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Les corps du Dieu Mohammed Ali

Les photographies de Mohammed Ali, de 1965 à 2013, disent tout de la carrière et de la vie de cet athlète exceptionnel usé par les combats et usé ensuite par la maladie pendant plus de trente ans.

AFP Ali-Liston 1964
AFP Ali-Liston 1964

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ALI DORIAN GRAY

A la fin de tout, lui qui s’était affranchi de son nom d’esclave était pris dans les chaines de son corps. On en terminera tous ainsi, dans la trahison des chairs, mais pour Mohammed Ali, c’était pire. Parkinson et la vieillesse étaient la négation même de ce qu’il avait été, lui, l’invulnérable. L’infinie pitié d’un homme qui s’en va dans des tremblements, que des tremblements ont saisi, le disputait à la sensation d’un portait de Dorian Gray. Une vérité obscure et malsaine dans cet homme que chacun aimait s’était fait jour? Payait-il d’avoir abandonné Malcolm X, son ami, chassé de la Nation of Islam et livré à l’assassinat, sans qu’il ne fasse rien pour l’en empêcher? Ou bien les mystérieux mobiles de quelques victoires inexpliquées? Ou le péché d’avoir usé de son corrs sans se modérer, comme si la grâce lui était acquise. Elle ne l’est jamais.

2013 Mohammed Ali et sa fille Laïla (AFP).

LE PAPILLON

Regardez Cassius à 22 ans, quand tout commence, dans le charrme de ses déliés. Il n’est pas le premier enfant qui va renverser la boxe et le monde. Après lui, Mike Tyson, une boule de muscles échappée du Bronx ira terrifier le monde des adultes. Mais Ali n’est pas une boule. Il est fort mais subtil, léger, joueur, dites un styliste si vous voulez, dites esquive, dites la souplesse d’un welter dans la masse d’un lourd, mais c’est au-delà. Son corps est une morale, une philosophie, une preuve. Ali va affronter le champion du monde Sonny Liston, ancien taulard promis à l’assassinat, un homme miné doté d’une force sans humanité. Ce match de la brute et de l’enfant inquiète, comme un massacre annoncé. Ali a-t-il peur? Il conjure dans l’esbrouffe. Avec son ami Budini, il danse et scande, il rappe dirait-on aujourd’hui «Vole comme un papillon, pique comme une abeille.» Quand il retrouve le «gros ours» Liston, Ali danse, effectivement et esquive et escamote le titre;  il repart le corps intact, sa beauté préservée.

1964, Ali est intouchable (AFP).

LE RAVAGEUR

Voyez Mohammed Ali à 23 ans. Il est fort et large d’épaule. Il a le corps de la puissance et de l’arrogance. Floyd Patterson, ancien champion du monde et bon américain, n’a pas admis que le titre des poids lourds soit préempté par la Nation of Islam, cette secte séparatiste et violente, que Cassius Clay a rejoint et qui l’a réinventée. Cassius X d’abord, puisque Clay est le nom des anciens maitres, et puis Muhammad Ali. Les noirs retrouveront leur dignité en épousant un islam des origines, réinventé? « Je rendrai le titre à l’Amérique» jure Patterson, qui insulte Ali en l’appellant Cassius Clay. Le corps se venge. «Patterson est trop petit, il est trop lent, il n’a pas d’allonge, il ne prend pas les coups, il ne frappe pas fort, il n’a pas de jeu de jambe», a décrété Ali. Il jouera avec son adversaire, et se fait taxer de cruauté mentale. Ce corps ravageur avait frappé les objectifs au soir de sa deuxième victoire contre Liston, Ali jurlant son triomphe tous muscles dehors sur le corps du vaincu. Ses poses et ses violences sont au diapason de son engagement public, vengeur et implacable, cruel. Il a tourné le dos à Malcolm X, qui l’avait amené à la Nation of Islam, quand la secte a rejeté le révolutionnaire. Cette année 1965, Malcolm est assassiné et Mohammed Ali marche sur Patterson. Il peut tout.

1965, Ali au sommet (AFP).

LE CORPS SACRIFIE

Voyez Ali à 32 ans. Il a perdu le délié et n’est plus le dominant. Il ne peut plus protéger ce corps qui occupe désormais l’espace, plus fort mais quelle cible! En refusant d’aller au Vietnam, fin 1966 Ali a perdu les plus belles années de sa vie de boxeur. Privé de boxe, rétabli dans son droit après la Cour suprème, il n’est plus le danseur de la jeunesse, mais un homme fait, trentenaire, dont le corps se fait de moins en moins malléable. C’est le moment du courage. Ce corps, il l’expose aux coups de plus grands puncheurs de son temps. Joe Frazier, Ken Norton, Ernie Shavers, les uns après les autres, rouent Ali de coup et lui encaisse et survit, ne danse plus, danse moins mais absorbe et triomphe des bucherons, le plus souvent. Il joue de sa santé. Il est, parfois, trop gros, parfois affuté. C’est le courage et l’intelligence des situations qui le poussent. Contre Foreman, il décide de subir le combat, adossé aux cordes, pour épuiser l’adversaire: sa souffrance, sa capacité à tenir un instant de plus que l’autre, font le reste. Contre Frazier se nouent des combats qui tutoient la mort. On se hache menu, dans une boucherie de la gloire. Les chairs se fissurent de l’intérieur. Ca se paiera.

1974 à l'entrainement à Kinshasa (AFP).

 

 LE SUBLIME SAC DE SABLE

Voyez Ali à 38 ans, simple souvenir de lui-même. Il a voulu aller chercher une dernière bouchée de légende contre un champion du monde qui fut son sparring partner, mais son corps ne peut plus rien pour lui. Le muscle n’est plus saillant, la lourdeur l’a saisit, les jambes ne savent plus bouger -qui parlerait de danser? Il est la cible immobile de son rival. Larry Holmes ajuste Ali de jab en jab, et le fait crier d’un coup aux reins dans la 9e reprise d’un combat qui en durera dix. «Je dédie ce combat à tous ceux à qui l’on a dit que c’était impossible» a dit Ali avant le match, mais c’est impossible. Quatre ans plus tard, on apprend que Ali souffre de la maladie de Parkinson. Quelque chose de doux va le saisir, dans les tremblements du départ, qui durent des années. Son corps va épaissir encore puis devenir transparent, et lui échapper. On prend du temps pour aller au tombeau des regrets.

1980, ALI face à HOLMES (AFP)
 

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