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Comment une cité maya a été découverte... puis perdue

Retour sur quatre jours d'informations contradictoires autour de la trouvaille d'un adolescent québecois.

<a href="https://www.flickr.com/photos/redeo/4789702423/in/photolist-8iftEg-8ifu3p-nP3w8z-8iiLuS-8ifzgP-8ifunn-8iiKaC-8ifwHv-8iftcc-8iiHxd-8iiNYS-8iiMNf-8iiKRN-8ifuHT-8iiMrh-8iiM7N-pUTDd1-8ifsRK-8iiGxm-4nH3fW-4nCMJn-8inxjC-6W2epe-86CaQ5-8dKerm-8ifw3z-88dJ3e-4nCWSz-8ifzEc-gb5j4y-9UcgdH-85oJnn-8iiNeA-83hLmW-8iiQbC-pMv624-7wHDis-nB2sEm-3vZCU-bBvtnv-pMhhzG-857CPg-8bge9o-9YX8tq-nTnxsf-852YZL-cfeipj-4rohxt-7wJCye-88Rhtq">Maya City of Tulum</a> | Pascal via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Maya City of Tulum | Pascal via Flickr CC License by

Temps de lecture: 4 minutes

Tout est parti d'un article d'un tabloïd canadien. «Un ado découvre une cité maya», titre le Journal de Montréal, samedi 7 mai. Quatre jours plus tard, l'article a été partagé un peu plus de 140.000 fois sur Facebook et repris un peu partout de la presse américaine à la presse française, en passant par la presse britanniquela presse espagnole et la presse italienne. Le seul problème, c'est que l'histoire était sans doute trop belle pour être vraie.

Revenons au point de départ. Samedi, le tabloïd canadien annonce que William Gadoury, un Québécois de 15 ans, «a découvert une nouvelle cité maya jusque-là méconnue grâce à sa théorie selon laquelle cette civilisation choisissait l’emplacement de ses villes selon la forme des constellations d’étoiles».

Quelques médias repèrent l'information et la relaient, pendant que d'autres –comme Sciences et Avenir– préfèrent rester en retrait. Le JT de France 2 réalise également un sujet dans son 20 heures du 9 mai.


Mais avant même ces articles, les premiers doutent émergent. En France, parmi les premiers à remettre en cause l'information, on trouve, dès le 7 mai, un groupe Facebook intitulé Archéologie et Zététique. Deux jours plus tard, L'Obs raconte l'histoire de l'adolescent avant de conclure sur un paragraphe qui émet l'hypothèse d'un hoax:

«Pour l'instant, aucun site n'a publié les fameuses cartes des constellations qui ont permis à William de faire sa découverte. Et alors que, dans le texte de l'article du Journal de Montréal, la cité est située au Mexique, sur la carte, le point correspondant se trouve au Belize. Sur le site Hoaxbuster, fselsiss33 note:

 

“Je n'ai trouvé aucun article scientifique sur le sujet et aucune mention sur des sites/forums d'archéologie.”

 

Autre fait étrange: à la fin de l'article, le Journal de Montréal fait un appel aux dons. À suivre...»

Sur Reddit, un archéologue spécialiste de la Méso-Amérique souligne quelques incohérences, pendant qu'un autre prend le pari que c'est «n'importe quoi».

«Les gens qui ont publié cette découverte n'ont pas regardé de carte!»

Le lendemain, c'est au tour d'Arrêt sur Images de tenter de démêler le vrai du faux. Le site sollicite notamment l'archéologue Marie-Charlotte Arnauld, qui explique que toute cette histoire est aberrante. De son côté, le professeur d'archéologie précolombienne Éric Taladoire émet l'idée que toute l'affaire n'est qu'un hoax bien préparé, en raison notamment de l'existence d'une page Wikipédia très complète sur l'adolescent.

Télérama se pose également la question:

«Info pas vérifiée, naïveté des premiers à l'avoir relayée, ou manipulation savamment orchestrée: difficile, pour l'heure, d'éclaircir ce mystère.»

En se plongeant dans l'historique de Wikipédia, on découvre que c'est un utilisateur assez actif sur différents sujets qui publie une page déjà très complète le 7 mai, quelques heures après l'article initial du Journal de Montréal. Le tout à partir de deux sources: l'article du quotidien et le site de l'académie de l'adolescent.

Mais @si et L'Obs ne sont pas les seuls à se poser des questions. Dans le même temps, Ouest-France relaie l'information, laissant en suspens des questions restées jusque-là sans réponse:

«Les Mayas choisissaient-ils réellement l’emplacement de leurs cités selon les constellations? [...]

 

Pour superposer une image de constellations à une carte, il faut que les deux images soient à une certaine échelle. Comment les échelles de chaque image ont-elles été déterminées?»

Le 11 mai, c'est Le Figaro qui s'en prend à son tour à cette découverte, donnant lui aussi la parole à Éric Taladoire, qui assure avoir contacté les auteurs pour leur exprimer ses doutes:

«Quand on a signalé que la carte était fausse, elle a disparu et été remplacée par une autre carte, le site maya s'était soudainement déplacé de 200 ou 300 kilomètres... On passe du Belize au Mexique, s'étonne-t-il ironiquement. Nous travaillons depuis vingt ans dans cette région, une équipe de chercheurs slovènes a ratissé toute cette jungle, et on aurait rien trouvé? On a été jusqu'à 80 ouvriers sur place! On nous parle de lieux inaccessibles et reculés, or il y a des routes et des habitants sur ces lieux. Les gens qui ont publié cette découverte n'ont pas regardé de carte! Avec les données satellites qui circulent pour décrire le lieu de cette "cité inconnue", sur Google Earth, on peut voir une petite maison et un hamac, et ce qu'on pourrait décrire comme une pyramide serait en fait une plantation de cannabis!»

La carte qu'il met en cause, c'est celle-ci. Elle plaçait la découverte du jeune Québécois au Belize et non au Mexique:

Un «horrible exemple de science à deux balles»

La presse française n'est pas la seule à publier des mises en garde. Après avoir dans un premier temps raconté cette découverte, Gizmodo a réalisé plusieurs mises à jour plus sceptiques dans la nuit du 10 au 11 mai. On peut notamment y lire un anthropologue de l'université du Texas à Austin, qui estime sur son compte Facebook que tout ceci est un «horrible exemple de science à deux balles».

Un autre anthropologue rattaché à USC Dornsife félicite l'adolescent pour sa tentative mais estime que la cité maya est, en réalité, un vestige de champs de maïs. Wired, de son côté, souligne que les experts sont sceptiques sur la question des constellations, un point déjà mis en avant sur Arrêt sur Images:

«“Cette histoire de planification de l'ensemble des cités en fonction des constellations est une aberration”, explique Marie-Charlotte Arnauld. “Les constellations sont des constructions culturelles (il s'agit juste de relier des points), les nôtres nous viennent des Grecs!” En clair, utiliser des constellations grecques comme Cassiopée et les appliquer aux civilisations mayas serait une hérésie.»

En Espagne, Verne, la section d'El Pais qui traite les actualités liées au web, met également en avant les doutes des experts.

En France, les articles qui expliquent que la cité maya n'a finalement pas été découverte commencent à se multiplier. Après Le Figaro et Arrêt sur Images, Métro, 20 Minutes, L'Express, ou encore Sud Ouest se demandent si toute cette histoire n'est pas trop belle pour être vraie. Mais dans toute cette affaire, l'erreur finale serait peut-être de placer la faute sur les épaules de l'adolescent. Comme le conclut justement Wired:

«Le fait qu'un adolescent se pose assez de questions pour se plonger autant dans les cités mayas et les constellations est génial. La possibilité d'utiliser des imageries satellites en archéologie est également géniale. Mais n'en faisons pas trop.»

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