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Manger bio a-t-il un sens?

TRIBUNE. Il faut cesser d’attribuer de fausses vertus à l’agriculture biologique, souligne Gérard Kafadaroff, ingénieur agronome.

Oranges biologiques, le 15 février 2012 au salon BioFach, à Nuremberg, en Allemagne | DAVID EBENER/DPA/AFP
Oranges biologiques, le 15 février 2012 au salon BioFach, à Nuremberg, en Allemagne | DAVID EBENER/DPA/AFP

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Le bio est dans l’air du temps et les produits estampillés AB bénéficient d’une bonne image auprès des consommateurs. Beaucoup moins pour les agriculteurs, qui consacraient en 2014 moins de 5% des surfaces agricoles à l’agriculture biologique.

Gouvernements, associations écologistes, grande distribution alimentaire, médias, se retrouvent pour vanter les vertus des produits bio. Et cette frénésie nous fait découvrir des produits insolites comme la limonade bio, les pneus bio, les jeans bio, les «cigarettes bio et équitables», les couches bio, les shampoings bio, les aliments bio pour chats jusqu’au «cercueil bio pour les amoureux de la nature»! Un fourre-tout qui s’éloigne de la définition donnée à l’agriculture biologique (AB). Rappelons que l’AB se caractérise par l’adoption de méthodes de production agricoles excluant les produits chimiques de synthèse (pesticides, engrais), les OGM et, selon le ministère de l’Agriculture, «trouvant son originalité dans le recours à des pratiques culturales et d’élevage soucieuses du respect des équilibres naturels». Contrôlée par des organismes certificateurs, elle est régie par un cahier des charges sans être soumise à une obligation de résultats.

Reste que, si le bio est tendance, c’est que le consommateur attend surtout des produits bio des bénéfices pour sa santé, accessoirement pour l’environnement. Qu’en est-il réellement?

Déferlante verte du politiquement correct

Les nombreuses études scientifiques réalisées depuis plusieurs décennies n’ont pas permis de mettre en évidence des bénéfices sanitaires significatifs pour l’AB. Des travaux de l’Afssa en 2003 à ceux de l’Efsa en 2015 en passant par l’étude de l’Inra de 2013 ou les recherches menées par l’université de Stanford en 2012 (liste non exhaustive), les conclusions sont identiques: pas de bénéfices significatifs pour la santé! Seuls points positifs: moins de résidus de pesticides de synthèse (les pesticides «naturels» utilisés en bio n’ont pas été recherchés) et teneurs en antioxydants légèrement plus fortes dans les fruits (avantage mineur puisque les fruits contribuent faiblement à l’apport d’antioxydants dans le régime alimentaire). À l’inverse, un plus grand nombre de contaminants biologiques a été décelé. Mais que comptent les austères avis scientifiques face à la détermination militante des écologistes, au marketing agressif des groupes comme Carrefour ou Auchan et à la déferlante verte et bio du politiquement correct?

Les contaminants biologiques (mycotoxines, bactéries) ne sont-ils pas pour l’AB une menace sanitaire autrement plus inquiétante que celle non prouvée des résidus de pesticides détectés à des doses très inférieures au seuil de dangerosité ou celle illusoire des OGM, qui justement permettent de réduire l’utilisation de pesticides?

En 2011, une sévère épidémie de gastro-entérite a frappé l’Allemagne, causant 3.000 malades et 43 décès. Après avoir incriminé à tort des concombres espagnols, des graines germées contaminées par une souche pathogène de la bactérie E. coli produites par une ferme allemande pratiquant l’agriculture biologique furent identifiées responsables de cette grave crise sanitaire curieusement bien peu relatée par les médias. Pourquoi? Pour éviter d’affoler les parents d’enfants fréquentant les cantines scolaires où les repas bio sont encouragés par les responsables politiques? Pour ne pas remettre en cause le bien confortable politiquement correct? Que serait-il advenu si un pesticide ou un OGM avait été reconnu coupable de ces quarante-trois morts voire d’un seul?

Il faut admettre que les bénéfices environnementaux de l’AB ne peuvent être niés, surtout lorsque sont réhabilitées à juste titre des pratiques agronomiques souvent négligées comme l’amélioration de la fertilité des sols ou la rotation des cultures. Cependant, l’usage plus fréquent du travail mécanique générateur d’émissions de CO2 et surtout les rendements plus faibles de l’AB (chute de rendement de 50% entre 1998 et 2008, selon l’Inra) constituent un lourd handicap, qui empêche ce mode de production agricole de répondre au défi alimentaire toujours prégnant ainsi qu’au changement climatique.

Pour protéger leurs cultures, les agriculteurs font appel à des insecticides, c’est-à-dire à la chimie de synthèse, comme nous le faisons avec les médicaments pour préserver notre santé

Certains adeptes prônent une agriculture 100% bio. Cette hypothèse n’est pas viable:

  • parce qu’elle subirait une forte pression parasitaire difficilement gérable sans la présence à ses côtés d’une agriculture faisant appel à l’efficace protection chimique des plantes;
  • parce qu’elle accélérerait la mise en culture de nouvelles terres souvent riches en biodiversité afin de maintenir la production agricole.

Manne pour la grande distribution

En 2010, selon la revue Que choisir?, le panier bio coûtait 57% plus cher que le panier conventionnel correspondant. La même année, une enquête du magazine L’Expansion annonçait un surcoût de 70% pour un panier d’une trentaine de produits bio de consommation courante achetés dans un hypermarché Auchan en banlieue parisienne. En 2011, l’enquête du magazine Linéaires, spécialisé dans les grandes et moyennes surfaces alimentaires conclut: «manger bio coûte encore 58% plus cher»!

Ces prix élevés sont surtout une manne pour la grande distribution alimentaire, qui promeut activement les produits bio. C’est aussi une opportunité pour les agriculteurs, notamment ceux disposant de main-d’œuvre ou ayant fait le choix de cultures à faible pression parasitaire et faciles à convertir en bio. En revanche, pour le consommateur, l’accès aux produits bio reste surtout réservé aux familles aisées et aux citadins «bio-bobo»!

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Pour protéger leurs cultures, les agriculteurs font appel à des insecticides, des fongicides, des herbicides, c’est-à-dire à la chimie de synthèse, comme nous le faisons avec les médicaments pour préserver notre santé. Ces molécules subissent, de la part des industriels d’abord et des instances d’évaluation ensuite, de nombreuses études approfondies pour évaluer les risques sanitaires et environnementaux avant d’être commercialisées. En outre, les produits jugés potentiellement les plus dangereux sont retirés progressivement du marché et des progrès considérables ont été faits par les agriculteurs pour les utiliser de façon raisonnée.

Mais, sous la pression médiatique et des écologistes, les pesticides restent dans l’opinion un danger majeur. Un résidu d’insecticide détecté dans des salades provoque aussitôt une bronca alarmiste même si les quantités détectées ne présentent aucun danger sanitaire. L’agriculture bio surfe sur cette peur de la chimie et le retour en force du naturel idyllique.

Ostracisme dogmatique des OGM

Plus étonnant est le rejet des OGM par l’agriculture bio. Les OGM ne sont-ils pas issus des biotechnologies, autrement dit, des «technologies bio»? Pourquoi cet ostracisme, alors que les agriculteurs bio utilisent sans aucune réticence des semences qui ont subi des modifications génétiques bien plus importantes que les OGM comme les variétés obtenues par mutagénèse ou la variété de blé Renan adoptée par les agriculteurs bio?

Il est vrai qu’en Europe et en France les OGM sont diabolisés malgré leur adoption massive dans le reste du monde et l’absence de problèmes sanitaires ou environnementaux depuis vingt ans. Belle opportunité pour l’AB de jouer la sécurité auprès des consommateurs!

L’engagement bio est pour certains agriculteurs un choix plus dogmatique que rationnel à l’image des initiateurs de l’agriculture biologique. Quant aux consommateurs bio, ne cèdent-ils pas à la «précautionnite» aiguë qui envahit l’univers consumériste? Ne sont-ils pas victimes malgré eux des «écofictions» anxiogènes et moralisatrices qui abreuvent nos écrans ou des reportages à charge contre les pesticides et les OGM que la télévision marchande de peurs livre sans vergogne? Une thérapie «placebio» n’est-elle pas en train de naître chez quelques malades imaginaires technophobes ou naturophiles?

Faire le choix agricole ou alimentaire bio, pourquoi pas? Sauf risque majeur avéré, pourquoi irait-on contre la liberté de choix du citoyen, agriculteur ou consommateur? En revanche, attribuer de fausses vertus à l’AB, idéaliser le naturel ou susciter la peur de l’industrie chimique et du génie génétique, fruits de l’intelligence de l’homme, n’est-ce pas un comportement trompeur et régressif?

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