Monde / Économie

Et si la réponse au Brexit passait par le grand large?

L'avenir de la coopération entre l'Union européenne, dont la France, et le Royaume-Uni nécessite de regarder attentivement vers la mer.

François Hollande lors d'un exercice naval sur la Méditerranée, en juillet 2015. JEAN-PAUL PELISSIER / POOL / AFP.
François Hollande lors d'un exercice naval sur la Méditerranée, en juillet 2015. JEAN-PAUL PELISSIER / POOL / AFP.

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L’onde de choc provoquée par la victoire du camp du «Leave» rejaillit sur l’ensemble du processus de construction européenne. Elle ouvre une période d’incertitudes politiques, diplomatiques, institutionnelles et économiques. L’alternative entre l’Europe et le «Grand Large», présentée par Churchill, a basculé en faveur de ce dernier. Le Brexit fait du Royaume-Uni un laboratoire de la déconstruction européenne et de ses conséquences économiques et financières (avec pour enjeu la position internationale de la City), géopolitiques (risques sécessionnistes en Ecosse et en Irlande, craintes d’un effet domino en Espagne) ou politiques (reconfigurations des institutions européennes).

Parmi ces différentes questions, celle de la reconstruction des liens entre l’UE et le Royaume-Uni après le divorce est déterminante et devient une urgente nécessité. Le tropisme anglais pour une Europe désunie est connu: contrer toute tentative hégémonique sur le continent et garder le contrôle sur les espaces maritimes sont deux constantes de la politique anglaise depuis près d’un demi-millénaire.

Si certains partisans du Brexit ont prétendu troquer un supposé provincialisme européen contre une vision globale, force est de constater que le Grand large n’attend plus autant le Royaume-Uni que par le passé. Beaucoup de partenaires traditionnels, issus du Commonwealth et d’ailleurs, sont plus intéressés par le marché unique européen que par la seule Angleterre. Les Canadiens, les Australiens ou encore les Néo-Zélandais préféraient un Royaume-Uni présent à Bruxelles et dans les institutions qu’à l’extérieur. Le Royaume-Uni arrivera probablement à tenir son rang sur le plan économique, mais ne fera pas autant recettes auprès de ses anciens partenaires.

Des Européens divisés

L’attitude à adapter vis-à-vis de la défection britannique divise les Européens, opposant les partisans d’une ligne dure aux partisans d’un apaisement. La ligne dure cherche avant tout à prévenir le risque d’une déstabilisation des institutions européennes, qui souhaitent hâter le calendrier et commencer sans attendre d’entamer les procédures de divorce. L’autre ligne accorde une importance plus grande à la complémentarité, à l’interdépendance et au besoin de stabilité des économies.

Des tensions apparaîtront inévitablement entre les partisans des deux lignes, le Parlement et la Commission, et quelques Etats membres comme la France se trouveront plutôt parmi les partisans de la ligne dure. A l’inverse, la chancelière allemande souhaite avoir une approche plus prudente dans la reconfiguration des relations, tout comme Donald Tusk et d’autres Etats-membres qui pouvaient se sentir proches des positions britanniques sur de nombreux sujets, comme la Pologne.

Dans la situation actuelle, et au vu des dangers qui guettent les Européens, il conviendra de trouver de nouveaux projets mobilisateurs, notamment au plan stratégique. La gestion des voisinages, à l’Est comme au Sud, afin de stabiliser ces régions en proie à différentes menaces et tensions, constitue un projet important, dans lequel le Royaume-Uni a toute sa place au Sud, en Méditerranée, au Moyen-Orient et ailleurs. Quant à l’Est, David Cameron avait fait, avant le vote, de Vladimir Poutine le seul vainqueur éventuel du Brexit; les spéculations sur la politique européenne de la Russie d’une UE sans le Royaume-Uni vont bon train. Ce projet ne semble toutefois pas emporter l’adhésion, puisque le Brexit n’améliorera pas les coopérations déjà existantes en la matière ou la capacité de coopération sur ces domaines.

Intérêt militaire et économique

Il semble donc raisonnable de renverser la logique: si les Britanniques ne veulent plus être des acteurs de l’intégration européenne, sans pour autant totalement tourner le dos aux affaires européennes, alors peut-être est-ce le moment pour les acteurs européens de prendre véritablement en compte les enjeux maritimes. Les Européens, et plus particulièrement la France et ses immenses zones économiques exclusives, ont probablement beaucoup à partager avec les Britanniques sur ce sujet. C’est sans doute vrai sur le plan de la sécurité et de la défense, en ne se limitant pas à la Méditerranée et à la crise des migrants; après tout, rétive à toute forme de constitution d’une armée européenne, Londres avait accepté de participer à la mission européenne Atalante, dont l’objet consiste à lutter contre la piraterie au large de l’Afrique. Peut-être en sera-t-il de même en ce qui concerne la récente proposition de Jean-Yves Le Drian, qui souhaite mettre en œuvre des patrouilles navales coordonnées des Etats-membres de l’UE en mer de Chine méridionale, pour assurer une présence «régulière et visible» dans ces eaux actuellement très disputées.

Au-delà même des seules questions de défense, la France pourrait miser plus largement sur le potentiel de la mer, en matière d’énergie (exploitation de nouvelles ressources ou développement des énergies marines renouvelables), de santé, de surveillance maritime, de biotechnologie ou de production alimentaire; associer Londres à ces développements dans un cadre européen serait pour Paris et pour Bruxelles un grand atout.

Aussi paradoxale que la situation puisse paraître, le Grand Large ouvrira peut-être précisément une nouvelle page des relations entre le Royaume-Uni et les Européens, dans un champ de jeu à l’échelle mondiale.

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