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Comment débloquer le processus de paix sans paix ni processus?

La Conférence internationale pour la paix au Proche-Orient se tient à Paris alors que tout dialogue entre Israéliens et Palestiniens semble vain.

Benjamin Netanyahou, le 15 octobre 2015. GALI TIBBON / AFP.
Benjamin Netanyahou, le 15 octobre 2015. GALI TIBBON / AFP.

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Le succès d’une réunion diplomatique se mesure parfois à la liste des Etats représentés et à la présence de personnalités. Mesurée à cette aune, la Conférence internationale pour la paix au Proche-Orient, organisée à Paris ce vendredi 3 juin, est déjà une réussite. Plus d’une vingtaine de pays seront représentés par leur ministre des Affaires étrangères, dont la Russie et les Etats-Unis. La date de la conférence a même été légèrement décalée pour convenir à l’emploi du temps du secrétaire d’Etat américain John Kerry.

Quant à en attendre des résultats concrets, c’est une autre histoire. Les principaux intéressés, les Israéliens et les Palestiniens, ne seront pas là. Ils n’ont pas été invités pour ne pas faire capoter l’initiative française dès la première étape. Une deuxième devrait avoir lieu à l’automne.

Officiellement, il s’agit pour la diplomatie française de «débloquer» ce qu’il est convenu d’appeler «le processus de paix», même si entre Israéliens et Palestiniens, il n’y a depuis longtemps ni paix ni processus. C’est une idée lancée par Laurent Fabius avant qu’il ne quitte le Quai d’Orsay pour la présidence du Conseil constitutionnel. Il avait brandi comme une menace la perspective d’une reconnaissance de l’Etat palestinien par la France pour inciter Israël à se montrer coopératif. Peine perdue: le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a dit tout le mal qu’il pensait de l’initiative française, soutenue au contraire par les Palestiniens. Deux visites à Jérusalem, à quelques jours d’intervalle, du ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault et du Premier ministre Manuel Valls ne l’ont pas fait changer d’avis.

Objectif modeste

Netanyahou ne veut pas se soumettre à un «diktat international». Avec l’Autorité palestinienne, il veut des négociations bilatérales où il se trouve en position de force. Il aurait accepté «avec plaisir», a-t-il dit à Manuel Valls, une autre initiative française, une invitation qui lui aurait permis de s’assoir «seul avec Mahmoud Abbas» pour discuter des sujets contentieux. Mais pas la participation à un aéropage international organisé de surcroît par un Etat, la France, dont il doute de l’impartialité. Benjamin Netanyahou a pris prétexte d’un vote du représentant français à l’Unesco sur le patrimoine palestinien, qui semble soustraire à l’Etat juif la protection des lieux saints de Jérusalem, pour appuyer son rejet de l’initiative française. François Hollande a eu beau qualifier de «fâcheux» les termes de la résolution de l’Unesco agréée par son représentant, rien n’y a fait.

Dans ces conditions, l’objectif de la conférence de Paris est modeste: «redonner un horizon politique pour que les négociations puissent donner quelque chose», un langage diplomatique pour cacher qu’on n’en attend rien. Depuis l’échec de la réunion de Camp David en juillet 2000 entre Ehud Barak, le Premier ministre travailliste israélien, et Yasser Arafat, président de l’OLP, sous l’égide de Bill Clinton, toutes les tentatives pour renouer le dialogue ont été vaines. Barak était alors allé au-devant des positions palestiniennes. Le vieux Shimon Peres lui avait reproché cette erreur tactique. Il fallait qu’Arafat puisse se prévaloir d’avoir arraché des concessions israéliennes, pas de les avoir obtenues sans combat.

Il y a deux ans, en 2014, John Kerry a jeté l’éponge après avoir repris une politique de la navette déjà utilisée par ses prédécesseurs. Les Français peuvent-ils réussir là où les Américains, qui restent malgré les vicissitudes les soutiens indéfectibles d’Israël, ont échoué? Dans l’évolution de la position européenne sur le conflit du Proche-Orient, sur l’idée d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël, la France a joué un rôle pionnier. Mais sa voix ne porte plus comme avant et ses partenaires ne cachent pas leur scepticisme sur la politique française.

Négocier longtemps pour qu’il n’y ait plus rien à négocier

Paris veut «mettre noir sur blanc les paramètres de la négociation». Mais ces paramètres sont connus depuis la réunion de Taba, en janvier 2001, dans les derniers jours de la présidence Clinton, après la deuxième Intifada de l’automne 2000. Dans cette station balnéaire du golfe d’Aqaba, tous les sujets de désaccord ont été passés en revue et s’il n’y eut pas d’accord, un relevé des discussions concernant les frontières, les colonies juives, les réfugiés, le statut de Jérusalem a été établi. Conservé jalousement par Miguel Angel Moratinos, le représentant de l’Europe qui assistait à la réunion, ce texte est sans doute le plus abouti sur le conflit israélo-palestinien après les accords d’Oslo de 1993.

Depuis, rien n’a fondamentalement bougé malgré l’évacuation de Gaza par les Israéliens et plusieurs guerres contre le Hamas. À un détail essentiel près: les implantations juives en Cisjordanie se sont poursuivies. La colonisation rend de plus en plus complexe le différend territorial et obère de plus en plus la solution dite de deux Etats. Benjamin Netanyahou n’a même pas concédé à Barack Obama, avec qui les relations sont exécrables, un gel de la colonisation. Il s’est rallié en paroles à l’idée d’un Etat palestinien mais sa politique consiste à créer des faits accomplis qui le rendent impossible –ce que Bertrand Badie, professeur à Sciences-Po, appelle le «démantèlement lent d’une solution possible et connue de tous par le seul jeu de la passivité et de l’inaction choisie».

Netanyahou, qui dirige le gouvernement le plus à droite qu’Israël ait connu –et ce n’est pas la nomination comme ministre de la Défense d’Avigdor Lieberman qui corrige la tendance–, applique le principe d’un de ses prédécesseurs, Yitzhak Shamir: négocier aussi longtemps qu’il est nécessaire pour qu’il n’y ait plus rien à négocier. Et pour ne pas être accusé de ne rien faire, il allume un contrefeu: il redécouvre l’initiative des pays arabes de… 2002, qu’Israël avait alors superbement ignorée.

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