Sports

France-Irlande: les Bleus doivent redonner envie de les soutenir

Au lieu de snober les médias, Domenech et ses joueurs feraient mieux de transmettre leurs émotions au public.

Temps de lecture: 5 minutes

Cher Raymond Domenech,

Vous voilà prévenu et nous avec. Les 14 et 18 novembre, votre équipe de France de football, que dis-je notre équipe de France, jouera son avenir contre l'Irlande lors des barrages qui lui ouvriront ou lui fermeront les portes de la qualification pour la prochaine Coupe du Monde en Afrique du Sud, du 11 juin au 11 juillet 2010. Sur deux matches, le premier disputé à Dublin le 14, le second à Paris le 18, vos hommes auront leur destin, et nos petits cœurs chavirés d'angoisse (qu'ils ne les oublient pas), entre leurs pieds.

D'ici là, la pression va monter très fort, surtout pour vous, avec l'espoir, au bout de cette semaine que l'on anticipe insoutenable, de ne pas revivre le 18 novembre 2009 le cauchemar du 17 novembre 1993 quand l'équipe de France, alors cornaquée par votre collègue Gérard Houllier, avait laissé échapper sa qualification pour la Coupe du Monde 1994 aux Etats-Unis dans les arrêts de jeu d'une autre rencontre couperet contre la Bulgarie. Souvenez-vous Raymond, mais vous vous en souvenez certainement...

Petit rappel des faits néanmoins, pour (garder) la forme. Il y a 16 ans, au Parc des Princes, la France, qui n'a besoin que d'un match nul pour traverser l'Atlantique, perd tout en l'espace de quelques secondes après la 90e minute tandis que le tableau de score affiche 1-1. David Ginola oublie de jouer la montre, perd bêtement le ballon qui finit par arriver en trois ou quatre passes dans les pieds d'Emil Kostadinov dont la frappe, très sèche, envoie Bernard Lama aux fraises et la France aux enfers.

«C'est terrible!»

Je me remémore les mots de Gérard Houllier remercié illico presto. «C'est simple, nous étions des héros jusqu'à ce moment-là. Et tout à coup, de la manière la plus improbable qui soit, nous sommes devenus des zéros.» J'entends encore David Ginola hurler sa détresse au micro de TF1 : «C'est terrible! C'est terrible! Pas de Coupe du Monde! C'est terrible! Je n'ai pas de mots pour... Non, je n'ai pas de mots!» Et je revois encore la Une de L'Equipe qui avait titré quelques jours plus tôt «A nous l'Amérique!» à la veille d'un France-Israël qui aurait déjà dû soulager l'équipe de France.

C'est terrible! Pas de Coupe du Monde! Sanglotera-t-on, Raymond, les mêmes mots le 18 novembre prochain? En 1993, on avait l'habitude, me direz-vous, puisque la France n'avait pas participé, de la même manière, à la Coupe du Monde 1990 en Italie. Mais en 2010, une telle absence, vous le savez, serait carrément inacceptable parce que la France est devenue, nous sommes devenus, qu'on le veuille ou non, une grande nation du football à la faveur de ses (nos) triomphes à la Coupe du Monde 1998 et à l'Euro 2000 ou de cette autre finale de Coupe du Monde perdue avec vous en 2006.

La France va mal, très mal vous le savez Raymond. Le tableau de l'économie, en 2009, est encore plus sombre qu'en 1993, autre année de récession. 1993, vous vous rappelez Raymond? Ne pas aller en Afrique du Sud serait vécu douloureusement, cruellement, par TF1, bien sûr, par tous ces sponsors qui égayent vos survêtements, mais surtout par tout un pays qui a besoin de pouvoir espérer, de pouvoir encore y croire, au moins jusqu'en juin prochain. La politique ne nous fait plus rêver, inutile de vous faire un dessin Raymond, alors que l'équipe de France de football a encore cette magie unique de rassembler devant un poste de télévision et de faire descendre des millions de gens dans nos rues, à la même minute, à la même seconde. Raymond, sérieusement, croyez-vous qu'on sera capable de se passionner pour un Danemark-Corée du Nord à Durban si, dans le même temps, Franck Ribéry se dore la pilule à Ibiza ou si Samir Nasri se roule dans les vagues de Miami Beach? Oui, il est de votre devoir de nous qualifier...

Jeu médiatique

Michel Platini a peut-être raison quand il dit que la France n'a pas actuellement une grande génération de joueurs. Quant à la presse, elle ne cache pas non plus ses doutes à votre sujet, et cela depuis longtemps. Vous n'ignorez pas qu'en cas de Waterloo au Stade de France, elle vous taillera en pièces, comme vos joueurs d'ailleurs, qui ne manqueront pas alors d'ouvrir leur cœur plein de ressentiment. C'est la règle du jeu médiatique avec laquelle vous avez joué, et jouez encore, si mal, mais, à votre décharge, vos prédécesseurs, Roger Lemerre et Jacques Santini, mutiques parmi les mutiques, avaient fait dans leur genre pire que vous dans ce domaine. Il faudra un jour que la Fédération française de football explique clairement pourquoi elle persiste à confier le destin des Bleus à des personnages aussi peu enclins à ouvrir leur bouche à l'ère de la communication tous azimuts.

Vous vous défiez des journalistes que vous continuez de prendre de très haut, sans être heureusement maradonesque, enfin pas encore. «Après quarante ans, on ne change plus les rayures du zèbre», vient de dire Gérard Houllier au sujet de votre communication toujours aussi déficiente. Lorsqu'il s'agira de tracer le bilan de vos fonctions, ce sera, je le crains, votre pire échec. Et encore avez-vous eu la chance de ne subir que les foudres de la presse française. En Angleterre, en Italie, en Espagne, en Allemagne, il y a bien longtemps que vous auriez été emporté par une vague d'articles incendiaires qui vous aurait enseveli pour de bon après l'échec sans appel de l'Euro 2008. Vous avez clairement manqué d'humilité et vous vous êtes mis hors-jeu tout seul. «Heureusement que les lois d'exception et la guillotine n'existent plus, sinon certains parmi vous se feraient un malin plaisir de m'envoyer sur l'échafaud...», aviez-vous osé exagérer un jour.

Vous n'avez pas été aidé, c'est un fait, par des joueurs qui prennent la tangente lorsque survient un porteur de micro ou de crayon quand ils ne mettent pas les voiles, écouteurs sur les oreilles, à la vue d'un amateur d'autographe. Savez-vous, Raymond, qu'aux Etats-Unis, en NBA (basket), en NFL (football), NHL (hockey), MLB (baseball), les journalistes dûment accrédités ont accès aux vestiaires 1h30 avant le début de chaque rencontre pour y faire leur métier. Et que ces mêmes vestiaires leur sont ouverts pendant environ 45 minutes après chaque match, période pendant laquelle tous les reporters peuvent poser des questions à qui bon leur semble, y compris à des monstres sacrés comme Kobe Bryant ou Shaquille O'Neal, obligés de se conformer à cette règle professionnelle. Les sports US, qui ne transigent pas dans ce domaine, ont bien compris que le journaliste n'est pas l'ennemi du champion, bien au contraire, et qu'il est un vecteur de transmission entre le sportif et le public dont la ferveur, notez-le Raymond, rend ces vedettes riches à millions.

Parler peut faire du bien

«Parler aux journalistes me fait du bien, disait un jour Roger Federer qui aligne, à chaque match, les conférences de presse en anglais, en suisse allemand et en français (radio, télé, presse écrite). Ça m'aide à mettre des mots sur une victoire ou sur une défaite.» Au cas où vous l'ignoreriez, Raymond, vous l'adepte du cordon sanitaire entre joueurs et medias, tous les joueurs de tennis professionnels sont obligés de se présenter en conférence de presse à partir du moment où un seul journaliste en a fait la demande sinon ils écopent d'une amende. Eh oui, Raymond, parler à des journalistes peut faire du bien et rendre aimable et populaire - transmettez l'info à vos troupes. A ce propos, que votre chère Ligue Professionnelle de Football en prenne notamment de la graine. Cette ligue qui a une vraie révolution à faire dans ses rangs pour pacifier bon nombre de clubs en France qui entretiennent l'autisme de leurs joueurs payés à millions qui font à peu près ce qu'ils veulent sur le plan de leur devoir médiatique, c'est-à-dire pas grand-chose ou carrément rien, comme Yoann Gourcuff.

Alors avant cet inquiétant France-Irlande, surprenez-nous. Communiquez. Souriez. Expliquez. Echangez. Battez le rappel. Exigez que tous les joueurs de l'équipe de France enlèvent leurs casques, ne fassent plus la gueule et se pressent devant les micros pour nous faire partager leurs émotions et leurs attentes à l'aube de ce rendez-vous au sommet. Faites monter la sauce. Donnez-nous envie de vous soutenir, de vibrer pour vous et pour vos choix. Pour que Catherine Ringer, et Estelle Denis, ne soient pas les seules à vous kiffer. Pour que quelque chose change vraiment en quelques jours dans cette équipe de France. Pour qu'on aille tous en Afrique du Sud.

Yannick Cochennec

Image de Une: Supporters français au Stade de France, REUTERS/Benoit Tessier

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