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Twitter, le tout à l'ego

Pourquoi ce réseau social ne va pas conquérir le monde.

Temps de lecture: 5 minutes

Alors que l'ensemble de mes confrères n'a que Twitter à la bouche et sur l'écran, depuis le début je résiste à cette déferlante. Mais entendons-nous bien, je ne suis pas dans une posture gaullienne, je ne me dresse pas pour proclamer que Twitter ne passera pas par moi. Ma résistance est molle, je n'ai aucunement besoin de mobiliser mon immense volonté pour lutter contre. Simplement, Twitter ne m'attire pas. Je suis inscrite évidemment. J'ai dû publier trois tweets en deux ans mais je n'aime pas. Or ce qui dans le milieu du journalisme et du blog donne de moi une image d'excentrique («ah oui, c'est toi qui aimes pas Twitter, c'est ça ? ») fait en réalité de mon humble personne une utilisatrice totalement représentative, archétypale du site de micro-blogging : je ne suis pas anti-Twitter, je suis simplement l'utilisatrice Twitter lambda.

Si les journalistes ne cessent de tweeter et de parler de Twitter dans leurs articles, ils sont en partie victimes d'un effet de loupe déformant. Ils oublient que l'énorme majorité des internautes, et donc de ceux qui les lisent, ne l'utilisent pas. Certes, on a été bluffé par l'augmentation exponentielle du nombre d'inscriptions - et encore, il semble bien marquer le pas. Mais évaluer la valeur d'un site en ne prenant en compte que son nombre d'inscrits donne une vision totalement erronée de la réalité. C'est appliquer sur le web une grille d'analyse qui ne fonctionne pas. A combien de sites êtes-vous vous-mêmes inscrits dont vous ne vous servez pas? Ce qui compte pour évaluer un site n'est pas le nombre d'inscrits, qu'on confond trop souvent avec le nombre d'utilisateurs, mais le nombre d'utilisateurs actifs.

Or, selon une étude menée sur 300.542 inscrits, choisis au hasard en mai 2009, 10% des utilisateurs de Twitter génèrent 90% du contenu. 60% de ceux qui s'inscrivent abandonnent au bout d'un mois (mais restent la plupart du temps comptabilisés dans les utilisateurs, on voit donc que le nombre de nouveaux inscrits montre davantage la curiosité pour le site que l'intérêt réel qu'il génère). Et le temps de latence entre deux tweets serait de 74 jours. Ce qui tendrait à prouver d'abord que je suis bien une utilisatrice lambda, et ensuite que Twitter est un service à sens unique, pas si 2.0 qu'on le pense.

Pourquoi Twitter ne va pas conquérir le monde

J'ai eu beau répéter que Twitter, c'était sacrément nase, au bout d'un moment, il a bien fallu que je trouve d'autres arguments que «j'aime pas, 140 signes c'est nul, les crashs d'avion en direct je m'en fous, je suis pas Iranienne, ça me sert à rien». Finalement, trouver des arguments expliquant mon désintérêt total pour la chose n'a pas été si compliqué que ça. Parce que, si on y réfléchit bien, quel est l'intérêt de Twitter pour des gens qui ne peuvent pas tweeter en exclusivité une baisse du taux directeur de la FED? A peu près zéro, en tout cas, en l'état actuel des choses. Si sur Facebook, vous risquez un jour d'avoir une demande d'ami venant de votre mère, la probabilité pour que ça arrive sur Twitter est nulle. L'info en temps réel qui fascine tant les journalistes n'est pas une drogue universelle. Twitter est une avancée technologique incontestable, ne serait-ce que pour l'excellence de son moteur de recherche, une étape importante dans l'histoire des réseaux. Pour autant, il n'est précisément qu'une étape. L'info en temps réel qui servirait le plus grand nombre d'utilisateurs serait l'info de proximité. Par exemple, si toutes les écoles avaient un compte twitter, elles pourraient tenir informés les parents d'élèves de l'absence des professeurs au jour le jour. De même, le twitter de la ligne de métro 7 aurait pu me prévenir que les trains ne s'arrêtaient pas à la station Opéra jeudi matin. Le regroupement de toutes ces infos de proximité serait intéressant et pourrait constituer un développement possible pour le site. Sauf que, à terme, ces infos pourraient tout aussi bien exister sur Facebook, à travers les «feeds». Pour cela, Facebook a mis en place deux innovations. La refonte des pages officielles dont on peut devenir «fan». Et surtout, le paramétrage plus précis de ces actualités qui apparaissent sur votre home page. Vous pouvez choisir de masquer certaines applications (par exemple: masquer l'application "Paf le chien") et vous pouvez masquer toutes les actualités d'une personne, ce qui permet d'avoir un fil dans lequel n'apparaissent plus que les gens et les types d'infos qui vous intéressent.

La veille Internet

Un des arguments pro-Twitter, c'est l'utilisation du service comme d'une veille Internet. En choisissant les gens que vous suivez, vous savez qu'ils vous tiendront au courant d'un certain type d'informations et partageront avec vous les liens web du jour qui leur ont semblé les plus intéressants. Ils font donc à votre place une partie du travail de surveillance de ce qui se passe sur Internet. Mais là encore, il s'agit d'une fonctionnalité qui n'intéresse que les spécialistes. Certes, tout le monde aime envoyer des liens à ses amis et faire tourner le «lol». Mais on le fait soit par mails parce que le lien en question s'adresse à un ami précis, soit en statut Facebook - toujours dans l'idée de partager avec ses amis, mais cette fois la totalité d'entre eux. Or sur Twitter, la constitution de l'audience ne rejoint pas celle du réseau d'amis. Publier un lien sur Twitter, ce n'est pas offrir du lol à ses potes, c'est nourrir son audience, cultiver son personal branding - toute chose dont le quidam se contrefout.

Le personal branding justement

Argument ultime: «tu devrais te servir de Twitter pour développer ton audience». Mais les gens veulent-ils vraiment développer leur audience? La plupart des internautes font attention à leur image sur Internet, à leur identité numérique. Pour autant, il ne s'agit pas de se constituer en marque. Il y a fort à parier qu'ils n'en voient pas l'intérêt. Là où une petite portion des internautes, journalistes, technophiles, veut être la première à dénicher tel lien, à rapporter telle actu, les autres internautes préfèrent parler de la vidéo que tout le monde a vue. Pour eux, l'Internet 2.0, ce n'est pas le travail, ce sont des moments de détente au milieu de la journée de boulot. Leur identité numérique n'a pas pour finalité de se créer une notoriété mais simplement de maintenir le contact avec son réseau d'amis, de draguer et de se marrer.

Mais pourtant, je rentre dans la cible de Twitter...

En reprenant tous ces points, je constate que Twitter s'adresse à une cible bien précise dont je fais a priori partie. Alors pourquoi une journaliste/blogueuse ne sert pas de Twitter pour se faire connaître?

D'abord se faire connaître pour quoi? La limite de signes interdit la création de contenu. Il ne s'agit donc que de faire circuler les liens - ce qu'on appelle le web de flux. Agréger des liens c'est bien vouloir se créer une audience. Après tout, pourquoi pas, mais tout le monde ne pourra pas le faire et c'est tant mieux. Si toute la blogosphère migre sur Twitter, qui va créer du fond? Parce que, pour balancer un lien, il faut bien que quelqu'un quelque part ait fait quelque chose, écrit un article, monté une vidéo, pris une photo. Proclamer la toute-puissance de Twitter et du web de flux, c'est oublier que le site n'est en réalité qu'un moyen d'accéder plus facilement au web de «fond». Il ne s'agit pas d'une pratique Internet supérieure. Et à tout prendre, je préfère passer une heure à bloguer qu'à tweeter ce que d'autres ont écrit.

L'autre dérive qui m'a convaincue d'arrêter Twitter si rapidement que je n'ai même pas commencé, c'est l'ambiance de la twitosphère française. Soyons clairs: le twitter français c'est le plus grand concours de bites jamais organisé dans notre pays. Un genre d'olympiade du phallus. (Auquel les femmes participent évidemment mais plus souvent en tant que spectatrices depuis les gradins: si les filles sont très suivies, elles seraient beaucoup moins retweetées que les hommes.) Un concours de mesquineries qui ne semble pas avoir lieu aux Etats-Unis où les tweets ont une portée plus positive, servent à faire connaître plutôt qu'à dézinguer. A l'inverse, en France, les clashs publics entre utilisateurs se multiplient et deviennent un moyen d'affirmer sa puissance virile, quitte à dire des choses pas totalement justes, 140 signes obligent, mais dont on est certain que ça va créer... du buzz. Du buzz sur sa marque personnelle. Et «buzz» + «personal branding» n'est pas précisément l'équation de ce qu'on a fait de mieux sur internet.

Titiou Lecoq

Image de une: CC Flickr E|...|

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