Sports

Le football italien a un problème avec ses héros

Avant Francesco Totti à la Roma, d'autres stars du football italien ont fait les frais d'une gestion calamiteuse de leur fin de carrière dans leur club de cœur.

Francesco Totti, le 31 janvier 2015, lors d'un match de la Roma contre Empoli. GABRIEL BOUYS / AFP.
Francesco Totti, le 31 janvier 2015, lors d'un match de la Roma contre Empoli. GABRIEL BOUYS / AFP.

Temps de lecture: 7 minutes

Nous republions cet article après les critiques contre l'entraîneur de la Roma, Luciano Spalletti, qui n'a pas fait entrer Francesco Totti à San Siro, à Milan, le 7 mai 2017, alors qu'il disputait l'un des derniers matchs de sa carrière.

Peut-on raisonnablement imaginer une Roma sans Francesco Totti? Une Roma sans son Capitano, érigé au rang de légende par les supporters depuis son arrivée au club en 1989, à l'âge de 13 ans? Impossible, vous répondront les Romains. À Rome, cette histoire d'amour se résume à un simple dicton, «Totti è la Roma» («Totti est la Roma») et à une poignée de surnoms: Er Pupone («Le poupon», en romain), Il Bimbo de Oro («Le gamin en or») ou Il Capitano («Le capitaine»).

Et pourtant, vingt-trois ans après sa première rencontre sous les couleurs de l'AS Roma, 700 matches et près de 300 buts plus tard, Francesco Totti se retrouve à nouveau dans une position délicate. À 40 ans, il avait dû batailler pour que son contrat –qui arrivait à échéance à la fin de sa vingt-quatrième saison– soit prolongé d'un an, ce qui n'emballait pas vraiment les dirigeants romains. Eux qui préfèreraient lui offrir un poste de dirigeant, plutôt qu'une place dans l'effectif romain pour une année de plus.

Car le champion du monde 2006 se blessait davantage, il n'était plus aussi décisif sur le terrain qu'auparavant et, de tout ça, la direction du club comptait bien s'en servir pour l'écarter des pelouses. Dans ce scénario, Luciano Spalletti, l'entraîneur de la Roma, jouait alors le rôle du méchant: il ne le faisait plus jouer (ou presque) et n'hésitait plus à critiquer publiquement sa condition physique dans les journaux ou en conférence de presse.

«Si j’étais tifoso, moi aussi je le ferais jouer titulaire. Ce serait bien de le voir sur le terrain, de le voir jouer des matchs ici. Mais en tant qu’entraîneur, je dois prendre en compte d’autres éléments. [...] Quand on analyse les choses avec le cœur, il y a des choses que l'on ne voit pas.»

«La Roma ne dépend pas que d'un joueur»

Attaques par médias interposés entre le joueur et son entraîneur, rumeurs de bagarre dans les vestaires... La Roma –joueurs, dirigeants et supporters– se retrouvait donc au cœur d'un débat féroce opposant «les on-ne-touche-pas-à-Totti à ceux qui s'inclinent devant les atteintes de l'âge et les nécessités du changement, entre les conservateurs et les réformistes», résume Philippe Ridet, correspondant du Monde à Rome.

«Quand on analyse les choses avec le cœur, il y a des choses que l'on ne voit pas»

Luciano Spalletti, entraîneur de l'AS Roma

Si, en avril 2016, les supporters romains ont majoritairement pris le parti de Francesco Totti, pour le président de la Roma, James Pallotta, les jeux sont faits:

«Son corps fait une chose, mais sa tête en dit une autre. La pression à Rome pour qu’il prolonge est incroyable, mais j’ai eu plusieurs conversations avec lui et je lui ai dit: "Tu vas encore être avec nous pendant plus de trente ans, pense à ça. Tu ferais mieux d’arrêter, tu n’as plus le même physique qu’avant".»

Alors, «Totti è la Roma», mais pour combien de temps? «J'ai un capitaine, mais j'ai aussi une équipe. On a gagné des matchs sans lui, et pourtant on ne parle que de lui. Totti n'est pas la Roma. [...] Je dois penser à tout le monde et intervenir quand on dit que la Roma ne dépend que d’un joueur», a insisté Luciano Spalletti, le 19 avril, la veille du doublé victorieux inscrit contre le Torino par un Totti qui n'aura joué que... quatre minutes.

Finalement, Francesco Totti avait pu prolonger son contrat d'une année, au terme d'un interminable feuilleton qui posait alors la question légitime de la saison de trop pour le Pupone. Lui-même semblait avoir hésité à raccrocher les crampons. Alors, que faire? «L’histoire est déjà écrite: Totti est la Roma, et la Roma est Totti. Alors n’est-ce pas le moment d’y mettre un point final?», suggérait Eric Marinelli dans So Foot en janvier 2016.

Del Piero, capitaine abandonné

En Italie, Francesco Totti est loin d'être le seul à avoir vécu une telle situation. Quelques années plus tôt, en 2012, Alessandro Del Piero, attaquant légendaire et héros vivant du football italien, a vécu un sort similaire à la Juventus de Turin, où il a joué de nombreuses années après son départ de Padoue en 1993. À 38 ans, celui que l'on surnommait Il Pinturicchio –une référence au peintre italien de la Renaissance– se voyait bien terminer sa carrière sous le maillot de la «Vieille Dame».

Conscient de son âge avancé et de ses limites physiques, Alessandro Del Piero se disait même prêt à accepter une place de remplaçant, de manière à ne pas faire d'ombre aux jeunes joueurs et aux nouvelles recrues. Malgré toute cette bonne volonté, il a été forcé de faire ses valises et de s'éloigner de Turin. Les dirigeants de la Juventus, désireux de remodeler l'effectif et l'équipe technique, ont décidé de ne pas reconduire son contrat.

Andrea Agnelli, président de la Juventus, avait confirmé froidement cette décision après une réunion d'actionnaires, le 18 octobre 2011: «Cette année sera la dernière année de Del Piero avec nous. Nous le remercions pour avoir fortement voulu rester.» Dans une interview à la Gazzetta dello Sport, en octobre 2012, Alessandro Del Piero est revenu sur cet épisode et ne cachait pas sa déception: «Moi, je voulais juste rester à la Juve.» Peut-être, un jour, qu'Il Pinturicchio reviendra à la Juventus, comme d'autres l'ont fait avant lui. Il lui faudra juste un peu de temps, histoire de digérer cette rupture.

Le dernier match d'Alessandro Del Piero à la Juventus de Turin, le 13 mai 2012.

Les indélicatesses du Milan AC

À Milan, les supporters gardent également en souvenir des séparations douloureuses avec certaines légendes du club. S'il ne fallait retenir qu'un exemple, ce serait le départ de Paolo Maldini, qui a disputé toute sa carrière chez les Rosseneri. Le 24 mai 2009, lors de son dernier match sous les couleurs du Milan AC, alors qu'une grande partie du stade San Siro de Milan se lève pour l'acclamer, les supporters de la Curva Sud gâchent la fête.

Ils déploient deux banderoles où l'on distingue les messages suivants: «Merci capitaine: sur le terrain, un immense champion, mais tu as manqué de respect à ceux qui t’ont enrichi» et «Chaleureux remerciements pour tes vingt-cinq glorieuses années de carrière. De la part de ceux que tu as défini comme des mercenaires et des clochards».

«Je suis fier de ne pas être l'un d'entre eux»

Paolo Maldini, ancien joueur du Milan AC

En février 2016, So Foot revenait sur cet épisode:

«Maldini lève ironiquement son pouce en direction du groupe organisé de tifosi rossoneri, puis finit par s’emporter avec un doigt d’honneur accompagné d’un "fils de p…" très facile à lire sur ses lèvres. En réaction, la Curva Sud déploie son habituel et imposant drapeau en hommage à Franco Baresi [ancien capitaine emblématique du Milan AC] et se met à entonner le chant "Il n’y a qu’un capitaine", en désapprobation de Maldini évidemment.»

Paolo Maldini quitte alors la cérémonie et rejoint rapidement les vestiaires. Après la rencontre, le défenseur s'en tiendra à quelques mots: «Je suis fier de ne pas être l'un d'entre eux». Ce que les supporters lui reprochent, note So Foot, ce sont les relations froides voire distantes qu'il a entretenu avec les supporters milanais tout au long de sa carrière et les déclarations (parfois virulentes) à leur encontre par voie de presse.

La rupture entre Paolo Maldini et le Milan AC ne s'est pas seulement jouée dans les tribunes de San Siro, mais aussi dans la relation conflictuelle qu'il entretenait avec Silvio Berlusconi, le président du club, et Adriano Galliani, son vice-président. Depuis ce dernier match houleux, Paolo Maldini n'a pas manifesté l'intention de revenir au club. S'il revient un jour, ce sera le jour où le duo Berlusconi-Galliani aura quitté la barque. Et cela pourrait arriver rapidement.

Le dernier match de Paolo Maldini à Milan, le 24 mai 2009.

Andrea Pirlo, mis de côté

Le cas d'Andrea Pirlo –plus jeune qu'Alessandro Del Piero ou Paolo Maldini lors de son départ du Milan AC– est un peu différent, mais tout aussi douloureux. En 2011, le milieu de terrain italien, qui évolue aujourd'hui à New York, a été poussé vers la sortie après de longues années et de grandes performances pour le club. Une rupture qu'il a évoquée dans une interview à la Gazzetta della Sport, en mai 2012.

«Ce n'était pas une question économique. Le Milan a juste estimé que je n'étais plus utile»

Andrea Pirlo, ancien joueur du Milan AC

Il expliquait comment les orientations tactiques et les désaccords avec la direction lui ont coûté sa place au sein de l'effectif:

 

«Quand nous avons parlé de mon contrat, ils m'ont proposé un renouvellement d'un an. Je voulais signer pour trois ans car j'étais plus jeune que les joueurs en fin de contrat. Mais la vraie raison de mon transfert était Allegri [l'entraîneur du Milan AC à l'époque]. Il voulait placer Ambrosini ou Van Bommel devant la défense et j'aurais dû changer de poste. Je lui ai donc dit "Non, merci" et j'ai choisi la Juve, qui me motivait davantage. Ce n'était pas une question économique. Le Milan a tout simplement estimé que je n'étais plus utile et Allegri préférait d'autres joueurs.»

Après dix ans au club, Andrea Pirlo a quitté Milan libre de tout contrat pour la Juventus de Turin, en mai 2011. Cette séparation –«affaire du siècle» pour les uns, immense gâchis pour les autres– a marqué les supporters milanais et a blessé Andrea Pirlo. Dans son autobiographie, il s'en est pris directement à Adriano Galliani (encore lui) qu'il surnomme «Mr Bic», en référence au stylo que lui ont offert les dirigeants milanais en échange de ses bons et loyaux services.

Outre les départs houleux de Paolo Maldini et d'Andrea Pirlo, le Milan semble avoir le secret des adieux ratés à ses propres héros, soulignait Eurosport en 2013. L'article revient notamment sur la timide cérémonie réservée à Alessandro Nesta, Filippo Inzaghi et Gennaro Gattuso; qui disputaient le 12 mai 2012, tous les trois, le dernier match de leur carrière sous les couleurs du Milan AC: «Quelques mots au micro, un tour de stade, des applaudissements et une breloque comme cadeau de départ, voilà qui est bien peu pour [tant] de belles années sous le maillot rossonero.»

Le dernier match d'Inzaghi, Gattuso et Nesta à Milan, le 12 mai 2012.

cover
-
/
cover

Liste de lecture