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Terrorisme: les «cibles vulnérables» ne sont plus les avions mais les aéroports

Les attentats de Bruxelles et d’Istanbul ont tous deux eu lieu à l’entrée d’un aéroport. Au fil des années, les attaques terroristes se situent de plus en plus dans ce type de lieux publics, au cœur desquels les forces de sécurité semblent impuissantes.

ALAIN JOCARD / AFP
ALAIN JOCARD / AFP

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Mise à jour 18/03/2017: Le samedi 18 mars à l'aéroport d'Orly, un homme a été abattu après avoir dérobé l'arme d'un militaire.

Panique à Orly, ce samedi 18 mars. Le terminal sud de l'aéroport a été bouclé et les voyageurs évacués, relate Le Parisien, après un grave incident survenu tôt dans la mâtinée. Selon le ministère de l'Intérieur, un homme a été abattu après avoir dérobé l'arme d'un militaire sentinelle. Pour l'heure, sa motivation reste inconnue. Le deuxième terminal a lui aussi été évacué. Le ministère de l'Intérieur demande ne pas se rendre à l'aéroport tant ques les opérations sont en cours. L'opération déminage terminée, aucun explosif n'a été retrouvé.

Toujours dans la mâtinée, une policière était blessée par balle lors d'un contrôle routier. Selon Bruno Le Roux, l'homme abattu à Orly était l'auteur du coup de feu. La section antiterroriste du parquet de Paris se saisit des faits. D'après Franceinfo, l'homme abattu avait fait l’objet d’une perquisition administrative pour suspicion de radicalisation. 

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Quelques mois plus tôt; le 28 juin 2016, un triple attentat-suicide visait l’aéroport international Atatürk d’Istanbul. Le gouvernement turc, qui a esquissé la piste d’une responsabilité de l’organisation État islamique, a précisé que trois assaillant avaient mitraillé la foule à l’entrée du terminal des vols internationaux avant de se faire exploser face à la riposte de la police, vers 22 heures. Selon un bilan provisoire, daté du lendemain après-midi, l’attaque a provoqué la mort de 41 personnes et fait 239 blessés.

Ce drame relance le débat sur la sécurité de ce type de lieu qu’on qualifie de «cible facile» ou «cible vulnérable» (soft target), au même titre que les bus, les trains, les métros, les hôpitaux, les écoles, les centres commerciaux ou encore les restaurants. Tous ces espaces, en bref, où un petit groupe de personnes peut s’introduire facilement, et semer des dégâts mortels à grande échelle. Les autorités du monde entier se savent vulnérables face à ce types d’attaques, malgré le durcissement des dispositifs depuis quarante ans (voir notre infographie à ce sujet). L’époque où des buildings et des ambassades étaient visés ou des avions détournés semble disparaître progressivement.

«Nous sommes face à un adversaire qui sait s’adapter et qui continue à bouger et réagir à ce que le gouvernement met en place ici aux États Unis», observe auprès de la chaîne CNBC Jayson Ahern, le responsable du Chertoff Group, une entreprise de conseil en sécurité. «Si vous avez un terroriste déterminé qui prêt à sacrifier sa vie… c’est quasi impossible de l’en empêcher systématiquement», concède à NBC News John Pistole, l’ancien patron de la Transportation Security Administration (TSA), l’agence nationale américaine de sécurité dans les transports, créée après les événements du 11 septembre 2001.

La menace ne faiblit pas, elle se déplace

Le renforcement de la surveillance au niveau de l’embarquement a déplacé le problème. Désormais, les attaques ont aussi lieu avant cette «zone de sûreté», où s’installent d’ailleurs de plus en plus de magasins. «Dans les centres commerciaux, au restaurant –partout. L’idée est de nous faire croire que nous allons toujours être menacés par un danger si grave et imminent que cela nous obligerait à arrêter ce que nous faisons et à faire d’autres nos choix et à changer notre mode de vie», déclarait le secrétaire d’État américain, John Kerry après les attentats du 13 novembre à Paris, qui ont frappé les abords du Stade de France, le Bataclan et des terrasses de restaurant. Ce constat s’applique aussi aux explosions survenus à l’aéroport de Bruxelles le 22 mars 2016 ou, de l’autre côté de l’Atlantique, aux tueries dans la boîte gay d’Orlando et dans un centre social du comté de San Bernardino.

Après les attentats de Bruxelles, la sécurité a été renforcée dans un grand nombre d’aéroports, que ce soit en Belgique, aux États-Unis, en Égypte ou encore au Maroc. En France, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve a annoncé le jour même des renforts immédiats de 1.600 personnes, dont 150 sur les plateformes d’Orly et Roissy –policiers, militaires, gendarmes, personnels d’Aéroports-de-Paris (ADP), agents de sécurité– et 120 hommes à l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry.

Dans les aéroports israéliens, on dénombre au total onze contrôles avant l’embarquement, en plus des patrouilles d’agents en civil

Selon le criminologue Alain Bauer, contacté par Slate en mars 2016 après les attentats dans la capitale belge, la globalisation de la planète favorise cette surenchère sécuritaire. «Le débat est assez simple et guère nouveau depuis Sun Tzu [auteur de L’Art de la guerre] et Vauban. Le concept de périphérie-périmétrie-compartimentage est au coeur de la prévention des risques et de la sécurisation des sites depuis les années 1970. Nous sommes passés d’une époque où les aéroports étaient difficiles d’accès à une logique de tourisme de masse, d’interconnexion, d’ouverture sur la ville et d’effacement des frontières. Revenir en arrière sera très compliqué

 

Entre facteur humain et arsenal technologique

Si ces mesures sécuritaires visent à rassurer les usagers, les aéroports européens ont besoin, selon certains, d’une refonte totale. C’est ce que pense Shlomo Hornoy, le directeur du département de la sécurité aéroportuaire pour les services secrets intérieurs israéliens (Shin Bet) jusqu’en 2003. «Aujourd’hui, en Europe, on dépense des milliards dans la technologie, mais tout le monde oublie le facteur humain», confie au Monde l’ancien responsable israélien, pour qui les Européens «pensent encore comme au siècle dernier en termes de sécurité».

La méthode israélienne est souvent évoquée comme modèle à suivre. Même si très contraignante, coûteuse et procédurale. Le premier contrôle des bagages et des passagers a lieu trois kilomètres avant d’arriver à l’aéroport. Chaque voyageur est ensuite soumis, aux guichets, à un interrogatoire de profilage par les services des renseignements. On dénombre au total onze contrôles avant l’embarquement, en plus des patrouilles d’agents en civil.

Là-bas, les agents de sécurité sont en constant mouvement et en dialogue permanent avec les usagers. «Au lieu d’avoir des gardes passifs qui ne bougent pas, conseille au micro de la CNBC William Braniff, le chef du Consortium national des études sur le terrorisme et les réponses au terrorisme. Ils devraient plutôt «engager le conversation, et tourner autour d’une salle de sport, à l’extérieur d’un centre commercial et coopérer avec les gens. En faisant cela, on n’est pas rebutants,on n’est pas menaçants». Il mise sur l’intelligence collective et le fait d’être proactif. 

«Rien qu’en discutant, on peut savoir beaucoup d’une personne. Découvrir s’il a un accent en hébreu ou s’il est stressé», observe dans Le Monde le professeur Efraim Inbar, directeur du BESA, un centre de recherche situé en banlieue de Tel-Aviv, tout en admettant l’aspect discriminatoire de ces techniques.

L’Union européenne planche sur une autre option, mise en place en Russie. Depuis l’attentat à l’aéroport Demodedova de Moscou en 2011, l’accès au hall d’embarquement est interdit aux accompagnateurs tandis que des portiques de sécurité sont installés à l’entrée et à la sortie de chaque aéroport. À l’heure actuelle, en Europe, un seul contrôle est effectué juste avant l’embarquement. «On ne peut pas instaurer les mêmes mesures dans tous les aéroports européens qui sont de taille différente, explique un fonctionnaire au Temps. C’est pourquoi les États sont les mieux placés pour adapter les équipements et le personnel.»

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