Monde / Économie

Les industriels et financiers prennent le risque climatique au sérieux

Une fois la COP21 finie, on pouvait redouter que la question du changement climatique ne retombe dans l’oubli jusqu’au prochain événement médiatique. Mais, surprise, les milieux financiers prennent très au sérieux cette affaire et continuent à travailler sur les risques de tous ordres associés à ce changement.

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Il existe des risques financiers liés au réchauffement climatique | Surian Soosay via Flickr CC License by

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Il faut dire que, d’entrée de jeu, avant même la tenue à Paris de la COP21, Mark Carney, très médiatique gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière (en anglais FSB, pour Financial Stability Board; institué par le G20 en 2009), s’était vigoureusement employé à inquiéter la communauté financière dans un discours fameux prononcé au siège de la Lloyd’s à Londres, le 29 septembre 2015. En parlant devant des assureurs d’une «tragédie à l’horizon», il était sûr de marquer les esprits. À cette occasion, il avait évoqué les trois catégories de risques associés au changement climatique:

  • Tout d’abord, les risques physiques liés au réchauffement de la planète. Il s’agit des inondations, des tempêtes, etc., tous ces phénomènes extrêmes appelés à se multiplier si les scénarios esquissés par les climatologues se révèlent exacts. Les assureurs, on le conçoit aisément, se sentent directement concernés par cette évolution.
  • Enfin les risques liés à la transition vers une économie bas carbone. Dans ce cadre, toutes les professions financières sont concernées. Est-il raisonnable pour une banque de continuer à prêter de l’argent à des groupes exploitant des mines de charbon ou de détenir des actions dans leur capital? Mais est-il pour autant opportun de prêter à des entreprises qui investissent dans l’énergie solaire alors que l’environnement fiscal ou réglementaire de cette activité peut être modifié par des mesures qui remettraient complètement en cause sa rentabilité, comme on l’a vu en Espagne? Et, d’une façon générale, comment un investisseur peut-il trouver les informations lui permettant de prendre correctement en compte le risque climatique?

Risque climat

Déjà, au moment de la COP21, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, avait rappelé l’importance de ces risques financiers et expliqué à quel point il était nécessaire que les institutions financières internationales interviennent pour préciser les règles du jeu. C’est désormais chose faite. Dès décembre 2015, le G20 et le Conseil de stabilité financière ont créé la TFCD, Task Force on Climate-related Financial Disclosure, que l’on pourrait traduire par groupe de travail sur la transparence financière climatique. La mission de ce groupe de travail consiste à définir le cadre dans lequel les assureurs, les banques et les investisseurs institutionnels vont publier les informations permettant de juger la façon dont ils gèrent le risque climat.

Il était nécessaire que les institutions financières internationales interviennent pour préciser les règles du jeu. C’est désormais chose faite

Michael Bloomberg, ancien maire de New York, fondateur de la firme d’information financière qui porte son nom et l’un des milliardaires américains acquis à la cause climatique (tous ne sont pas aussi stupides que Donald Trump, qui en est encore à nier le problème), a été nommé à la présidence de ce groupe de travail. Christian Thimann, membre du comité exécutif d’Axa et membre associé de l’École d’économie de Paris, en est vice-président. Ainsi qu’il l’explique, la tâche est considérable. Actuellement, si on en croit le recensement effectué par l’OCDE, il existe dans le monde environ 400 dispositifs de publication des informations liées au climat. Il va falloir harmoniser très vite ces règles, en retenant les plus pertinentes. Une première phase de consultation publique doit se tenir en ce mois d’avril 2016, une autre en 2017.

Devant les actionnaires

Pour les entreprises le plus directement mises en cause, l’atmosphère s’alourdit. Aux États-Unis, fin mars, la SEC, l’organisme de contrôle des opérations boursières, a contraint Chevron et ExxonMobil à accepter de proposer au vote des actionnaires des textes expliquant comment les profits de ces entreprises pourraient être affectés par le changement climatique et précisant les mesures destinées à lutter contre ce changement. En France, on n’en est pas encore là, mais l’article 173 de la loi sur la transition énergétique va pousser les investisseurs institutionnels à se montrer plus exigeants envers les informations publiées par les entreprises sur leur exposition au risque climatique et leur stratégie bas carbone.

Mais bien d’autres sujets sont en discussion. Le club du CEPII, lieu où experts, économistes et dirigeants d’entreprises publiques ou privées, échangent idées et informations sur des sujets d’actualité, en apporte le témoignage. Il s’agit par exemple de définir le cadre dans lequel s’effectuera le transfert d’au moins 100 milliards de dollars par an vers les pays en développement pour leur permettre de passer aux énergies bas carbone et de s’adapter au changement climatique, qui, quoi que l’on en pense, est déjà en cours. En dépit des estimations optimistes fournies par l’OCDE avant la COP21, on est encore très loin de ce chiffre, qui est pourtant considéré comme un minimum, ainsi que le rappelait Kaba Nialé, ministre de l’Économie et des Finances de Côte d’Ivoire, lors de la COP21.

Engagements à tenir

Et la question se pose toujours de savoir comment les États vont financer les investissements qui seront nécessaires pour respecter les engagements pris lors de la COP21. Non seulement ces engagements sont insuffisants pour contenir le réchauffement climatique au-dessous de 2°C, mais il n’est pas du tout certain qu’ils soient tenus. La volonté politique risque de manquer. L’accord de Paris va être ouvert à la signature le 22 avril à New York; il pourra entrer en vigueur lorsque cinquante-cinq pays représentant au moins 55% des émissions mondiales auront déposé leurs instruments de ratification.

Et ce n’est pas assuré pour les plus gros émetteurs, à commencer par les États-Unis. Le 23 mars 2016, devant l’Ajef (Association des journalistes économiques et financiers), James Gillespie, porte-parole en France du Parti républicain, rappelait que son parti était opposé à une ratification de ce traité tandis que son homologue démocrate, Joseph Smallhoover, soulignait que le traité aurait plus de chances d’être ratifié par un Congrès où son parti serait majoritaire. Reste à savoir quand cela sera le cas…. Rappelons que, en février, la cour suprême des États-Unis a trouvé une raison juridique de suspendre le programme américain pour une énergie propre que le président Obama avait présenté avant la COP21.

Cafouillages politiques

Dans ce contexte incertain, on a appris que notre ministre de l’Environnement, toujours aussi fantasque, avait décidé de ne pas soutenir la candidature de Laurence Tubiana à la tête de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, que l’actuelle secrétaire exécutive, Christiana Figueres, doit quitter début juillet. Laurence Tubiana, qui avait joué un rôle décisif dans la réussite de la COP21, était pourtant la personne idéale pour ce poste compte tenu de sa compétence technique sur le sujet et de son expérience diplomatique. Comme pour se faire pardonner, Ségolène Royal a aussitôt fait savoir qu’elle créait une mission d’étude sur le prix du carbone en Europe. Deux des membres de cette mission, Pascal Canfin et Alain Grandjean, n’auront pas trop de mal à faire des propositions: ils ont déjà effectué ce travail en 2015! Et, finalement, la candidature de Laurence Tubiana a bien été transmise à l’ONU début avril, après la date limite théorique…

Ces bizarreries de comportement ne sont guère pardonnables: même si les financiers ont de bonnes idées, citons par exemple les travaux sur des emprunts d’État carbone (un État paierait des intérêts d’autant moins élevés qu’il ferait plus de progrès sur la voie de la réduction de ses émissions de CO2), le dossier climat n’avancera vraiment que s’il est défendu avec constance et fermeté au niveau politique.

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