Politique / France

Le PS et les Républicains en voie de décomposition avancée

2016 semble l’année de la décomposition partisane, celle de nos grands partis qui structurent le débat et la représentation politique.

Jean-Christophe Cambadélis, le 22 mars 2015 | FRANCOIS GUILLOT/AFP
Jean-Christophe Cambadélis, le 22 mars 2015 | FRANCOIS GUILLOT/AFP

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2015 a été l’année de la «tripolarisation» de la vie politique, avec l’installation durable, des départementales aux régionales, du FN comme premier parti de premier tour, même s’il n’est pas capable de gagner au second. 2016 semble l’année de la décomposition partisane, celle de nos grands partis qui structurent le débat et la représentation politique. Après la remise en cause du clivage gauche/droite, voici celle de notre système partisan avec, en arrière-fond, la critique de notre démocratie représentative.  

Il y a cinq ans, à même date, l’effervescence politique à gauche passait par le PS et sa primaire. Cinq ans plus tard, tout se passe en dehors de lui, quand ce n’est pas contre lui. Et l’appel à une primaire de toute la gauche n’a pas sensiblement modifié la donne, comme si rien de bon ne pouvait sortir d’un accord entre partis trop faibles.

Au moment où Jean-Christophe Cambadélis doit constater publiquement une nouvelle baisse du nombre d’adhérents du PS, le Printemps républicain s’est lancé le 21 mars à la Bellevilloise, #NuitDebout anime la place de la République depuis une dizaine de nuits consécutives et, le 6 avril, Emmanuel Macron a donc créé «En Marche». Pas grand-chose de commun, a priori, entre ces mouvements. Pourtant ils incarnent, chacun à leur manière, une profonde remise en cause du PS –et on va voir que chez les Républicains aussi, la décomposition partisane s’accélère.

Jeunes outsiders contre vieux insiders

#NuitDebout est un incontestable succès populaire, de loin le plus marquant. Et un succès inattendu. Les bons esprits peuvent s’en moquer ou flairer le retour du gauchisme. Mais justement, on le croyait pour toujours au fond des poubelles de l’histoire. Depuis le temps qu’on se gaussait de ceux qui attendent le grand soir, nous voilà à déambuler la nuit à République ou sur Périscope pour «comprendre ce qui se passe»…

Le plus étonnant, comme Gaël Brustier l’a montré ici, c’est que la question du pouvoir est au cœur de ce bouillonnement. Ce n’est pas la loi El Khomri que ces jeunes diplômés déclassés et urbains cherchent à réécrire, mais la Constitution… C’est tellement français: à partir d’un sujet pourtant essentiel –le travail et la précarité–, les voilà en Constituante pour refonder la démocratie! Sommes nous en 1848 ou en 1968? C’est bien la représentation politique et son principe –«élections, piège à cons»– qui pose question, à force d’échecs, de scandales ou de sentiments de trahison. Dès lors, peu importe l’avenir ou le débouché de ce mouvement, à vrai dire assez hypothétiques, le plus significatif est que l’abstentionnisme ait peut-être trouvé son premier mouvement militant. Bonne chance à Jean-Luc Mélenchon pour le récupérer…

Avec #NuitDebout, l’abstentionnisme
a peut-être trouvé son premier mouvement militant

Quant à la «marche» en cours d’Emmanuel Macron, ce qui lui vaut polémique au sein de la gauche gouvernementale n’est peut-être pas le plus marquant: son «ni gauche ni droite» est plutôt un «et gauche et droite», un quasi «UMPS», avec la double appartenance qu’il encourage pour ses sympathisants. La volonté de dépasser ce clivage est presque aussi vieille que ledit clivage et, sur ce terrain, Macron a de la concurrence, du FN au centrisme. Non, le plus innovant est qu’il s’agit d’une quasi-tentative de putch des jeunes outsiders contre les vieux insiders, au sein de la politique française, en s’appuyant sur la «société civile» –et en s’éloignant au passage du discours socialiste sur les inégalités sociales.

Emmanuel Macron est un outsider de la politique, à peine connu des Français il y a deux ans. Il a refusé de sauter les haies du bon notable (militantisme, mandats locaux, députation), tout en évitant l’autre parcours classique, celui du technocrate de cabinet parachuté dans une circonscription facile après avoir pris sa carte la veille. Lui est déjà ministre et veut maintenant être président, dès 2017 si c’est possible, ou plus sûrement en 2022, mais vraiment pas plus tard. Dès lors, si vous êtes jeunes, beaux et divers, de cette nouvelle génération qui en a marre des «privilèges» des rentiers qui «bloquent le pays» «au détriment de millions d’autres», si vous voulez prendre «l’ascenseur social» et les places, on préservera quelques vieux sympas à moustache, mais suivez moi, et à nous deux la Tour Eiffel!

Ainsi peut-on résumer le clip vidéo d’«En marche», dont les images et la musique sont très publicitaires, mais dont le discours construit un clivage inédit dans la politique française, à défaut de l’être dans la comédie humaine: les jeunes Rastignac (métissés) contre les vieux (blancs) sclérosés. Presque en tout point opposé à #NuitDebout, ce mouvement converge néanmoins sur la volonté de renverser ceux qui sont en place, avec des accents qu’on qualifie parfois de «populistes». On tient en tout cas, avec «En marche», le premier mouvement politique authentiquement balzacien.

Le Printemps républicain est lui beaucoup plus classique dans sa forme –en apparence du moins. Cette alliance de jeunes élus et militants principalement PS et d’intellectuels ou journalistes, à l’exemple d’Elisabeth Badinter, Brice Couturier ou Laurent Bouvet, n’est pas en soi très nouvelle sous le soleil. Ce mouvement n’a pas de leader ambitionnant de se présenter à la présidentielle. En revanche, sa volonté de redéfinir, certains diront de restreindre, le discours de gauche à partir de la question identitaire, le singularise.

Le printemps républicain, c’est la laïcité et l’égalité homme-femme contre la menace islamiste. Ce qui est nouveau à gauche, tant les partis de gauche, à commencer par le PS, ont fui et continuent de fuir cette question, par électoralisme, ambiguïté ou tout simplement désarroi. C’est au fond le premier mouvement politique post-attentats, qui apporte une réponse idéologique –forcément discutable– mais une réponse, aux débats qui ont suivi le tragique mois de janvier 2015, quand les institutions politiques et partisanes se sont concentrés sur les réponses sécuritaires (loi renseignement ou état d’urgence).

Mais c’est aussi un mouvement néoféministe qui témoigne d’une réaction très défiante au retour du religieux (en l’occurrence musulman), vu comme une menace contre la liberté des femmes. Ce n’est pas un hasard si Elisabeth Badinter en devient de fait la figure de proue, adulée ou détestée. Avec à la clef des causes d’actualité principalement liées au voile islamique: la défense républicaine de la minijupe contre le le burkini, celle des hôtesses d’Air France contre la loi iranienne… Le féminisme, la défense des minorités et plus généralement le «sociétal», c’est ce qui restait à la gauche gouvernementale et au PS pour se distinguer de la droite. Voilà donc ce discours sociétal contesté de l’intérieur.

Une primaire qui vire au bizarre

Reprenons. Le PS est profondément remis en cause en tant que représentant politique des salariés par l’antipolitisme de #NuitDebout, dans son discours social sur les inégalités par l’offensive des outsiders macroniens et dans son discours sociétal par un néoféminisme républicain. Que lui reste-t-il? Rien ou presque. Mais il n’est pas le seul grand parti à être ainsi contesté dans ses fondamentaux. La machine infernale de la décomposition partisane touche aussi Les Républicains au plus profond.

La primaire de droite tourne au bizarre: non seulement la multiplication des candidatures décrédibilise cette élection censée départager les personnalités les plus «présidentiables», mais surtout, et plus profondément, c’est la fonction même de chef du parti qui en sort dévaluée, ainsi que le poids des effectifs militants. Le quart d’heure warholien de célébrité est sûrement une motivation de ces candidatures, mais pas seulement.

Chacun voit bien que l’opération reconquête de Nicolas Sarkozy a été conçue, de la façon la plus traditionnelle, sur une prise de contrôle préalable du parti réputée jadis décisive. Avec un double calcul: que la position de chef lui permette de s’imposer comme candidat naturel à la présidentielle; que le contrôle de l’appareil permette, en cas de primaire, de «tenir» celle-ci.

À droite, non seulement le chef n’est plus respecté, mais il n’y a plus
de chef

Le culte du chef a parfois tenu lieu de doctrine et de structure aux partis héritiers du gaullisme. Or, ces deux paris sont justement en train de ne pas être tenus, sinon d’être nettement perdus. La multiplication des candidatures est souvent un affront à Sarkozy, quand elles sont le lot d’anciens fidèles –Nadine Morano, Frédéric Lefebvre ou Nathalie Kosciusko-Morizet, porte parole de sa campagne 2012. La nette domination juppéenne dans les sondages depuis l’après-régionales en est une autre. La montée en puissance de Bruno Le Maire fait entrevoir la menace potentielle d’une troisième place qui serait une humiliation pour Nicolas Sarkozy. D’autant que le discours de Le Maire est pour l’instant très macronien: les jeunes vont réussir à la place des vieux qui ont échoué. Non seulement le chef n’est plus respecté, mais il sera bientôt conspué –en fait, il n’y a plus de chef.

Quant au nombre de votants lors de la future primaire, c’est la médiatisation qui déclenchera la mobilisation, comme au PS en 2011, avec les débats télévisés. Gageons que les résultats seront proches des sondages effectués auprès des sympathisants de droite et du centre et que le poids des militants et de l’appareil sera limité. Et remarquons que malgré cette primaire et en dépit de la force du FN à côté, Dupont-Aignan parvient pour l’instant à faire exister sa candidature dissidente et contestatrice des Républicains, avec autour de 5% dans les intentions de vote.

Désaffiliation générale

Un PS contesté de toutes parts par le «mouvementisme» de gauche, un parti de droite pourtant aux portes du pouvoir, mais sur lequel la primaire agit comme un dissolvant... On dira que ce ne sont là que des phénomènes passagers, déconnectés de la France profonde. Rien n’est moins sûr si on observe les sondages sur la moyenne durée, et notamment l’évolution des «préférences partisanes» des électeurs: nos deux grands partis souffrent bien d’une désaffiliation générale, comme en témoigne ce tableau étonnant, issu des enquêtes TNS-Sofres-One-Point.


Tableau de l'affiliation partisane entre 2006 et 2016. Cliquez sur l'image pour l'ouvrir en grand.

Jamais la part d’électeurs proches du PS et des Républicains n’a été, de façon concomitante, aussi réduite! Et ce sont les «sans préférence partisane» qui progressent, c’est à dire ceux qui ne se disent proches d’aucun parti, à un haut niveau, pendant que la proximité avec le FN recule depuis les régionales.

Dans notre démocratie secouée par les événements, alors même que le FN, depuis les régionales, n’est plus au centre du jeu, nos deux grands partis, de gauche et de droite, subissent un rejet et une contestation majeurs. Décomposition définitive, avant recomposition?

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