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En voulant manger comme chez eux, les migrants se mettent en danger

Les migrants veulent continuer à manger la cuisine de leur région d'origine. Un réflexe compréhensible mais aussi coûteux, tant il est un important facteur de précarité et de risque de malnutrition.

Des enfants réfugiés prennent leur repas dans un camp à la frontière gréco-macédonienne près d’Idomeni, le 14 avril 2016 (image d’illustration) | DANIEL MIHAILESCU/AFP
Des enfants réfugiés prennent leur repas dans un camp à la frontière gréco-macédonienne près d’Idomeni, le 14 avril 2016 (image d’illustration) | DANIEL MIHAILESCU/AFP

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur American Economic Review, MIT

La cuisine, comme le chantait Juliette Gréco, ça retient peut-être les petits maris qui se débinent mais c’est aussi et surtout un moyen simple et universel de se créer un «chez soi», d’autant plus quand vous êtes déracinés. Une étude menée par David Atkin, chercheur en économie au MIT, montre que cette envie, ô combien courante et compréhensible, peut aggraver la précarité des migrants, des populations d’ores et déjà défavorisées.

Publiée dans le numéro d’avril de l’American Economic Review, l’étude met notamment en lumière la «taxe calorique» à laquelle les migrants fidèles aux recettes de leur ancien lieu de vie risquent d’être soumis: parce que leurs aliments préférés sont désormais plus chers, ils réduisent d’en moyenne 7,2% leurs apports caloriques. Et, même dans les foyers les plus pauvres, et donc les plus contraints à adapter leur alimentation aux produits locaux et économiquement les plus accessibles, le scientifique observe une réduction calorique de 5,3%.

Atkin a analysé des statistiques concernant 125.000 foyers, dont 6% de migrants, déplacés entre différentes régions indiennes de 1983 à 1988. En Inde, un foyer est mal nourri quand il consomme moins de 2400 kilocalories par jour et par personne dans les campagnes, et moins de 2100 kilocalories par jour et par personne en ville –le mode de vie rural étant physiquement plus exigeant. Résultat: 66% des foyers ruraux et 60% des foyers urbains souffraient de malnutrition.

«Les migrants continuent à consommer les aliments qui étaient populaires dans leur région d’origine, explique Atkin. Cela n’a rien de surprenant a priori. En Inde, par contre, où [les migrants] sont souvent au bord de la malnutrition, on peut s’étonner de les voir consommer des aliments devenus relativement chers.» Ce qui aggrave leur précarité et menace leur survie.

Inadaptation alimentaire

Par ailleurs, l’étude révèle un problème d’adaptation alimentaire d’autant plus délétère pour les migrants nord/sud, comparés à ceux originaires de l’est du pays et déplacés vers l’ouest. «Quand vous passez du nord au sud [en Inde], vous partez de régions où la base de l’alimentation est le blé à des régions où c’est le riz, précise l’économiste, et la différence de prix entre les deux signifie que ces populations peuvent être très défavorisées.»

Les femmes sont plus enclines à sacrifier leurs préférences alimentaires et à faire avec les moyens du bord

Un risque économique et nutritionnel qui n’est pas le même selon le sexe: si c’est le mari qui est migrant, alors le foyer aura d’autant plus de mal à s’adapter et souffrira d’autant plus de la «taxe calorique». Parce qu’un homme a tendance à «exiger du riz même s’il s’est installé dans une région où l’on consomme typiquement du blé», ajoute Atkin. Les femmes, à l’inverse, sont plus enclines à sacrifier leurs préférences alimentaires et à faire avec les moyens du bord.

Selon Nancy Qian, chercheuse en économie à Yale, l’étude d’Atkin est «très solide». «C’est un témoignage très puissant de l’importance des normes et des habitudes culturelles», commente-t-elle.

Programmes nutritionnels

Si on pourrait croire que l’ancienneté des données sur lesquelles Atkin a travaillé limite la portée de son étude, l’économiste y précise qu’elles ne sont pas les seules à permettre une certaine généralisation de ses conclusions. Ainsi, quand le gouvernement britannique avait, en 1945, passé au crible la famine catastrophique survenue dans la région du Bengale en 1943, il avait lui aussi observé que les migrants originaires de régions oryzivores avaient eu énormément de mal à s’adapter à un régime riche en blé, quitte à souffrir encore plus de la faim.

Au final, Atkin voudrait que son étude serve notamment à améliorer les programmes d’aide alimentaire. Par exemple, vouloir lutter contre la faim en Afrique en envoyant des caisses de maïs jaune n’est pas une bonne idée, vu que beaucoup d’Africains préfèrent le blanc et considèrent le jaune, au mieux, comme bon à nourrir le bétail –un enjeu loin d’être superficiel, comme l’ont attesté les «révoltes du maïs jaune» au Kenya.

«Il faut prendre en compte les préférences des populations lorsqu’on conçoit des programmes nutritionnels ou de lutte contre la faim. Il est important que ces programmes soient conscients de ce que les gens aiment manger», conclut Atkin. Une diversité gustative qui, comme son étude et l’histoire le prouvent, est à dix mille lieues du «caprice»

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