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Le jour où un groupe de rock gallois changea ses paroles pour virer un sélectionneur anglais

En 1998, devant 20.000 personnes, le groupe Manic Street Preachers avait entonné en live «Bobby Gould Must Go» pour réclamer le départ du sélectionneur de l’équipe galloise. Un Anglais…

Les Manic Street Preachers, en 2001. ADALBERTO ROQUE / AFP
Les Manic Street Preachers, en 2001. ADALBERTO ROQUE / AFP

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Victorieux de la Slovaquie pour son entrée dans l'Euro (2-1), le Pays de Galles, une grande terre de foot, vibre pour sa sélection nationale. Normal: cela faisait cinquante-huit ans et le Mondial en Suède que les Gallois attendaient de pouvoir trinquer aux exploits de leurs poulains en plein mois de juin. A l’époque, le petit écran était noir et blanc, papy De Gaulle sortait son mythique «Je vous ai compris», le Roi Pelé donnait la Coupe du monde au Brésil après avoir brisé le coeur des Gallois en quarts de finale (1-0). Depuis? Des souvenirs pour les Dragons, mais pas que des bons…

Cette qualification pour une grande compétition après une longue frustration valait donc bien une petite chanson, ou plutôt un hymne officiel intitulé «Together Stronger», pour célébrer le talent de Gareth Bale, avec un refrain digne des meilleures musiques de stade: «Quand Gareth Bale joue, on peut battre tout le monde. Alors, allez le Pays de Galles, allez le Pays de Galles. Avec Ashley Williams, nous pouvons gagner tous les combats.» On n’a jamais dit que c’était du Shakespeare…

«Obsédés par le sport»

S’il y avait bien une formation musicale galloise qui pouvait, en tout cas, interpréter l’hymne officiel des hommes de Chris Coleman, c’était bien le groupe de rock alternatif Manic Street Preachers. Très populaires Outre-Manche, auréolés de plusieurs prix, notamment quatre Brit Awards, les Manics sont de véritables fans de sport… 

«Ils sont complètement obsédés par ça. Ils suivent le rugby, qui est l'autre sport national, et le football. Quand ils partent en tournée, ils matent les matchs dans leur bus», confirme Simon Price, auteur de l’ouvrage Everything: A Book About Manic Street Preachers. Y compris les matchs de clubs anglais, dont ils sont fans: «James Dean Bradfield, le chanteur, est un fan de Nottingham Forest, Sean Moore, le batteur, est pour Liverpool, Nicky Wire, le bassiste, supporte Tottenham», surenchérit Fredorrarci, qui tient le blog spécialisé Sport Is A TV Show.

Nicky Wire, auteur des paroles de «Together Stronger », était d’ailleurs capitaine de l’équipe nationale scolaire galloise lorsqu’il avait 14 ans. Il avait même reçu des offres des deux clubs ennemis londonien Tottenham et Arsenal, mais une blessure au genou l’a obligé à tirer une croix sur une éventuelle carrière professionnelle. En rappelant les hauts mais surtout les bas de son équipe de coeur, Wire prouve en tout cas qu’il a une véritable culture foot. «Nick avait écrit les paroles de cette chanson durant les précédentes campagnes de qualification. Mais bien sûr, on avait à chaque fois mordu la poussière…», déclarait ainsi le chanteur James Dean Bradfield à la sortie du titre.

Ironie du sort, alors que le Pays de Galles s'apprête à affronter l'Angleterre dans un duel fratricide à Lens, ce jeudi 16 juin à 15 heures: en 1998, les Manic Street Preachers avaient profité d’un concert à Cardiff, devant 20.000 personnes, pour demander le départ du sélectionneur de l'époque, Bobby Gould, un... Anglais (le dernier en date, tous ses successeurs ayant été Gallois). Derniers de leur groupe pour les qualifications pour l’Euro 1996, les Gallois viennent alors de terminer seulement avant-derniers de leur poule de qualifications pour le Mondial 1998 en France, ne devançant que Saint-Marin. Un bilan médiocre qui n’avait pas convaincu la Fédé de le virer... Le groupe décida alors de changer les paroles de sa chanson «Everything Must Go» en «Bobby Gould Must Go» en plein live pour plaider en faveur de son licenciement. 

Ce titre ne sera apparemment joué qu’une seule fois mais aura un gros retentissement dans les médias britanniques les semaines suivantes. Lors d’un talk-show sportif de la BBC, Gould est ainsi interrogé sur cette sortie des rockeurs, qu’il n’a évidemment guère appréciée. «Ce gars Richey, je ne pense pas que ce soit le meilleur exemple à donner aux jeunes sur la façon de mener leur vie.» Allusion à Richey Edwards, l’un des membres du groupe qui, souffrant de problèmes d’alcool, de drogue et de dépression, a disparu en 1995. Le titre «Everything Must Go » parlait d’ailleurs de cette disparition…

«Cette chanson parle du passé, dans le sens où il faut accepter que le passé soit le passé et continuer à avancer. C’était le message du groupe après la disparition de Richey. Beaucoup de gens ont dit qu’il s’était suicidé. Différentes théories ont émergé car on n’a jamais trouvé son corps, ni d’indices. Légalement, il a en tout cas été déclaré mort en 2008. La réaction de Gould montre son ignorance envers Richey: il ne buvait pas, il ne se droguait pas pour être cool ou pour servir d’exemple. Il avait fait des cures de désintoxication, des séjours en hôpital psychiatrique. Il était complètement à l’opposé de l’idée que pouvait avoir Bobby Gould…», assure le biographe du groupe.

Malgré les critiques, Gould restera à la tête de la sélection jusqu’en juin 1999 et une lourde défaite en Italie (4-0) lors des qualifications pour l’Euro 2000. Reste à savoir si les Manic Street Preachers et leur titre ont joué un véritable rôle dans sa démission. Simon Price, en grand amateur de foot et de la sélection galloise, ne le pense pas. «Le fait que Gould soit Anglais a fait qu’on lui a peut-être laissé moins de temps. Mais il avait de très mauvais résultats alors qu’on avait des bons joueurs comme Ian Rush, Mark Hugues ou Ryan Giggs. Il n’était pas préparé, selon moi, pour prendre en main une équipe nationale. Ce sont pas les Manic Street Preachers qui sont responsables de sa démission. Pour moi, Bobby Gould est personnellement responsable de l’échec de Bobby Gould…»

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