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D’où vient le symbole féministe avec le poing levé?

L’actrice iranienne Taraneh Alidoosti a créé la polémique avec un tatouage féministe, comportant un poing levé à l’intérieur du symbole féminin. Voici l’histoire de ce logo.

<a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Woman-power_emblem.svg">Woman-power emblem</a> |Montage d’après AnonMoos via Wikimedia Commons (domaine public)
Woman-power emblem |Montage d’après AnonMoos via Wikimedia Commons (domaine public)

Temps de lecture: 3 minutes

En Iran, un simple tatouage a suffi à créer une polémique d’une ampleur nationale. L’objet du scandale? Un poing levé dans le «symbole de Vénus», ou «symbole féminin», inscrit dans la chair de l’actrice Taraneh Alidoosti, que le New York Times qualifie de «Natalie Portman de l’Iran». Le dessin à l’encre avait légèrement dépassé de son pull lundi 30 mai et il a suscité l’ire des conservateurs, qui le considèrent comme un symbole «antifamille». En réalité, il s’agit d’un symbole féministe, vieux de près de cinquante ans.

Taraneh Alidoosti a donné elle-même quelques explications sur la nature de ce signe. Elle a posté le lendemain sur Twitter un extrait du site féministe The Radical Notion:

Traduction: «Ce symbole est apparu pendant le mouvement social des années 19560-1970. Il est souvent associé avec le “féminisme radical”. Il représente évidemment une adaptation du symbole de Vénus combiné avec un poing levé qui est plus couramment associé avec le symbole du Black Power dans les années 1960. En lui-même, le symbole de Vénus n’est pas toujours censé représenter le féminisme. Mais avec ce poing levé, il est devenu le symbole du pouvoir des femmes et un symbole du féminisme».

Créé par une écrivaine en 1967

En France, on trouve aussi des occurrences de cette image dès les années 1970. On le voit par exemple dans une photo publiée en 1971 par la revue féministe Le Torchon brûle (en page 20), illustrant une manifestation pour l’avortement:

Si l’on en croit le livre The Feminist Memoir Project: Voices from Women’s Liberation, le symbole a été créé par l’activiste et écrivaine américaine Robin Morgan, aidée de son comparse et époux poète Kenneth Pitchford. Il a été utilisé pour la première fois en 1969 lors d’une manifestation contre le concours de beauté Miss America, durant lequel des militants ont jeté dans une poubelle géante du maquillage et d’autres produits censés représenter la sexualisation des femmes.

Jointe par Slate.fr, Carol Newton, l’assistante de Robin Morgan, affirme aussi que l’activiste est la première auteure du logo, qui, selon elle, a été en réalité inventé deux ans plus tôt, en 1967. Il a été utilisé publiquement la première fois en 1968, dit-elle, pour la première manifestation contre Miss America, où il était notamment peint sur des pin’s, raconte-t-elle. On peut voir une photo d’un de ces pin’s sur le site de l’avocate féministe Jo Freeman:

Ce symbole a été utilisé publiquement la première fois en 1968 pour la première manifestation contre Miss America, où il était notamment peint sur des pin’s

On retrouve le même dessin sur des tracts appelant à boycotter la cérémonie Miss America, dessinés par l’écrivaine en septembre 1968:

Robin Morgan Papers, David M. Rubenstein Rare Book & Manuscript Library, Duke University, Durham, NC 

Voici un autre exemple de dessin, réalisé un mois plus tard, «pour la formation d’un groupe» de militants, raconte Carol Newton:

Robin Morgan Papers, David M. Rubenstein Rare Book & Manuscript Library, Duke University, Durham, NC 

Un symbole des féministes noires? 

Le symbole féministe avec le poing levé est aujourd’hui brandi partout dans le monde. «Il a été vu sur des graffitis dans tous les États-Unis et en Europe, au Japon, en Chine, dans des camps de réfugiés en Palestine et des villages de RDC, dans des rues à Delhi, sur les restes du mur de Berlin, sur des barrières de favelas de Rio, et même en Corée du Nord et en Arabie saoudite, où il est interdit», raconte Carol Newton.

Il a été vu sur des graffitis dans tous les États-Unis et en Europe, au Japon, en Chine, dans des camps de réfugiés en Palestine et des villages de RDC

Carol Newton, assistante de Robin Morgan

Sa puissance politique et poétique est telle qu’il a pu être utilisé par plusieurs courants féministes, comme l’afroféminisme, l’anarchaféminisme et le féminisme radical, comme l’explique une longue note de blog très documentée. Et qu’il fait même l’objet d’une guerre de réappropriation.

Il est particulièrement revendiqué par l’afroféminisme, notamment parce que le poing levé est aujourd’hui très associé au mouvement «Black Power» et aux Black Panthers. Certaines activistes vont même jusqu’à reprocher aux «blancs et aux féministes non blanches» de «s’approprier et de faire des bénéfices sur le travail de féministes noires».

Mais comme le faisait remarquer un article de Slate en 2013, «le poing levé ne date pas de Mandela. Signe tout à la fois de lutte, de colère et de solidarité, le poing levé jalonne toute l’histoire des mouvements de gauche révolutionnaire du XXe siècle».

Qu’il ait été créé par une personne noire ou blanche, le symbole féministe au poing levé est un instrument de lutte, que se partagent les activistes de toute la planète. Et comme tous les symboles qui ont du succès, il est aussi devenu un objet commercial, décliné sur des T-shirts, des mugs et même des petites culottes. À l’image de l’antisexisme, devenu un coup de pub à peu de frais pour des marques en mal de notoriété.

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