pays —Sterling est d'origine jamaïcaine. Le Guardian esquisse ce débat avec énormément de prudence:

«Je n'ai aucun doute que cela n'est pas délibérément à visée "raciste". Ce n'est pas aussi extrême. Mais si j'éprouve à certain malaise face au ton et au caractère [de ces critiques, ndlr], je ne dois pas être le seul. À son meilleur, le football rassemble les gens, dissout les divisions, suggère un genre d'idéal méritocratique. Ce n'est pas le football à son meilleur.»

Les interrogations sont les mêmes du côté d'ESPN:

«Une bonne partie de la colère envers Sterling trouve ses racines dans l'envie, avec une composante malsaine de ressentiment racial et de classe pour compléter le tout. [...] Sterling, avec ses racines jamaïcaines, est le sujet d'une hostilité encore plus forte des personnes intolérantes. C'est décevant. Sa mère a tout fait pour s'assurer que son fils ne tombe pas entre de mauvaises mains, surtout après le meurtre de son père en Jamaïque. La carrière de ce jeune joueur devrait être vue comme un triomphe sur l'adversité et au lieu de cela, il est devenu le symbole de tout ce qui ne va pas dans le jeu anglais.»

Carl Anka, journaliste pour le site lifestyle Joe.co.uk, se montre plus direct en estimant que, dans cette affaire, se retrouvent tous les stéréotypes attribués aux joueurs noirs et aux noirs en général:

«Nous sommes difficiles et arrogants et irrespectueux envers l'autorité. Nous portons des chaussures flashy. Nous sommes amis avec des rappeurs. [...] Nous fanfaronnons. Nous nous la racontons. Nous disparaissons pendant la saison hivernale car "nous ne sommes pas bâtis pour cela", comme si la Grande-Bretagne était la seule nation à connaître un peu de froid et d'humidité. Et la façon nous dont dépensons! L'argent gagné par les sportifs noirs est toujours mentionné. Regardez ces noirs, comment ils dépensent de l'argent. Votre argent. L'argent durement gagné par les fans.»

Puis conclut:

«Nous devons débattre de Raheem Sterling, qui pourrait un jour s'avérer un des plus gros talents d'Europe. Juste, pas de cette façon.»

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