France

Policiers armés hors service: l’ombre d’une hausse des suicides?

Sur la base du volontariat, les policiers pourront conserver leur arme hors service, et même la porter pendant les vacances. Une victoire syndicale qui en inquiète certains.

Entraînement de tir dans un centre de la police nationale | MEHDI FEDOUACH/AFP
Entraînement de tir dans un centre de la police nationale | MEHDI FEDOUACH/AFP

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Cette mesure était jusqu’alors limitée à l’état d’urgence, instauré après les attentats de novembre, et devait se terminer le 26 juillet. Elle va devenir pérenne: les officiers de la police nationale pourront désormais, s’ils le souhaitent, porter leur armes de service en permanence. La tuerie de Magnanville contre un couple de policiers a convaincu Bernard Cazeneuve d’accéder aux demandes répétées des syndicats, alertés par la mort de trois d’entre eux –Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet et Clarissa Jean-Philippe– lors des attentats de janvier 2015.

L’annonce de Bernard Cazeneuve viendrait avant tout remonter le moral des policiers franciliens. «En province, seulement un policier sur cinq garde [son arme] depuis novembre. C’est totalement l’inverse en région parisienne. 80% voire 90% des policiers la prennent, car ils se sentent en danger», confie à Slate.fr Philippe Capon, secrétaire général de l’UNSA Police. Mais cette satisfaction s’efface rapidement lorsque surgit la menace d’une potentielle recrudescence des suicides, en légère baisse en 2015 (on en compte quarante-cinq) après une année 2014 record (cinquante-cinq). Le risque de passage à l’acte dans la police est supérieur de 36% à celui du reste de la population, selon une enquête de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2010.

 

Pour rappel, il était déjà possible de garder son arme de service lors des trajets aller-retour de son domicile au lieu de travail, et de la conserver au maximum deux jours hors service. Il n’y a désormais plus aucune limite de temps, ni de lieu. Il suffit simplement d’avoir tiré une fois depuis un an. La direction générale de la police nationale (DGPN) impose également aux volontaires d’avoir un brassard sur soi ou dans sa poche, et conseille de porter un gilet pare-balles.

Aujourd’hui, c’est une victoire sous forme de contrainte. C’est lourd à gérer. Imaginez, avoir son arme quand on va au restaurant ou chez des amis. Oui, cela rassure un petit peu mais on préfèrerait s’en passer

Louis Martin du Gard (faux nom), commissaire en exercice dans le sud de la France

«Aujourd’hui, c’est une victoire sous forme de contrainte, précise d’emblée à Slate.fr Louis Martin du Gard, commissaire en exercice dans le sud de la France qui s’exprime sous pseudonyme et spécialiste des questions sociales. C’est lourd à gérer. Imaginez, avoir son arme quand on va au restaurant ou chez des amis. Oui, cela rassure un petit peu mais on préfèrerait s’en passer. Et je n’en parle même pas des gilets pare-balles. On ne peut pas mettre ça avec un T-shirt ou une veste en civil.»

Entre port permanent et casiers individualisés

Cette annonce vient par ailleurs contredire les récentes politiques de prévention antisuicide. Au-delà du recrutement de psychologues supplémentaires, les services s’orientaient vers la création de casiers individualisés dans lesquels chacun pouvait déposer son arme le soir. Une innovation, concède Louis Martin du Gard, mais encore sporadique. «On est souvent obligés de la ramener chez soi. Il n’y a pas de places dans les postes pour les laisser en sécurité. Il faudrait vider des pièces entières et les fortifier.» En janvier 2016, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve proposait la généralisation de ces casiers testés alors dans les postes de police du Val-d’Oise, théâtre de dix suicides de policiers en trois ans.

«Il n’y a pas de réalité vraie, appuie Philippe Capon, de l’UNSA Police. Jusqu’à maintenant, on tient le coup et il n’y a pas eu de dérapages. Mais, de toute manière, s’ils ne se suicident pas avec l’arme de service, ils le font avec autre chose.» Ce sont environ 50% des policiers qui se suicident au moyen de leur arme de service, selon l’enquête de l’Inserm.

Certes, les chiffres montrent paradoxalement que le nombre de suicides a chuté depuis les attentats de novembre 2015, alors que, traditionnellement, il y a une forte hausse pendant les fêtes de fin d’année: «tout en restant extrêmement prudente», l’association professionnelle de gendarmes à l’origine du décompte, GendXXI, le justifie par «un très fort surcroît de sens à [leur] engagement quotidien». Mais l’équilibre n’en reste pas moins fragile. Entre les manifestations contre la loi travail, l’Euro de football et les menaces terroristes, tout se téléscope. Les dégâts physiques et psychologiques aussi: surcharge de travail, sentiment de haine anti-flic, burn-out... «Si ça dure trop, il y en a qui vont partir en vrille, se disputer avec leur femme, prévient Louis Martin du Gard. Et, là, il pourrait bien y avoir des passages à l’acte.»

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