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Quatre bonnes raisons de lire la nouvelle doctrine du pape François sur l’amour et le mariage

L'exhortation apostolique «Amoris lætitia» publié ce vendredi 8 avril par le Vatican renouvelle en partie le discours de l'Église sur la question des mœurs avec une ligne forte: intégrer plutôt qu'exclure.

LEE JIN-MAN / POOL / AFP
LEE JIN-MAN / POOL / AFP

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Mais qui est donc ce pape qui, dans un document solennel équivalent à une encyclique, cite Jose-Luis Borges, Octavio Paz, Martin Luther King ou un film d'amour comme Le Festin de Babette? L'Église change, et vous ne le saviez pas? Alors, pour vous en convaincre, lisez l'«exhortation apostolique» Amoris lætitia («La joie de l'amour»), un gros pavé de 260 pages mais qui se dévore en deux heures, traduit en six langues, publié vendredi 8 avril au Vatican et promis, en raison des sujets brûlants qui y sont traités (amour, sexe, divorce, couples gays, etc) à un retentissement mondial. Après trois ans de pontificat, ce document est le plus important du pape François, jésuite et latino-américain, dont la popularité planétaire ne se dément pas.

Voici au moins quatre bonnes raisons d'aller acheter ce livre.

1. L'autocritique de l'Église

Sur ce sujet de l'amour, de la sexualité, de la famille, l'Église catholique revient de loin. Elle a soulevé, depuis longtemps, bien des ricanements, des polémiques, des départs brutaux ou sur la pointe des pieds, y compris dans ses propres rangs! C'est le sujet repoussoir, celui qui marque, presque à lui seul, le divorce de l'Église catholique avec la société moderne. Une Église qui passe pour coincée sur la question du sexe, dont les interdits répétés sur le divorce, la pilule, l'IVG, la cohabitation hors-mariage, la fécondation in-vitro l'ont coupée de milieux scientifiques, féministes, de forces vives, de jeunes, de couples et de militants progressistes.

Ce n'est plus le discours des anathèmes, des interdits, des condamnations. Le pape argentin appelle son Église à «une salutaire réaction d'autocritique»

À l'initiative du pape François, des centaines d'évêques et experts se sont réunis à Rome en «synode» pendant près de deux mois (octobre 2014 et octobre 2015) pour mesurer l'écart croissant entre le monde contemporain, libéral en matière de mœurs, et un discours catholique sur l'amour et la famille réputé rigide et inaudible. Au cours de ces deux synodes, une fracture s'est produite entre des évêques «intransigeants» (Afrique, Europe de l'Est, États-Unis), réservés devant tout risque d'atteinte à la doctrine catholique et des évêques ouverts à des assouplissements (Allemagne et Europe occidentale) et à un accueil plus large des familles «irrégulières» en marge de l'Église.

Le document, rendu public vendredi 8 avril par le pape François, est à la fois le résultat de ces travaux du synode et de son interprétation personnelle sur ces sujets-clés de la famille, du mariage et de la sexualité. Et tout de suite, le ton du discours a changé. Ce n'est plus celui des anathèmes, des interdits, des condamnations. Le pape argentin appelle son Église à «une salutaire réaction d'autocritique». Il ne nie pas la faillite du modèle traditionnel du mariage, la multiplication des couples illégitimes aux yeux de l'Église, la permissivité croissante des mœurs, mais il déplore aussi l'archaïsme du discours catholique sur ces sujets:

- «Nous avons multiplié les attaques contre le monde moderne décadent. [...] Mais rester dans une dénonciation rhétorique n'a pas de sens.»

- «Ne tombons pas dans le piège de nous épuiser en lamentations auto-défensives au lieu de réveiller notre créativité.»

- «Il ne sert à rien d'imposer des normes par la force de l'autorité.»

Certes, le pape n'entend pas renoncer à la «norme» catholique pour des raisons de «mode». «L'effondrement social et humain» du mariage moderne l'encouragerait même plutôt à continuer de proposer des alternatives. Mais, concède t-il, «nous avons présenté un idéal du mariage trop abstrait, artificiellement construit, loin de la situation concrète et des possibilités effectives des familles». Il faut donc cesser d' « idéaliser » le mariage, de le présenter comme un ensemble «pesant» d'obligations. Il faut en faire «un parcours dynamique de développement et d'épanouissement porteur pour toute la vie». Le pape François a cette formule qui résume à elle seule la révolution copernicienne qu'il a engagée à la tête de l'Église. Une leçon d'humilité après des siècles d'hégémonie sur les questions de mariage et de famille:

- «Nous sommes appelés à former les consciences, non plus à prétendre nous substituer à elles.»  
 

2. Une vision positive du sexe

Que n'a-t-on dit et écrit de cette Église qui, dans ses textes fondamentaux, reste silencieuse sur le sexe, le désir charnel, ne retenant de l'amour que la perspective de la «procréation», idéalisant le célibat, la virginité, la chasteté, en rupture avec sa culture juive d'origine pour laquelle le désir et la fécondité du couple sont les signes d'une bénédiction divine?

François n'est pas le premier pape à oser parler de «sexe» dans un texte officiel. Jean-Paul II avait déjà levé cette censure. Mais son successeur argentin va presque plus loin. Il ne réduit pas l'acte sexuel à un devoir conjugal pour favoriser la «procréation». Il donne sa pleine légitimité à la deuxième dimension de l'amour: celui du plaisir charnel.

«La dimension érotique de l'amour n'est pas un mal en soi ou un poids à tolérer pour le bien de la famille. C'est un don de Dieu qui embellit la rencontre des époux. Elle est la pleine affirmation de l'amour et elle montre de quelle merveille est capable le cœur humain.»

L'Église doit faire preuve de «miséricorde», accueillir, accompagner ces personnes autrefois en marge. C'est son appel des premiers jours du pontificat à «aller vers les périphéries» qui retentit à nouveau

Son texte «La joie de l'amour» est donc un long traité sur l'amour humain, largement inspiré de «l'hymne à la charité» de saint Paul («L'amour supporte tout, l'amour excuse tout»). Il préconise non pas la «soumission» de l'épouse à son mari, comme une vision déformée des épîtres de Paul l'a longtemps fait penser, mais la patience, le dialogue constant, l'extrême courtoisie dans le couple dont, dit le pape «les trois mots-clés doivent être permission, merci, excuses». C'est ici qu'il cite longuement Octavio Paz pour qui la courtoisie dans le couple «est une école où on apprend à sentir, à parler, à se taire parfois».

Mais le pape n'ignore pas toutes les déviations de la sexualité, la manipulation et la marchandisation des corps. Il dénonce «les formes permanentes de domination, d'hégémonie, d'abus, de perversion et de violences conjugales et sexuelles».

3. La porte ouverte aux divorcés remariés

C'était le sujet le plus attendu. Les deux mois du synode épiscopal sur la famille avaient opposé les tenants d'un assouplissement de la discipline catholique –refus de l'accès aux sacrements pour les fidèles divorcés qui se sont remariés– et ceux qui étaient fermement hostiles à tout changement par peur, entre autres, de banaliser les divorces, y compris au sein de la population catholique.

Le pape François tient compte du caractère explosif d'un débat qui divise l'Église depuis trente ans. Il quitte ici le registre disciplinaire et agit en «pasteur». Il rappelle que «le divorce est un mal», que l'augmentation du nombre des divorces est «un phénomène très préoccupant». Mais l'accueil, l'accompagnement des divorcés remariés qui étaient autrefois des brebis galeuses doivent l'emporter sur la norme et la discipline. Il faut tout faire, dit-il, pour que «les divorcés remariés sentent qu'ils ne sont pas excommuniés», rejeter toute entreprise de discrimination et de marginalisation et les accueillir comme des catholiques à part entière.

En bon jésuite, il propose à son clergé des critères de «discernement», c'est-à-dire d'examen des situations individuelles concrètes pour leur permettre d'être mieux intégrés dans les services de l'Église (catéchisme, lectures de messe). Mais son «exhortation» ne dit pas explicitement que cette intégration «au cas par cas» peut aller jusqu'à l'accès au sacrement de communion, qui était le point brûlant. Il ne l'exclut pas non plus.

En toute hypothèse, –et c'est la dimension essentielle de son texte–, le pape François redonne des couleurs à concept chrétien jugé un peu vieillot de « miséricorde», pour lequel il a décrété, en 2016, une année jubilaire: non seulement l'Église ne doit plus condamner, rejeter les personnes qui étaient classés autrefois «en situation irrégulière», comme les divorcés, les couples concubins, les mariés civilement.

Il n'y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille

Deux voies, dit-il à la fin de son exhortation, s'ouvrent toujours à elle: «exclure» et «intégrer». Lui a choisi d'intégrer. L'Église doit faire preuve de «miséricorde», accueillir, accompagner ces personnes autrefois en marge. C'est son appel des premiers jours du pontificat à «aller vers les périphéries» qui retentit à nouveau. Et sur un point sensible de confrontation avec la société moderne: le couple, le mariage, l'amour humain. Il n'est pas sûr toutefois que ce discours appliqué à ces matières sensibles fasse l'unanimité dans les rangs catholiques conservateurs.

4. Couples gays: pas de changement

Et c'est parce que les résistances sont grandes que le pape ne fait aucune place nouvelle, dans son document, à l'autre question controversée de la reconnaissance des couples homosexuels. Ceux-ci vont rester en marge de l'Église. Les espoirs de reconnaissance et de plus grande tolérance, soulevés par sa déclaration de juillet 2013 («Qui suis-je pour les juger?») sont aujourd'hui retombés.

Le pape François reprend la position traditionnelle des autorités catholique. Il ne tolère aucune attitude homophobe, aucune marginalisation de la population homosexuelle, mais sa conception du mariage chrétien écarte définitivement toute hypothèse de reconnaissance de l'homosexualité qui reste rejetée.  Il s'adresse seulement aux familles «qui vivent l'expérience d'avoir en leur sein une personne avec une tendance homosexuelle». La qualification de «mariage» pour les unions entre personnes de même sexe est catégoriquement rejetée.

«Chaque personne, indépendamment de sa tendance sexuelle, doit être respectée dans sa dignité et accueillie avec respect, avec le soin d'éviter toute marque de discrimination injuste et particulièrement toute forme d'agression et de violence. Mais en ce qui concerne le projet d'assimiler au mariage les unions entre personnes homosexuelles, il n'y a aucun fondement pour assimiler ou établir des analogies, même lointaines, entre les unions homosexuelles et le dessein de Dieu sur le mariage et la famille.»

Pour se résumer, le pape François ne touche pas un iota de la morale catholique liée à l'amour et au mariage. Il ne sera pas pris en défaut, une fois de plus, de vouloir porter atteinte à la doctrine. Il ne propose, par exemple, aucune réflexion nouvelle sur l'IVG, sur la procréation médicalement assistée ou sur la contraception toujours limitée aux moyens dits naturels (contre la pilule et le préservatif) depuis le pape Paul VI en... 1968 (encyclique Humanae vitae).

Mais son texte du jour presse les catholiques de changer le ton de leur discours. Il veut un renouveau complet du langage de l'Église qui, dit-il, doit cesser de «cataloguer», de «condamner», d'«exclure». Elle doit pratiquer un «discernement» pour offrir aux personnes en situation «irrégulière» des moyens de participer à sa vie. C'est à la fois peu et... beaucoup. Chacun appréciera.

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