France

Il faut encore plus de candidats à la présidentielle

Ils sont quarante-sept à avoir présenté leur candidature à la présidentielle. Et si c'était une bonne nouvelle?

Capture d'écran avant l'annonce des résultats à la télé de la présidentielle 1988
Capture d'écran avant l'annonce des résultats à la télé de la présidentielle 1988

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On disait à l'époque que la démocratie était malade car Jean-Marie Le Pen avait atteint le second tour de la présidentielle. Pourtant, c'était tout l'inverse. Avec 16 candidats au premier tour de l'élection de 2002, la démocratie ne s'était jamais si bien portée. Le système était ouvert. Libre. Il offrait une tribune à toutes les sensibilités françaises. Il permettait même à un vieux chef de l'extrême droite d'être à un jet de pierre de l'Élysée, alors qu'un autre candidat issu de son parti –Bruno Mégret– s'était lui aussi présenté devant les Français suite à une scission du Front national.

«Au soir du second tour, la large victoire de Jacques Chirac ne peut masquer l’ambiguïté de l’élection présidentielle. Celle-ci ne permet pas de donner de signal politique clair en faveur d’un des camps en présence. C’est donc des élections législatives et de leur capacité à désigner une majorité, favorable ou non au président, que dépend désormais l’évolution du régime», préjugeait le professeur de sciences politiques à l'université Paris-II Panthéon-Assas Hugues Portelli, également maire d'Ermont, qui deviendra sénateur UMP deux ans plus tard.

D'évolution, il n'y eut pas. On parla d'un «choc», d'un «drame», d'un «séisme» politique. Mais on imputa souvent les fautes à ceux qui ne le méritaient pas, Jean-Pierre Chevènement en tête, accusé d'avoir fait perdre la gauche en présentant sa candidature qui «piqua» des voix à Lionel Jospin (ce dernier les avait pourtant perdu tout seul). 

Le 21 avril 2002 fut donc à la fois le fiasco de la démocratie représentative et son triomphe, permettant à trois candidats trotskystes d'être candidat à l'élection présidentielle. L'abstention et «l'éparpillement» contesté de la gauche empêchèrent-ils Lionel Jospin d'être au deuxième tour? Ou bien était-ce sa faute, lui qui accumula les erreurs et ne parvint jamais à rentrer dans la peau d'un candidat crédible capable de défendre son bilan? Le nombre de candidats, si souvent mis en avant par les médias, est un bouc émissaire facile. Peut-être les électeurs étaient-ils simplement fatigués de voir les mêmes têtes se succéder... et la différence entre la droite chiraquienne et la gauche jospiniste diminuer à mesure qu'ils gouvernaient «main dans la main» depuis la dissolution de 1997.

Un éventail unique

Ce besoin de démocratie et de renouvellement se retrouve aujourd'hui dans un mouvement comme celui de Nuit Debout ou dans la multiplication des initiatives de primaires alternatives à celles des partis. Et, pour 2017, le jeu n'a jamais été aussi ouvert. À l'exception de Marine Le Pen, on ne sait toujours pas qui sera présent au premier tour de l'élection présidentielle. Situation inédite si l'on compare les scrutins des trente dernières années. Pourtant, ce ne sont pas les candidats qui manquent. Près de 47 prétendants à l'Élysée à l'heure actuelle. Certains s'interrogent encore, d'autres n'iront jamais au bout (la primaire des Républicains impose un nombre de parrainages difficile à récolter pour certains).

Depuis que François Hollande est arrivé au sommet, tout le monde se prend à rêver. Et si c'était moi?

Peut-on citer un pays qui jouit d'un tel éventail de propositions? Un pays où les chasseurs ont leur parti. Un parti où les centristes en ont quatre ou cinq. Un pays où les écologistes et le parti des Travailleurs peuvent réunir 500 parrainages pour s'offrir un tour de piste médiatique. Aux États-Unis, cette si belle démocratie que nous tentons d'imiter en important le concept des primaires, le choix entre démocrates et républicains offre une alternative bien plus restreinte. La France est une exception: elle brasse un grand spectre d'idéologies. Et c'est encore plus vrai pour 2017, tant le scrutin paraît ouvert même si les partis classiques continuent à vouloir barrer la route aux petits candidats.

La présidence normale

Depuis que François Hollande est arrivé au sommet, tout le monde se prend à rêver. Et si c'était moi? La guerre des egos a beau lasser les électeurs, c'est surtout une guerre médiatique de personnes qui se déploie sous nos yeux. Si cette multiplication des candidatures –onze à la primaire de la droite déjà!– ne révélait qu'une chose, c'est bien que la démocratie est désormais accessible à tout le monde. Grâce aux primaires, justement, chacun rêve d'un destin présidentiel –ou ministériel: Manuel Valls n'a-t-il pas récolté 5% des voix à la primaire de la gauche? C'est fantastique.

C'est aussi le reflet d'une façon bien particulière de concevoir le rôle de cette élection. Et d'ouvrir les vannes: «Si on n’est pas dans le domaine du farfelu, où est le problème?, s'offusquait ainsi Hervé Mariton, connu pour son combat anti-mariage pour tous, et désormais candidat à la primaire de la droite et du centre. Aux États-Unis, tient-il à rappeler, il sont plusieurs dizaines à se lancer sur la ligne de départ, avant que le processus de sélection ne fasse vraiment son œuvre.» 

«Il y a ceux qui jouent gagnant et ceux qui jouent placé. Avec la primaire, la présidentielle est à quatre tours et plus à deux, détaillait le juppéiste Benoist Apparu dans Les Echos. Avant, il y avait un ou deux bonshommes par génération qui pouvaient y prétendre. Maintenant, il y en a dix

Négociations

Si l'on excepte 2002, où elle grimpa à près de 28,4% (un record sous la Ve République), l'abstention est souvent faible à la présidentielle. C'est notre scrutin-roi, dans un pays où les électeurs semblent parfois regretter d'avoir coupé la tête du monarque; et où la tentation de l'homme providentiel est toujours aussi forte. Valls-Clémenceau et Bayrou-De Gaulle cultivent d'ailleurs ce type de projections qui fait partie de notre roman national et n'est pas désagréable aux oreilles de ceux qui fantasment la France et son histoire, rempli de batailles politiques homériques et de révolutions.

La modification des règles du jeu démocratique qui entrave la parole des «petits» candidats est scandaleuse

À la présidentielle, on compte désormais ses troupes. On avance ses pions pour négocier des postes. Europe-Ecologie les Verts l'a fait merveilleusement en 2012, glanant au passage de nombreuses circonscriptions (environ 60 étaient «réservées» à des écolos aux législatives). L'UDI le fait aujourd'hui en expliquant qu'elle ne veut pas participer au scrutin des primaires de novembre 2016...

Où sont les projets?

Les chiffres importent peu s'ils ne permettent pas de faire émerger un vrai débat d'idées. C'est la raison pour laquelle la modification des règles du jeu démocratique qui entrave la parole des «petits» candidats est scandaleuse. Si chacun joue dans son couloir, c'est la mort du débat. Si deux ou trois grandes sensibilités idéologiques sont représentées lors de l'élection reine, l'abstention ou le vote blanc augmenteront logiquement. Car un candidat à la présidentielle n'est pas seulement une personnalité, c'est aussi l'héritier d'une famille de pensée.

Certes, certains tendances et opinions ne méritent pas toujours d'être exposées à un tel niveau, surtout lorsqu'elles prônent un antisémitisme exacerbé, comme le symbolisent les provocations du patron de Radio Courtoisie Henry de Lesquen, qui publie sur Twitter des horreurs sur la Shoah et l'âge de Simon Veil. L'ex conseiller municipal de Versailles présente veut «brûler le code du Travail» et bannir «la musique nègre des médias publics». Tout un programme...

Mais au-delà des délires d'un homme qui ne souhaite rien tant faire parler de lui en utilisant les réseaux sociaux, le besoin de renouveau, d'idées neuves, ne s'est jamais autant fait sentir pour une élection. Après bientôt cinq ans d'un mandat de François Hollande qui aura brouillé les pistes sur le plan économique, les électeurs sont de plus en plus nombreux à ne plus croire en un clivage gauche/droite. Ils n'ont pas tort. Sur certains points –réduction de la dépense publique, pacte de responsabilité, déchéance de nationalité– Hollande est allé plus loin que Sarkozy n'aurait jamais osé. Et si l'inflation des candidats à la présidentielle permettait de mieux comprendre les différences et les nuances entre tous ces profils? 

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