Égalités

«Le féminisme traite mal les hommes. Et c’est mauvais pour le féminisme»

Les féministes seraient-elles devenues «anti-hommes»? se demande une essayiste américaine. Qui pointe des propos outranciers... avec des arguments bancals.

<a href="https://www.flickr.com/photos/royblumenthal/14719605489/">«Nombre de féministes franchissent la ligne rouge en transformant leurs attaques contre le sexisme en attaques contre les hommes eux-mêmes»</a> | Roy Blumenthal via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/">License by</a>
«Nombre de féministes franchissent la ligne rouge en transformant leurs attaques contre le sexisme en attaques contre les hommes eux-mêmes» | Roy Blumenthal via Flickr CC License by

Temps de lecture: 4 minutes - Repéré sur Washington Post

Le féminisme va-t-il trop loin et serait-il devenu anti-hommes? C’est ce que déplore l’éditorialiste et essayiste Cathy Young, dans un post de blog intitulé «Le féminisme traite mal les hommes. Et c’est mauvais pour le féminisme», qui était l’un des sujets les plus lus ce vendredi 1er juillet sur le Washington Post. Un article qui pointe judicieusement certaines dérives du féminisme, mais occulte une partie du problème.

Commençons par en lire les arguments:

«Le féminisme, selon ses principaux défenseurs, est la défense de l’égalité. Le qualifier de haine des hommes est une insulte ou un malentendu. Et pourtant, nombre de féministes franchissent la ligne rouge en transformant leurs attaques contre le sexisme en attaques contre les hommes eux-mêmes, en braquant les projecteurs sur les comportements: la manière dont ils s’expriment, dont ils envisagent les relations amoureuses, et même la façon qu’ils ont de s’asseoir dans les transports publics.

 

Les défauts des hommes sont transformés en accusations générales; et contester ces accusations est regardé comme un signe de complicité. Et, si on faisait la même chose avec les femmes, on considérerait pourtant cela comme grossièrement misogyne.»

La «misandrie ironique» défendue par certaines féministes comme Clementine Ford devient parfois de la misandrie tout court, fait également remarquer dans son billet Cathy Young.

 

L’essayiste, qui se revendique antisexiste mais aime visiblement s’en prendre au féminisme et s’est érigée en défenseuse des hommes, pointe des déclarations de féministes ou qui se revendiquent comme telles qui, en effet, interrogent. L’une des porte-parole de la nouvelle génération de féministes britanniques, l’écrivaine Laurie Penny, contributrice régulière du Guardian, écrit par exemple dans le New Statesman (un hebdomadaire britannique de gauche) qu’il est «sans doute préférable de rester célibataire». «Ce n’est pas juste OK ou supportable. C’est vraiment mieux», écrit Laurie Penny.

Diversion

Ces attaques, écrit l’éditorialiste, ont plusieurs fâcheuses conséquences. Elles sont contre-productives parce qu’elles irritent des hommes qui auraient pu être de véritables alliés du féminisme, en les détournant de la cause. Elles encouragent le vote Trump (il suffit, dit-elle, d’écouter l’un de ses partisans, qui se dit pourtant «féministe», déclarer qu’il voterait en faveur du millionnaire notamment parce qu’il en a marre qu’on lui jette l’opprobre en raison de son «identité d’homme blanc»). Et, surtout, elles font diversion avec les vrais problèmes du féminisme, comme l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, argue-t-elle.

Selon l’auteure, cette diversion trouve son origine dans le féminisme des années 1970, qui a fait du privé une affaire politique, selon le slogan en vigueur à l’époque «Le privé est politique», focalisant alors ses attaques non plus seulement sur les institutions mais aussi sur les individus eux-mêmes. Et cette tendance atteint aujourd’hui un summum avec les réseaux sociaux, affirme Cathy Young, qui ne craint pas de conforter Eric Zemmour, celui qui dénonce dans Le premier sexe la «castration» des mâles dans une société dévirilisée.

Culture machiste

Tentons maintenant de répondre à ce blog. Il n’est pas impossible –mais il faudrait le prouver– qu’une partie du mouvement féministe se soit éloigné de certaines luttes fondamentales. Et, dans ce cas, il ne faut pas citer seulement l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, un thème essentiellement tracté par les femmes cadres les mieux placées dans la hiérarchie. Des observateurs de longue date, qui sont de clairs alliés de la cause, comme la philosophe Nancy Frazer, déplorent aussi aujourd’hui une certaine diversion d’un autre genre, constatant que les luttes antiracistes et féministes ont déserté la critique en profondeur du système, plus précisément la critique du néolibéralisme.

Mais on peut objecter à ce texte que, si les féministes ont pointé dans les années 1970 le lien entre le privé et le public, c’est parce qu’il existe effectivement un lien. Et qu’en s’attaquant aussi à des comportements et pas seulement à des institutions, les féministes s’attaquent aussi à une véritable «culture» machiste, qui est à la racine des atteintes aux droits et aux personnes.

En s’attaquant à des comportements et pas seulement à des institutions, les féministes s’attaquent aussi à une véritable «culture» machiste, qui est à la racine des atteintes aux droits et aux personnes

Nul n’est besoin de généraliser à propos du «manspreading» –le fait de s’étaler en écartant les jambes dans les transports en commun ou ailleurs– mais difficile de nier que, dans l’état actuel de la société et des mœurs, ce comportement est presque entièrement masculin et qu’il engendre chez les femmes qui le subissent un sentiment d’infériorité nuisible à leur confiance en elles-mêmes et même nuisible à leur corps.

 

La faute des réseaux sociaux?

Évidemment, si la dénonciation de ces comportements devaient prendre complètement la place de la lutte pour des droits égaux ou pour l’effectivité de ces droits –par exemple la lutte contre les discriminations au travail–, le féminisme manquerait certainement son but. Mais est-ce vraiment ce qui est en train de se produire? Cathy Young ne donne-t-elle pas plus d’importance à ces sujets qu’ils n’en ont réellement?

Et si leur écho médiatique était réellement plus fort que celui des autres sujets, peut-on réellement blâmer les féministes pour cela? Ou n’est-ce pas plutôt l’attention médiatique elle-même qui s’est largement focalisée ces dernières années sur ces luttes complémentaires, et non centrales, parce qu’elles sont tout simplement plus faciles à comprendre et donc moins rébarbatives pour les lecteurs (et peut-être aussi moins subversives…) que le discours sur les droits et l’égalité professionnelle?

À vrai dire, les réseaux sociaux offrent une caisse de résonance exacerbée à tout un tas de sujets secondaires et d’opinions minoritaires, et pas que pour ce qui concerne le féminisme. Et comment ne pas s’en réjouir? Faut-il vaiment préférer l’époque où seules dominaient les informations classiques? En politique aussi, on n’aurait sans doute jamais écrit il y a trente ans des dizaines d’articles sur Alain Juppé dansant dans une maison de retraite. Mais ce n’est pas la faute des hommes et femmes politiques. Et ce n’est pas la faute des féministes si leurs principales revendications ne sont pas toujours écoutées.

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