Santé / Égalités

À partir de quand un harceleur sexuel est-il «malade»?

Tous les harceleurs sexuels ne sont pas atteints de pathologies mentales, expliquent trois psychiatres spécialistes du sujet.

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Peu de harceleurs sexuels sont considérés comme «malades» au sens clinique du terme | Michael via Flickr CC License by

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Lorsqu’éclatent des affaires de harcèlement sexuel, de nombreux commentateurs essaient de pathologiser les comportements des agresseurs potentiels ou avérés. Comme lors de «l’affaire DSK»: l’ex-directeur général du FMI cumulant soupçons de harcèlement sexuel et accusation d’agression sexuelle. «Cet homme est malade. Cela relève de la pathologie», a aussi déclaré Isabelle Attard, députée du Calvados, au sujet de Denis Baupin, ex-vice-président de l’Assemblée nationale, dont elle a reçu des dizaines de SMS graveleux et des propositions indécentes. 

Si Dominique Strauss-Kahn a admis lui-même être malade, selon l’un de ses amis, tous les harceleurs sexuels ne le sont pas, nous expliquent trois psychiatres, Charles-Siegfried Peretti, Mathieu Lacambre et Roland Couteanceau. Des experts avaient d’ailleurs expliqué que Georges Tron, homme politique mis en examen pour viols et agression sexuelle, avait une «personnalité normale, exempte de pathologie mentale».

Harcèlement sexuel ≠ agression sexuelle

Il faut d’abord bien définir le harcèlement sexuel: c’est le fait de soumettre une personne de manière répétée à «des propos ou comportements à connotation sexuelle» qui «portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant» ou «créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante», selon la loi. Peut aussi être qualifié de harcèlement sexuel  «toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle» même si cette pression n'est pas répétée.

Il faut bien distinguer le harcèlement de l'agression sexuelle, explique le professeur Peretti, chef de service à l’hopital Saint-Antoine, qui a lancé une cellule d’accueil psychologique pour les victimes de harcèlement sexuel et un numéro vert[1]. Une agression est une atteinte sexuelle commise par un individu sans le consentement de la personne agressée, comme le résume le site officiel service-public.fr. Comme toucher les fesses ou les seins de quelqu'un, ou embrasser de force.

Le harcèlement s’effectue souvent en utilisant des images dégradantes ou en soumettant la personne à des pressions, qui vont conduire à une diminution de l’estime de soi chez la victime. Ces pressions ont lieu majoritairement dans des lieux de pouvoir comme le lieu de travail, et les harceleurs sont dans environ 18% des cas des patrons, et dans 40% des cas des collègues.

Pas tous des «malades»

Mais peu sont considérés comme «malades» au sens clinique du terme, même s’il y a des tendances, ou des traits de personnalités, qui, poussés plus loin, peuvent devenir pathologiques. «La pathologie mentale est très peu représentée dans ces situations», rapporte le professeur Peretti. «Ce sont souvent des gens très imbus d’eux-mêmes, intrusifs», explique le spécialiste, qui vont utiliser leur pouvoir ou leur intelligence pour «conduire la victime dans une ambiance de huis clos, comme une proie face au prédateur».

Ce sont souvent des gens très imbus d’eux-mêmes, intrusifs, [qui vont] conduire la victime dans une ambiance de huis clos, comme une proie face au prédateur

Pr. Charles-Siegfried Peretti, qui a lancé une cellule d’accueil psychologique pour les victimes de harcèlement sexuel et un numéro vert

«Le comportement peut être dit “maladif”, mais ce n’est pas une maladie au sens du psychiatre: elle ne se traite pas par des médicaments, mais par le comportement. Et quand ils disent qu’ils ne peuvent pas s’en empêcher, ce n’est pas vrai», complète le professeur Roland Coutanceau, spécialiste reconnu de la violence sexuelle et auteur de nombreux livres sur le sujet.

Idiots, manipulateurs, provocateurs

L’expert psychiatre distingue trois types de personnes, qu’il nomme ainsi:

  • L’«idiot», qui, selon lui, a «une perception biaisée de la réalité psychique de la femme», estimant qu’une femme libre qui n’a pas d’homme «est dispo pour bibi».
  • Le «manipulateur», qui, pour obtenir, des faveurs sexuelles fera miroiter des bonus ou menacera de sanctions.
  • Le «provocateur», qui prend un malin plaisir à déstabiliser: «C’est quelqu’un d’un peu sadique, qui a plaisir à faire chier l’autre, et utilise la sexualité pour gêner ou choquer. Si une femme rougit, c’est déjà un premier plaisir pour lui», analyse Roland Coutanceau.

Pour mieux comprendre le harcèlement, on peut aussi essayer de le penser en termes de champs plutôt que de types de personnes. Roland Coutanceau estime que les harceleurs vont être plus ou moins dans le «champ de la sexualité», ou plus ou moins dans le «champ de la personnalité»:

  • Ceux qui sont davantage dans le champ de la sexualité ont un rapport «obsédant» au sexe, et des fantasmes très présents, dont ils ont du mal à se «débrancher». Les refus sont vécus comme des frustrations.
  • Ceux qui sont plus dans le champ de la personnalité sont plus égocentriques, avec «une dimension mégalomaniaque et phallocrate dans le rapport aux femmes et un imaginaire domjuanesque». L’absence de réalisation est cette fois-ci vécue «comme une faiblesse».

Pervers et addicts

Il existe cependant environ un tiers de cas, selon Charles-Siegfried Peretti, où le harcèlement est pathologique, le plus souvent associé à la perversion ou l’addiction. On distingue alors deux grands types de «malades», même si les psychiatres évitent d’employer ce mot: les «addicts» et les «pervers». Le premier cas est illustré selon le psychiatre par ce qui s’est dégagé de l’affaire DSK: «C’est quelqu’un qui a besoin de consommer.»

Le pervers, lui, qu’il soit un «pervers narcissique» ou un «pervers tout court», chosifie la femme, avec laquelle il entretient un rapport de domination. Elle devient un objet, un «support de la jouissance», selon Mathieu Lacambre, psychiatre et président de la fédération des Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs). «Mais ils n’ont pas la bave aux lèvres», prévient Charles-Siegfried Peretti, soucieux d’éviter toute représentation exagérée de ces patients, qui peuvent prendre une apparence tout à fait normale, ce qui rend d’autant plus délicat leur identification.

Enfin, un troisième cas moins répandu et aujourd’hui «plutôt féminin», selon Mathieu Lacambre, relève de la paranoïa. Ce sont les «stalkers», des érotomanes persuadés qu’ils sont aimés d’une personne qu’ils ont identifiée. Comme ces fans qui tombent amoureux de stars. Ou ces patients qui s’entichent de leur soignant, d’après le fameux processus de «transfert», décrit par le psychanalyste Jacques Lacan.

Sortir de la bulle

Plus généralement, le harcèlement sexuel peut être associé à tout un tas de troubles, dont il n’est qu’un des symptômes, comme la dépression ou la névrose. «Ce n’est alors pas le harcèlement qui est maladif en lui-même», précise Mathieu Lacambre.

Qu’il soit malade ou non, il y a, selon Roland Coutanceau, un bon moyen de stopper les harceleurs. Il faut selon l’expert les menacer de dévoiler tout publiquement:

«Je connais des histoires de harceleurs qui se sont arrêtés d’un coup parce que quelqu’un leur a dit “si tu continues je le dis à tout le monde” ou “attention, si tu ne t’arrêtes pas, je le dis à ta femme”. Le contre-chantage de la victime, s’il est aussi puissant que celui du harceleur, marche souvent. L’important pour la victime, c’est de sortir au plus vite de la bulle que le harceleur essaie de créer autour d’elle.»

1 — Le numéro vert dédié au harcèlement sexuel est le 0 800 00 46 41. On peut appeler cette ligne du lundi au vendredi de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 16 heures. Retourner à l’article


 

 

Mise à jour du 14 mai à 11h40: Nous avons complété la définition du harcèlement sexuel, sur les conseils de Muriel Salmona, présidente de l'association Mémoire Traumatique et Victimologie

 

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