France

La vidéosurveillance de Salah Abdeslam est-elle légale?

Salah Abdeslam va être mis sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans la prison de Fleury-Merogis. Une mesure que le droit européen accepte dans certains cas.

Transfèrement de Salah Abdeslam à la prison de Fleury-Mérogis le 27 avril 2016 | DOMINIQUE FAGET/AFP
Transfèrement de Salah Abdeslam à la prison de Fleury-Mérogis le 27 avril 2016 | DOMINIQUE FAGET/AFP

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Mise à jour: L'article a été modifié pour notifier la réaction favorable de la Cnil et la réaction de Salah Abdeslam au dispositif.

Salah Abdeslam, seul terroriste survivant des attentats du 13 novembre 2015, a été placé en détention provisoire le 27 avril dans la prison de Fleury-Mérogis. Le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, a précisé qu’il y sera soumis à des «conditions maximales de sécurité»:

«La cellule [de Salah Abdeslam] est équipée d’un dispositif de vidéosurveillance, dont les modalités d’usage ont été fixées conformément aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et du droit français de la protection des données personnelles.»

Selon L’Obs et l’AFP, cette surveillance vidéo est «une première» en France et ne va pas sans interrogation.

État d’urgence

En citant la Convention européenne des droits de l’homme, le garde des Sceaux vise plus particulièrement son article 8, sur le droit au respect de la vie privée et familiale, qui n’exclut pas les prisonniers. Celui-ci précise qu’il ne peut y avoir «ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit» que si cette ingérence est «prévue par la loi».

L’ingérence doit aussi constituer une mesure «nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui». Or, cette ingérence «n’est pas prévue par la loi française», affirme catégoriquement Nicole Fontaine, avocate en droit communautaire et droit public.

Cependant, la France a prévenu le Conseil de l’Europe le 24 novembre 2015 qu’elle avait l’intention de déroger à certains des droits de la Convention européenne des droits de l’homme, dans le cadre de l’état d’urgence. Une manœuvre permise par l’article 15 de ladite convention et qui évoque l’article 8.

La fin de l’état d’urgence pourrait donc signifier la fin de l’ingérence et de la vidéosurveillance. Une information qui n’a pu échapper au ministère de la Justice, Jean-Jacques Urvoas déclarant lui-même que «la pérennisation éventuelle de cette mesure fera l’objet d’une étude complémentaire».

Principes de précaution

«La vidéosurveillance n’est pas illégale en soi au regard de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, explique Jean-Pierre Spitzer, avocat au barreau de Paris et ancien référendaire à la Cour de justice des Communautés européennes. En revanche, c’est l’appréciation de fait qui est importante. Il faut voir si la mesure est proportionnée à la dangerosité de l’individu.»

Le principe fondamental de la dignité humaine exige que cet homme puisse “vivre normalement” dans un enfermement

Jean-Pierre Spitzer, avocat au barreau de Paris et ancien référendaire à la Cour de justice des Communautés européennes

Pour l’avocat, il y a trois principes que les autorités publiques «se doivent de mettre en œuvre»:

«Le principe de précaution pour que cet homme ne se suicide pas. Le principe de défense pour qu’il ne s’échappe pas. Et enfin le principe fondamental de la dignité humaine, qui exige que cet homme puisse “vivre normalement” dans un enfermement.»

Droit déclaratif

La situation de la vidéosurveillance de Salah Abdeslam est aussi impactée par le droit européen. Il y a deux Europe en droit. Celui de l’Union européenne, dont l’institution juridictionnelle est la Cour de justice de l’Union européenne et le droit du Conseil de l’Europe, une organisation internationale distincte. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui interprète la Convention européenne des droits de l’homme, dépend du second et ne peut annuler ou modifier automatiquement les décisions prises par les juridictions françaises. C’est un droit déclaratif:

«Si la France décide de ne pas suivre un arrêt de la Cour européenne, rien ne se passe, détaille Jean-Pierre Spitzer. Par exemple, il a fallu que la CEDH condamne une dizaine de fois la France pour qu’on modifie le droit de la garde à vue et que les avocats puissent y assister leurs clients.»

Selon l’avocat, le fait que la procédure soit longue empêche également toute action immédiate:

«Les avocats devront interjeter auprès de la chambre de l’instruction, ensuite aller en cassation. Et après l’arrêt de la Cour de cassation, il faut aller à Strasbourg [où se situe le siège de la CEDH] pour faire condamner l’État français. D’ici là, de l’eau aura coulé sous les ponts.»

Détenus dangereux

D’autant que la CEDH allège ses exigences par rapport à la convention dès lors qu’il s’agit de détenus dangereux. Par exemple, la Cour a jugé en 2008 et en 2010 deux requêtes de détenus italiens irrecevables. Il s’agissait de Vincenzo Guidi et de Marco Mariano.

Les deux hommes avaient été condamnés à de lourdes peines pour des crimes et leurs liens avec des associations mafieuses. Ils dénonçaient des fouilles corporelles répétées, une vidéosurveillance constante de leur cellule ainsi que des restrictions de visites familiales et de correspondance. Dans les deux cas, la CEDH a pourtant conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention européenne ainsi qu’à la non-violation de l’article 3, disposant de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains.

De quoi rendre toute tentative de contestation de la vidéosurveillance vouée à l’échec pour les avocats de Salah Abdeslam? «Ce serait très imprudent d’être aussi catégorique, juge Nicole Fontaine. Mais la Cour européenne y réfléchira à deux fois.»

Colère noire

Comme l'explique RTL, le 20 mai, le dispositif de Salah Abdeslam a été validé par la Commission nationale informatique et liberté (Cnil). «Il a même été élargi à d'autres détenus. Tous ceux dont l'évasion ou le suicide pourraient avoir un impact important sur l'ordre public, pourraient être filmés 24 heures sur 24»Les bandes vidéos pourraient alors être conservées pendant un mois. 

En attendant, le terroriste présumé serait perturbé par la présence des caméras. Selon Le Parisien, «il se serait mis dans une colère noire disant qu'on violait son intimité» à son arrivée en cellule. À en croire ses avocats, ce traitement particulier serait même une des explications de son manque de coopération avec la justice française.

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