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«Et toi, quand est-ce que tu t'y mets?», «Tu sais pas ce que tu rates», «C'est égoïste de ne pas vouloir d'enfant», «Tu changeras d'avis, tu verras»... Les personnes qui ne veulent pas d'enfants, et en particulier les femmes, sont quotidiennement les réceptacles de remarques acides, voire franchement dégueulasses de la part de leur entourage, parfois même très proche. Le fait de ne pas être mère, la trentaine passée, surtout si c'est un choix, est presque toujours considéré comme une anomalie. Et si certains s'efforcent d'en rire, à l'image du réseau Childfree qui a par exemple publié sur internet un bingo recensant ces petites phrases assassines, il n'en demeure pas moins que faire le choix de la non maternité ne devrait en aucun cas être à ce point questionné et jugé. Encore moins si ce jugement émane de la part de soignants.
Mais les professionnels de santé, pourtant avertis et censés s'interdire d'émettre une opinion sur les choix de vie de leur patients, participent aussi parfois à ce tribunal populaire, avec, en plus, l'air docte de celui qui sait et à qui on ne la fait pas.
Sur le blog participatif «L'école des soignants», animé par Martin Winckler, une femme, Laura, raconte toutes ces fois ou des professionnels de santé, pharmaciens, gynécologues, se sont autorisés à proférer des remarques d'une méchanceté inouïe, et de façon complètement gratuite.
A l'image de cette «gynécologue renommée en banlieue parisienne» qui recevait Laura alors que cette dernière avait 34 ans:
«-Les femmes comme vous, ça devrait se faire soigner! (en colère)
(Je lui réponds que je ne viens pas chez un médecin pour être jugée ou je sors de la consultation immédiatement –elle se calme un peu.)
-Vous ne voulez plus prendre la pilule, vous ne voulez pas d’enfant et moi je refuse de poser des stérilets sur les nullipares. Je vous prescris un anneau contraceptif.
-Je ne veux pas d’un anneau contraceptif, je trouve le concept peu pratique et trop invasif. A ce moment la, est-ce que vous pouvez juste renouveler ma prescription de pilule?
- Moi, je vous prescris ce qui est bien pour vous. C’est pas vous qui décidez! (hausse le ton)
- Au contraire, jusqu’à preuve du contraire c’est bien moi qui décide pour moi.
(Elle s’énerve à nouveau, m’insulte. Je reste calme. Je prends mon sac et sors de son cabinet, sans payer. (1) Une fois arrivée au niveau de la rue, j’essuie quelques larmes. Quelques jours après j’ai reçu un courrier de sa part me demandant le règlement de la consultation. Jamais envoyé.)»
Ces professionnels, qui sont alors dans une démarche relevant quasi du prêche, se risquent même à mentir éhontément et à devenir les auteurs d'une dangereuse désinformation. Ainsi, il a été dit à Laura que la prise de pilule en continu allait la rendre stérile, que son surpoids est lié à ce non-désir d'enfant et que des grossesses lui feraient perdre du poids. Elle a également entendu cette phrase atroce:
«Si vous avez mal durant vos règles, c’est parce que votre corps réclame une grossesse.»
Dans la même veine, dans les commentaires, une femme raconte qu'on lui a expliqué qu'elle avait développé des fibromes utérins «parce que la nature a horreur du vide».
A ce stade, on ne s'étonnera donc pas que des professionnels de santé n'hésitent pas à refuser des soins ou des pratiques. Le refus de pose de stérilet sur une nullipare, au pretexte que cela provoquerait infection ou infertilité, est par exemple récurrent, alors même, comme le rappelait Martin Winckler sur son site, que «personne n’a jamais prouvé en 50 ans, que la pose d’un DIU chez les nullipares (femmes n’ayant jamais eu d’enfants) compromettait leur fertilité ultérieure» et que «Les gynécologues disposent de bien des outils pour prévenir et soigner les infections». Et malgré l'avis de la Haute autorité de santé qui dit bien qu'il n'est pas réservé aux mères.
Pourtant, un praticien a rétorqué à Laura «C’est quoi cette manie des nullipares à vouloir un stérilet? Il faut arrêter l’internet. Pas d’enfant, pas de stérilet. C’est comme ça». Quand un pharmacien a tout simplement fait mine de ne pas en vendre.
Parfois, cela peut prendre une forme beaucoup plus pernicieuse mais pas moins abjecte avec ces praticiens qui estiment être en droit de valider le choix de la non maternité en expliquant à Laura qu'elle a bien raison de ne pas vouloir «s'emmerder avec ça» ou en s'extasiant sur son son «beau petit utérus de nullipare».
Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas ici d'une compilation de ce qu'un panel de plusieurs femmes ne désirant pas d'enfant auront entendu au cours de leurs vies mais de ce qu'une seule femme, Laura, aura entendu, simplement parce qu'elle a fait le choix eclairé, réfléchi, et même le choix tout court, de ne pas être mère. Ce qui, lui a-t-on dit, «d'un point de vue purement biologique» fait qu'elle n'est pas «une vraie femme».
Cela relève, purement et simplement, de la matraitance gynécologique perpétrée par des professionnels archaïques et dangereux. Une maltraitance qui semble bien être une spécicité française puisqu'à l'inverse d'autres pays, les syndicats de gynécologues français n'ont toujours pas édicté de charte claire sur les comportements à bannir. Pire, quand un documentaire met en lumière les violences subies par les femmes dans les cabinets de gynécologie, qu'il s'agisse de touchers vaginaux sur des patientes endormies, de mépris ou de conseils dépassés, le Journal international de médecine s'indigne, récuse le terme «maltraitance» et crie à la manipulation.
Les femmes victimes de cette maltraitance n'ont alors que peu de choix: refuser de payer les consultations comme le recommande Winckler, et se diriger vers la liste de praticiens respecteux rédigée par Gyn&co. Quand aux praticiens, la tâche est encore moins ardue: il suffit simplement d'écouter et de respecter les femmes.
Une version antérieure de l'article disait par erreur que le blog «L'école des soignants» est animé par deux personnes dont le Dr Zaffran, Zaffran est en fait le vrai nom de Martin Winckler, qui est un pseudonyme.