Parents & enfants

Mort du gorille Harambe: mais fichez donc la paix aux parents!

Le zoo de Cincinnati a dû se résoudre à tuer le primate après qu'un jeune enfant est tombé dans l'enclos. Depuis, les parents de celui-ci sont devenus un peu vite des boucs émissaires du drame.

Temps de lecture: 6 minutes

La vidéo est terrifiante, et son épilogue d'une tristesse absolue. Samedi 28 mai, la presse a rapporté la mort du gorille Harambe, un mâle de 17 ans pensionnaire du zoo de Cincinnati, abattu après qu'un garçonnet de 4 ans a chuté dans l'enclos. L'annonce s'est accompagnée de la vidéo sidérante, tournée par un visiteur, sur laquelle on voit le gorille attraper l'enfant avant de l'entraîner dans l'eau.


L'équipe a donc abattu l'animal par balles et a expliqué, en réponse à ceux qui se demandaient pourquoi de simples tranquillisants n'ont pas été utilisés, que cela aurait pris trop de temps, et qu'il s'agissait avant tout de sauver l'enfant.

Les premières réactions se sont d'abord émues de la mort du gorille et ont réclamé davantage de précisions sur le danger que représentait réellement l'animal pour l'enfant.

Dont acte. Des témoins de la scène, qui ne sont a priori pas spécialistes du comportement animal, ont juré que le gorille n'était en rien menaçant. Ces derniers s'appuient notamment sur cette autre vidéo, diffusée sur le site du mirror, sur laquelle le gorille prend la main du garçon, le geste étant interprété comme bienveillant de la part du primate.

Débat sur la dangerosité

Sur Facebook, le primatologue Frans de Wall remet également en question la dangerosité d'Harambe:

«Si le gorille avait voulu tuer l'enfant, un simple coup de poing aurait suffi. Les gens n'imaginent pas la force surhumaine des gorilles. Mais il n'a montré aucune volonté de tuer (...). Les lions et les tigres sont des prédateurs, mais les gorilles sont de paisibles végétariens. Ils préfèreront toujours un fruit juteux à un morceau de viande. La seule chose qui peut les faire basculer, c'est un mâle qui entre sur leur territoire ou qui s'approche trop de leurs petits et de leurs femelles. Harambe savait sûrement qu'il n'était pas en compétition, et n'avait donc aucune raison d'attaquer.»

Certes. Mais tous les spécialistes ne sont pas de cet avis. Le directeur du zoo de Cincinnati lui-même a affirmé que les gorilles étaient imprévisibles et que la seule manière de garantir la sécurité de l'enfant était d'abattre Harambe. Greg Tarry, directeur associé de l'Association des Zoos et Aquariums du Canada, a analysé les différentes vidéos et assure que le comportement du primate était agressif et non protecteur et que ses gestes relevaient tous de la domination.

Difficile, donc, de trancher. Et de dire fermement qui est coupable. Mais parce que pour endurer une tragédie, désigner un bouc-émissaire semble procurer un intense soulagement, les parents de l'enfant tombé dans l'enclos ont rapidement fait de parfaits coupables. Frans de Wall lui-même estime dans son post Facebook que «les parents devraient surveiller leurs enfants». Il semble là apporter son soutien à la pétition qui réclame des poursuites judiciaires à leur encontre et une enquête sociale «pour protéger l'enfant et ses frères et sœurs d'autres incidents résultant de la négligeance de leurs parents».

#JusticeForHarambe

Deonne Dickerson et Michelle Gregg, les parents du petit garçon, font donc l'objet de vives critiques. La presse tabloïd s'est ainsi empressée de dresser le portrait de parents forcément défaillants en exhumant d'anciennes affaires criminelles impliquant le père, tout en consentant mollement que ce dernier semblait s'être rangé depuis quelques années.

Célébrités et anonymes multiplient les insultes et décrètent que Deonne Dickerson and Michelle Gregg font de bien piètres parents. Le comique Ricky Gervais a par exemple publié un tweet lapidaire:

(«Il semblerait que certains gorilles fassent de meilleurs parents que d'autres»)

Et Le hashtag #JusticeForHarambe est utilisé par tous ceux qui estiment que les parents doivent être tenus pour responsables de la mort du gorille, car ils auraient du garder l'œil sur leur enfant à chaque instant de la visite au zoo.

Et parce que les mères font toujours de très bonnes coupables, un mème désigne Michelle Gregg comme une mauvaise mère tueuse de gorille par procuration.


Si on suit leur raisonnement, la mort du gorille serait donc moins tragique et vaine si les parents du petit garçon étaient punis par la justice. Harambe serait alors vengé. Et ces mauvais parents mis hors d'état de nuire.

Mais de quoi seraient exactement coupables ces parents? À en croire leurs nouveaux ennemis jurés: de ne pas avoir empêché leur enfant de se glisser sous la clôture. Et tant pis, si un témoin affirme avoir vu la mère du petit garçon faire un geste pour que son fils ne passe pas sous la barrière. Tant pis si cela a pu se produire en une fraction de seconde. Tant pis s'il est physiquement impossible de surveiller son enfant à chaque seconde. Tant pis si, comme l'a plaidé Michelle Greg sur Facebook, «les accidents arrivent».

L'obsession du contrôle

Faut-il être de mauvaise foi ou parfaitement ignorant pour assurer qu'il est tout à fait possible de garder l'œil en permanence sur un enfant lors d'une sortie ou même dans un lieu clos? Si les parents étaient en mesure d'empêcher leur enfant d’accomplir toute bêtise ou acte inconséquent, la moitié des accidents domestiques ne toucheraient pas les enfants. Aucun enfant ne chuterait d'un escalier. Aucun enfant ne s'étoufferait après avoir ingéré un petit objet. Pas de noyade, pas d'enlèvement, pas d'intoxication.

Ce monde où les parents seraient omniscients et omnipotents a l'air franchement super. J'adorerais rattraper ma fille, façon Matrix, avant qu'elle se vautre dans les escaliers. J'aimerais beaucoup anticiper le moment où un enfant va faire une énorme connerie et agir en conséquence. Mais pas plus que les autres parents, je ne suis ni mentaliste ni dotée de supers pouvoirs. Laissez-moi le dire encore une fois: les parents ne peuvent ni surveiller ni controler leurs enfants à chaque instant. Et vous savez quoi? Ça n'est finalement pas si souhaitable que ça.

C'est l'ironie de cette histoire et de la cabale dirigée contre Deonne Dickerson et Michelle Gregg. Les parents trop préoccupés par leur enfants et qui ne les lâchent pas d'une semelle sont de plus en plus pointés du doigt, à raison. On leur demande de foutre la paix à leurs enfants, car celà nuit à leur autonomie et à leur confiance en soi. Alors pourquoi décider, subitement, que les parents du petit garçon tombé dans une fosse au gorille, auraient, à ce moment précis, dû se comporter comme des gardes du corps, l'œil rivé à leur progéniture? D'autant que les accidents se produisent en général en quelques secondes à peine. Et qu'un instant furtif d'inattention (regarder l'heure, sortir une bouteille d'eau de son sac, échanger quelques mots avec quelqu'un) peut largement suffire.

Peut-être, parce que quoiqu'ils fassent, les parents ne feront jamais assez bien. Et ce type de tribunal populaire (dans lequel siègent évidemment aussi d'autres parents) s'exerce généralement avec un bel élan lors de fait divers. À chaque disparition d'enfant, il se trouvera toujours quelqu'un pour dire «c'est triste, mais enfin, la mère a sûrement merdé en ne le surveillant pas tout le temps. Moi, au square, je les lâche pas d'un œil, vu le monde dans lequel on vit hein».

Quand un parent oublie son enfant dans le siège auto de la voiture, parce qu'il est épuisé, au bord du burn-out, ou juste extremement distrait, mais certainement pas par malveillance, certains n'hésitent pas à réclamer la peine de mort.

La perfection n'est pas de ce monde

Des gens parfaits. Qui savent tout sur tout. Qui savent exactement comment on veille sur un enfant, comment on le protège de tout. Des gens qui savent, et qui savent mieux. Et qui se sentent donc autorisés à distribuer bons et mauvais points. Jusqu'au jour, ou peut-être, eux-mêmes découvriront qu'ils sont faillibles. Ou que les enfants ont beau être la chair de notre chair, selon l'expression consacrée, leur corps n'en est pas moins dissocié du nôtre et, il n'est ni possible ni souhaitable que l'on soit capables d'exercer un controle parfait sur leurs faits et gestes.

Tant que j'y suis, les parents n'ont pas non plus ce super pouvoir qui fait taire les bébés qui pleurent dans le train.

Ce qui est curieux avec l'affaire du gorille, c'est qu'il s'est trouvé plus de personnes pour réclamer que ces parents soient jetés au cachot, que pour interroger les conditions de sécurité du zoo de Cincinnati voire l'existence même des zoos.

Après tout, si un enfant de 4 ans a pu chuter dans l'enclos, c'est que rien ne l'empêchait physiquement de se glisser sous la barrière. Ensuite, il aurait peut-être été judicieux que l'energie employée pour harceler ces parents soit plutôt employée à poser les vraies questions: s'il s'agit de sauvegarder certaines espèces, ne vaut-il pas mieux préserver leurs espaces naturels? Les parcs zoologiques se préoccupent-ils vraiment du bien-être animal comme ils le prétendent? Les zoos ont-il un interet pédagogique? Un animal en captivité est-il HEUREUX?

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