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Chers élus, la tuerie d'Orlando n'a pas frappé une boîte, mais une boîte gay

La timidité des réactions pour qualifier le massacre homophobe du Pulse, en France comme aux Etats-Unis, démontre que les politiques et certains journalistes sous-estiment plus ou moins inconsciemment la violence structurelle envers la communauté LGBT.

À Orlando, lors d'un rassemblement après la tuerie, le 12 juin 2016. Bryan R. Smith / AFP.
À Orlando, lors d'un rassemblement après la tuerie, le 12 juin 2016. Bryan R. Smith / AFP.

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Comment encore en douter? Au lendemain de l’attentat revendiqué par Daech dans un bar LGBT d’Orlando, en Floride, qui a fait au moins 50 victimes et 53 blessés, le caractère homophobe d’un tel massacre est incontestable. Il est incontestable car viser un espace communautaire et revendiqué comme tel, qui plus est en plein mois des marches des fiertés à travers le monde, ne peut traduire qu’une volonté délibérée de s’en prendre ouvertement à la communauté LGBT pour ce qu’elle est –communauté par ailleurs habituée à être la cible de la violence gayphobe, lesbophobe, biphobe et transphobe dans ses propres espaces de refuge.

Pourtant, depuis dimanche, en France comme aux Etats-Unis, de nombreuses réactions occultent la dimension haineuse et LGBTphobe, de l’attentat comme si l’identité du lieu et des victimes n’était qu’une donnée secondaire… Dans les heures qui ont suivi l’attaque du Pulse, «qui n’est pas n’importe quel club gay» d’Orlando, rappelait par exemple USA Today, le New York Times a, dans un premier temps, omis d’évoquer la nature du club avant de progressivement modifier ses titres. Mais le quotidien américain ne souligne pas franchement le caractère homophobe de la tuerie.


En France, même topo. «Sud Ouest est l’un des rares journaux, très rares journaux à mentionner dans son titre la cible visée et la nature de la haine: un massacre homophobe liée à Daech», observe ainsi Patrick Cohen dans sa rapide revue de presse sur France Inter. De nombreux internautes font par ailleurs remarquer que certaines chaînes de télévision omettaient à plusieurs reprises de mentionner la nature du bar et de l’attentat.

Straightwashing médiatique et politique

Cette forme de straightwashing –le fait d’effacer la sexualité d’individus pour la rendre conforme à un monde hétérocentré– n’est pas l’apanage des médias. Depuis dimanche matin, les réactions en provenance du monde politique, à gauche comme à droite, traduisent, au mieux un oubli, au pire un malaise, par rapport à la dimension homophobe de la tuerie d’Orlando.

Aux Etats-Unis, si les Démocrates ont très vite soulevé la violence LGBTphobe derrière l’attaque du bar, d’éminents représentants du parti républicain, pour certains candidats aux primaires, dont Donald Trump, ne mentionnent en aucun cas l’orientation sexuelle des victimes préférant se focaliser sur la nature islamiste et terroriste de l’attentat. C’est le cas de Donald Trump, mais aussi du gouverneur de l’Arkansas anti-LGBT Mike Huckabee ou du sénateur de Floride Marco Rubio, qui a depuis revu sa position dans une interview au magazine gay The Advocate.

Côté français, les réactions jusqu’au sommet de l’Etat sont tout aussi lunaires. Si le premier ministre Manuel Valls ou la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem ont exprimé leur soutien à la «communauté gay» et dénoncent la «violence homophobe» de l’acte, l’Elysée (mais aussi le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis) ne mentionne même pas la nature du bar visé dans son communiqué.

Et, à droite, que dire? Aucun soutien aux lesbiennes, aux gays, aux bis et aux trans n’est jamais consenti par les Nicolas Sarkozy, François Fillon, Alain Juppé, Bruno Le Maire et autres Républicains, préférant y voir une attaque d’«une certaine idée du monde» quand d’anciens élus (c'est à dire Christine Boutin) poursuivis et condamnés pour diffamation à caractère homophobe en profitent pour faire témoigner leur compassion comme si de rien était.

Paradoxalement, le Front national version Marine Le Pen a très bien compris qu’il y avait une carte à jouer dans sa stratégie pour attirer les (voix) gays. Sur Facebook, la présidente du parti d’extrême droite, comme son numéro 2, Florian Philippot, s’est indignée contre «l’obscure barbarie» à l’égard des personnes homosexuelles, devenant ainsi une des rares personnalités politiques de premier plan à évoquer l’homophobie derrière la tuerie.

Or, on peut difficilement douter de la stratégie politique frontiste plein d’ambiguïté qui vise à instrumentaliser la communauté LGBT contre les musulmans et les minorités racisées tout en s’opposant continuellement aux droits des homos et des trans. Cette compassion, teintée de pinkwashing, ne doit pas laisser les LGBT indifférents aux tentatives de récupération.

Invisibilisation

Qu’en conclure? Le fait d’avoir du mal à mettre les mots sur l’identité d’une communauté aussi meurtrie que la communauté LGBT, de minorer l’orientation sexuelle des individus qui ne rentrent pas dans la norme sexuelle n’est pas une nouveauté. Loin de là. C’est même la pratique courante dans de nombreuses sphères de la société où, à l’heure du mariage pour tous, on préfère gommer les sexualités minoritaires alors que la lutte pour l’acceptation et l’égalité (et même parfois la survie, encore en 2016) est loin d’être terminée.

«Cette pratique a un nom, elle est souvent d’ailleurs assez inconsciente… ça s’appelle l’invisibilisation… un peu comme si au lendemain des attaques de Charlie Hebdo, la presse avait évoqué des attentats contre des bureaux… ou après l’Hyper Cacher, contre un supermarché. Sans préciser la nature de la cible de l’attaque terroriste…», commente très justement à ce propos Nicolas Martin dans la revue de presse de France Culture ce lundi matin.

Or, l’invisibilisation a aussi un coût pour les LGBT qui font face à une violence structurelle plus ou moins virulente partout dans le monde, de Raqqa à Kampala, en passant par Jérusalem, Paris et Orlando. Ian Brossat, adjoint communiste au logement d’Anne Hidalgo, un des rares élus out en France, ne dit pas autre chose sur Facebook: «Vu le mal qu'ont certains élus à dire clairement que la communauté LGBT était la cible du tueur d'Orlando, on comprend que le combat contre l'homophobie est loin d'être gagné.» L’attentat d’Orlando est un triste révélateur du chemin qu’il reste à accomplir. 

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