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Battue, l'extrême droite autrichienne l'annonce: elle sera au pouvoir en 2018

Le candidat perdant du FPÖ, Norbert Hofer, prédit déjà la victoire de son camp aux prochaines élections législatives puis présidentielles.

Célébrations dans le camp du FPÖ I JOE KLAMAR / AFP
Célébrations dans le camp du FPÖ I JOE KLAMAR / AFP

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Que faudra-t-il retenir de l’élection présidentielle en Autriche? Le sursaut ou l’avertissement? Le sursaut qui a permis à Alexander Van de Bellen, le candidat indépendant soutenu par les Verts, de l’emporter in extremis, avec 50,3% des voix, après décompte des votes par correspondance? Ou l’avertissement représenté par la défaite sur le fil du candidat d’extrême droite lancé dans la compétition par le parti dit «libéral» (FPÖ), arrivé en tête au premier tour avec plus de 35% des voix, qui n’a été battu de quelques milliers voix au second?

Depuis l’entrée à la Hofburg –le siège de la présidence à Vienne– de Kurt Waldheim, l’ancien secrétaire général de l’ONU, qui avait tu son passé dans la Wehrmacht, l’élection d’un chef de l’État autrichien n’avait jamais suscité autant d’intérêt. Pour la première fois dans l’Europe de l’après-Seconde Guerre mondiale, un État européen avait de grandes chances d'élire, au suffrage universel, un président appartenant à un parti d’extrême droite.

Au premier tour, le 24 avril, les partis qui alternent à la tête du gouvernement en Autriche depuis 1945 et règnent le plus souvent ensemble, le Parti social-démocrate (SPÖ) à gauche et le Parti conservateur-catholique (ÖVP) à droite, se sont fait étriller. Le candidat du FPÖ, Norbert Hofer, un vice-président du Parlement, jeune et avenant, a donné à son parti son meilleur score historique, laissant à plus de 14 points derrière lui Alexander Van der Bellen, un ex-président des écologistes qui se présentait comme indépendant.

Vote de rejet plus que d'adhésion

Personne ne donnait très cher de cet ancien professeur d’économie, âgé de 72 ans, descendant d’un couple russo-estonien, d’origine protestante dans le pays de la Contre-réforme, passé par la franc-maçonnerie. Pour ne pas insulter l’avenir et exclure l’éventualité d’une alliance parlementaire avec le FPÖ, aucun des deux grands partis n’avait appelé officiellement entre les deux tours à faire barrage à l’extrême droite. Pas de discipline républicaine donc, seules quelques prises de position de personnalités politiques, de droite comme de gauche, en faveur d’Alexander Van der Bellen. La candidate arrivée en troisième position au premier tour, Irmgard Griss, ancienne juge constitutionnelle, a attendu la vieille du scrutin, pour se prononcer contre le FPÖ.

Il y a seulement deux hypothèses. Ou bien demain je suis le chef de l’État, ou bien dans deux ans Hans-Christian Strache [le chef du FPÖ] est chancelier

Norbert Hofer

Alexander Van der Bellen a remonté son handicap en mobilisant ses électeurs du premier tour, en amenant aux urnes 200.000 abstentionnistes et en réussissant à convaincre un tiers des électeurs d’Irmgard Griss ainsi que près de la moitié des électeurs du candidat conservateur. Il a réuni un électorat féminin (60% des femmes ont voté pour lui) et éduqué (76% de ses électeurs ont au moins le baccalauréat). Il a gagné dans les villes, son concurrent à la campagne. Mais le vote en sa faveur a plus été un vote de rejet qu’un vote d’adhésion. Selon les sondages sortis des urnes, 48% des électeurs d’Alexander Van der Bellen se sont d’abord prononcés contre Norbert Hofer.

«Dans tous les cas, nous avons gagné»

Celui-ci a reconnu sa défaite mais il a masqué sa déception derrière des accents bravaches: «Dans tous les cas, nous avons gagné, a-t-il dit peu de temps avant l’annonce des résultats. Il y a seulement deux hypothèses. Ou bien demain je suis le chef de l’État, ou bien dans deux ans Hans-Christian Strache [le chef du FPÖ] est chancelier et quatre ans plus tard, je suis président.» Les élections législatives sont prévues en effet en 2018 et tous les sondages donnent le FPÖ en tête, devant le SPÖ et l’ÖVP. Les politologues  pensent que la victoire d’Alexander Van der Bellen augmente les chances du FPÖ car les Autrichiens voudront rétablir une forme d’équilibre entre les forces politiques.

Quoi qu’il en soit, le succès de l’extrême droite autrichienne ne saurait être sous-estimée même si un coup d’arrêt a été donné à son ascension, au moins provisoirement. Certes, le FPÖ a tenté de polir son image. Il y a six ans, lors de la précédente élection présidentielle, il avait subi une cuisante défaite avec une candidate dont les liens avec la mouvance néonazie étaient notoires. Cette année, il n’a pas commis la même erreur. Il a gommé ses traits les plus criants qui rappelaient le temps où Jörg Haider flirtaient avec les réminiscences du IIIe Reich. Cela n’empêche pas un de ses idéologues, Andreas Mölzer, d’estimer que le IIIe Reich était plus libéral, car moins tatillon, que l’Union européenne. Le même Mölzer avait été obligé en 2014 de renoncer à sa candidature au Parlement européen pour avoir déclaré que l’UE était un «conglomérat de nègres».

La crise des migrants pour chambre d'écho

Norbert Hofer est lui-même membre d’honneur d’une corporation étudiante pan-germanique où l’on se bat encore au sabre, mais il a laissé aux autres membres de son parti les déclarations extrémistes. Il s’est présenté comme le porte-parole d’un parti moderne, soucieux de prendre en compte les préoccupations des «vrais gens», critique envers ce qu’il appelle le «système», cet arrangement entre les deux grands partis traditionnels qui se partagent depuis sept décennies le pouvoir et les postes dans l’administration et les entreprises publiques.

Symboliquement, le jour d’un deuxième tour de la présidentielle en Autriche, un parti d’extrême droite a fait son entrée au parlement de Chypre

La crise des réfugiés lui a donné un regain de popularité. Avec son slogan «L’Autriche d’abord», paradoxal pour un candidat qui, il y a peu, doutait de l’existence d’une nation autrichienne distincte de la nation germanique, il a attiré les suffrages de toux ceux qui s’estiment les laissés pour compte de la mondialisation et craignent le dumping social. Les migrants, pensent-ils, menacent leurs avantages et leur identité. Werner Faymann, le chancelier social-démocrate qui a démissionné au lendemain du premier tour de la présidentielle, avait tenté de barrer la route au FPÖ en fermant les frontières autrichiennes aux réfugiés mais il n’a fait que légitimer leurs slogans xénophobes et antimusulmans.

La montée de l’extrême droite en Autriche reflète une tendance qui se répand en Europe depuis quelques années. Elle est partie de ce «populisme alpin» qui touche des régions riches comme la Suisse, avec Christoph Blocher, ou l’Italie, avec la Ligue du Nord. Elle s’apparente aux succès des partis autoritaires et identitaires en Europe centrale, avec le PIS de Jaroslaw Kaczinski en Pologne, Viktor Orban en Hongrie et, en Slovaquie, le populiste de gauche Fico allié à un parti xénophobe de droite. Elle renforce le mouvement «anti- système» dans l’Europe toute entière, de la Scandinavie à la Méditerranée –symboliquement, le jour d’un deuxième tour de la présidentielle en Autriche, un parti d’extrême droite a fait son entrée au parlement de Chypre. La courte victoire d’Alexander Van der Bellen montre que cette ascension de la droite extrême en Europe n’est pas irrésistible mais elle est insuffisante pour être célébrée comme un coup d’arrêt.

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