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Afghanistan: pièges et dangers d'un deuxième tour (MàJ)

La question de la démocratie n'est pas la première préoccupation des Afghans mais celle des occidentaux.

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Sans surprise, les talibans ont appelé samedi au boycotter du second tour de l'élection présidentielle afghane prévu le 7 novembre, ordonnant aux «moudjahidines» de s'en prendre à ce «processus américain». Dans un communiqué, les responsables des combattants islamistes indiquent qu'ils lanceront «des opérations contre l'ennemi et empêcheront la population de participer» au vote : quiconque osera voter «sera tenu pour responsable de ses actions».

Les talibans avaient déjà appelé à boycotter le premier tour du 20 août, qualifié d'«imposture orchestrée par les Américains», et menacé de représailles tout électeur qui se rendrait aux urnes.

L'analyse de Françoise Chipaux sur le fiasco annoncé...

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Comment remettre l'Afghanistan sur les rails? L'incroyable fiasco du premier tour de l'élection présidentielle a souligné l'ampleur de ce qui reste à faire pour avoir à Kaboul un «partenaire crédible». Après d'énormes pressions, les Etats-Unis ont réussi à faire accepter au président Hamid Karzai que sa victoire n'était pas acquise. Mais rien ne garantit qu'un deuxième tour organisé en moins de trois semaines soit plus libre et honnête que le premier.

En poussant pour un deuxième tour très risqué, la communauté internationale cherche avant tout à garder le soutien des opinions publiques occidentales qui se demandent de plus en plus pourquoi leurs soldats meurent en Afghanistan. Les Afghans pour leur part ont déjà montré, avec un taux de participation qui ne dépasserait pas un tiers des inscrits au premier tour, leur désenchantement vis à vis d'un processus démocratique qui n'a rien changé à leur vie de misère. Le spectacle qu'ils viennent d'observer pendant deux mois pour arriver à un nouveau scrutin n'est pas de nature à les convaincre des bienfaits de la démocratie, au moins dans la situation actuelle.

Les défis qui se présentent: l'hiver qui va vite rendre impossible l'accès à des régions entières du pays; l'insécurité qui ne cesse d'augmenter; le manque de ressources pour remplacer les officiels qui ont failli à leur mission sont déjà lourds à surmonter. Les mêmes causes produisant les mêmes effets il n'y a pas de raisons que les pachtounes se déplacent davantage que le 20 août. Le bourrage des urnes en faveur du président Karzai pratiqué lors du premier tour dans les districts les plus dangereux, où les observateurs étaient absents tout comme les électeurs d'ailleurs, était prévisible.

Le vote en Afghanistan reste éminemment ethnique et en ce sens le président Karzai, un pachtoune, est pénalisé: les zones pachtounes dans lesquelles les talibans sont les plus actifs sont les plus dangereuses. Tadjik par sa mère et surtout fidèle parmi les fidèles de feu le commandant Ahmad Shah Massoud, le Dr Abdullah qui va affronter le président sortant au deuxième tour a moins de difficultés à faire son plein de voix dans des provinces du nord à domination tadjik où l'insécurité est moindre.

Le point commun aux deux candidats en lice est toutefois  qu'aucun d'entre eux ne marque de rupture avec le passé. La corruption, le népotisme, l'absence totale de gouvernance que l'on voit en Afghanistan depuis huit ans ont toutes les chances de perdurer quelque soit le vainqueur de cette élection. Un fait reconnu par le secrétaire américain à la défense Robert Gates qui déclarait récemment: «Nous devons être réaliste et admettre que les problèmes de corruption et de mauvaise gouvernance sur lesquels nous travaillons avec le gouvernement afghan ne seront pas résolus simplement par le résultat de l'élection présidentielle».

Cette situation dans laquelle la communauté internationale a sa part de responsabilité complique grandement la prise de décision du président Barak Obama. Augmenter le nombre de soldats dans un vide politique et administratif est au mieux inutile. La stratégie élaborée par le nouveau commandant en chef le général Stanley McChrystal implique d'avoir un partenaire local crédible qui assume sa part de travail. Mais le général se garde de poser la vraie question: comment obtenir ce partenaire? L'élection présidentielle est une nouvelle occasion manquée. Pire, le président Karzai qui reste persuadé que les «étrangers» américains et britanniques en particulier, lui ont volé sa victoire risque de se montrer encore plus réticent aux changements nécessaires.

Moins mauvaise solution à partir du moment où l'on veut faire croire à la démocratie — qui intéresse plus l'occident que les Afghans pour qui la sécurité est la priorité — l'organisation d'un deuxième tour dans la situation actuelle est un pari très risqué. Et le nouveau président qui sortira des urnes partira déjà avec un fort handicap de légitimité.

Françoise Chipaux

Image de une: bureau d'audit et de recompte des voix du premier tour de la présidentielle afghane, le 5 octobre. REUTERS/Ahmad Masood

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