Politique / France

Le difficile art du recul, par Jean-Marie Colombani

Le retrait du fils était nécessaire pour que le père tente de reconquérir l'opinion. Sera-t-il suffisant?

Temps de lecture: 4 minutes

Il est des circonstances qui imposent de reculer: c'est ce qu'ont du se dire Nicolas et Jean Sarkozy — le fils consultant le père — au vu des dégâts provoqués par la perspective de voir le très jeune conseiller général des Hauts-de-Seine accéder à la présidence de l'Etablissement public de la Défense (Epad). Jean Sarkozy a donc pris une position intelligente et habile: il ne renonce pas à entrer au Conseil d'Administration de l'établissement public, mais ne briguera pas sa présidence.

La polémique avait en effet flambé à l'annonce de cette seule perspective et provoqué la désapprobation d'une forte majorité de l'opinion. Plus grave: elle avait redoublé à l'énoncé par le président de la République d'un discours sur le mérite sur le fait que, dans notre méritocratie précisément, rien ne devait aller à un quelconque privilège de la naissance. Jean Sarkozy a fait sienne cette partie-là de la critique en refusant que son éventuelle élection à la présidence de l'Epad puisse être entachée d'un soupçon de «favoritisme».

La victoire de David Douillet

Oubliées donc les lignes de défense de l'Elysée construites pour, selon ses propres dires puisqu'il se savait être la cible principale, se défendre lui-même. Cela peut paraître un élément de psychologie de café du commerce, mais il s'agissait davantage de la mauvaise conscience d'un père vis-à-vis d'un fils dans un foyer désuni. Mais, quelle qu'aient pu être les qualités du fils en question - et à France 2 il en a montré quelques-unes - l'affaire était entendue, dès lors qu'il apparaissait évident qu'il ne pouvait briguer cette fameuse présidence parce qu'il était le fils de son père.

Exit aussi la référence à l'élection de David Douillet face au maire socialiste de Poissy. Victoire qui avait été hissée par l'Elysée et l'UMP au rang de preuve de la solidarité de l'électorat de la droite face à la polémique. Paradoxalement, c'est peut-être cette victoire qui a permis le recul: une défaite de David Douillet, dans une circonscription traditionnellement acquise à la droite, aurait probablement créée un séisme politique, et peut-être un raidissement interdisant tout mouvement.

Dans ce genre de circonstances, deux questions se posent: le recul est-il parfaitement compris? Est-il suffisant?

Sortir de la nasse

Vraisemblablement, l'opinion retiendra que Jean Sarkozy a renoncé et n'entrera pas sans doute pas dans les subtilités d'une candidature maintenue au Conseil d'Administration; attitude qui a l'avantage de préserver ses chances d'en devenir, un peu plus tard, le président.  Entretenir la polémique, même si l'opposition ne se privera pas de le faire, sera malgré tout plus difficile, et à tout le moins, moins efficace.

Mais il n'est pas évident de déterminer si ce geste peut suffire à enclencher, au bénéfice du chef de l'Etat, un mouvement de reconquête de l'opinion. Une chose est sûre, il fallait sortir de la nasse. Car même si très peu de gens avaient auparavant entendu parler de l'Epad; même si fort peu nombreux étaient ceux qui imaginaient qu'il s'agit en fait d'un point d'appui important dans la future réforme dite du Grand Paris, la mention que le leadership dans ce domaine allait échoir à un étudiant en droit -«Il faut un juriste pour un tel poste», avait argumenté Laurent Fabius qui pour une fois faisait de l'humour, avant d'ajouter: «et Jean Sarkozy est en deuxième année de droit!» —  avait provoqué un profond sentiment d'injustice.

Que l'on songe simplement aux cohortes d'étudiants qui, armés de leurs diplômes, peinent pourtant à trouver ici un stage, là un CDD.

En outre, cette affaire était en train de donner crédit à ceux qui, dans l'opposition, voire comme plus récemment dans la majorité, dénoncent la concentration des pouvoirs. Le candidat Sarkozy n'avait-il pas promis une République «irréprochable»? A quoi il répondait : «regardez la réforme de la Constitution, le rééquilibrage des pouvoirs qu'elle implique au bénéfice du Parlement, la saisine par les citoyens du juge constitutionnel, la renonciation du chef de l'Etat à la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, etc... » C'est en effet un catalogue de réformes qui porteront certainement leurs fruits et qui, d'ailleurs, poseront problème à celle ou celui qui sera élu en 2012. Mais que pouvait peser ce catalogue  face à l'impression de voir s'installer une «egocratie» (l'expression est de Jean-Luc Mélenchon).

L'enjeu: la gestion de la sortie de crise

Dans des circonstances plus difficiles et des situations plus tendues, François Mitterrand avait porté à son sommet l'art du recul: il avait ainsi, après les graves événements de Nouvelle-Calédonie et sa renonciation à l'idée d'une «indépendance dans l'interdépendance» de ce territoire, inventé la construction d'une grande base aéronavale, qui ne vit jamais le jour; il avait aussi sorti de son chapeau, après que deux millions de personnes eurent défilé de Versailles à Paris en défense de l'école privée,  un «référendum sur le référendum» qui masquait un recul pur et simple et qui ne vit jamais le jour non plus. Jacques Chirac en revanche, qui avec Juppé dut reculer devant l'ampleur des grèves contre la réforme des régimes spéciaux de retraite, dut subir 5 ans de cohabitation avec Lionel Jospin: son recul n'avait servi qu'à le décrédibiliser.

Dans la situation actuelle, deux types de facteurs s'additionnent: les uns sont conjoncturels et donnent à tous ceux qui veulent s'opposer autant d'occasions de faire des adeptes. Il y eut ainsi l'affaire Frédéric Mitterrand, puis la question de l'Epad et de Jean Sarkozy, l'une et l'autre ayant été précédées par le lapsus présidentiel sur les «coupables» de l'affaire Clearstream. De ce point de vue, constatons que la question la plus délicate, en ce qu'elle comportait le risque de voir une partie non négligeable des Français se détourner du Président, a désormais quelque chance d'être déminée. Mais des facteurs plus structurels existent qui tiennent en fait à la gestion de l'après crise.

Autant il est possible de créditer Nicolas Sarkozy de sa gestion de la crise, qu'il s'agisse de son rôle en Europe comme au sein du G20, ou du plan de relance et du renflouement du système financier, autant il peut être fragilisé par la crainte de ce qui peut venir après la crise. Celui qui l'a compris le premier est François Hollande qui, et à l'inverse de son parti, a placé au centre du débat la question du déficit. Qui dit financement du déficit dit forcément fiscalité; or on sait que Nicolas Sarkozy campe sur le refus d'augmenter celle-ci. Mais est-ce crédible?

On le voit, Nicolas Sarkozy a abordé sans doute la partie la plus délicate de son quinquennat.

Jean-Marie Colombani

Image de une: Jean Sarkozy, le 22 octobre 2009, sur le plateau de France2. REUTERS

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