Politique / Tech & internet

Chers politiques, pourquoi vous obstinez-vous à aller sur Snapchat?

Espérant toucher un public jeune, les politiques n’arrivent toujours pas à adopter les codes de l’application et s’enlisent dans une communication classique.

Image publiée sur le compte twitter de Nicolas Sarkozy pour présenter son activité Snapchat | DR
Image publiée sur le compte twitter de Nicolas Sarkozy pour présenter son activité Snapchat | DR

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Le mardi 5 avril était une journée importante dans l’histoire de Snapchat en France, l’application qui permet de partager des photos et vidéos éphémères avec ses amis et abonnés. Safia et Caroline, deux YouTubeuses mode, se sont pris le bec sur leur compte commun, mettant fin à dix ans d’une amitié que l’on croyait pourtant solide.


Pour peu qu’il ne soit calculé, ce terrible règlement de comptes a éclipsé une autre actualité déterminante pour le réseau social: l’ouverture du compte officiel de Nicolas Sarkozy.

Sur Snapchat, Sarkozy vous demande d'aller... sur Facebook

Comment ne pas être curieux du contenu qu'un ancien président et potentiel candidat en 2017 pourrait publier sur un réseau très important pour les jeunes (notamment les 18-34 ans)? En ouvrant sa première «story» (succession de publication photos et vidéos), c’est le drame: aucune vidéo et un Nicolas Sarkozy qui demande à ses abonnés Snapchat (le réseau jeune qui monte) de le rejoindre sur Facebook (le réseau moins jeune qui se maintient difficilement en tête) pour un échange avec ses supporters. Plusieurs «snaps» montreront même des smartphones ouverts sur des commentaires Facebook trop longs pour être lus en dix secondes, temps maximal d’une publication sur Snapchat.

Point positif néanmoins, l’équipe de Sarkozy semble avoir obtenu un accord avec Snapchat pour pouvoir poster des contenus édités en amont, tels que des infographies ou des mises en page léchées comme le fait Le Monde depuis peu, chose qui n’est normalement pas possible pour les autres utilisateurs.

Les politiques et Snapchat: un long malaise

Il n’empêche, cette tentative d’incursion politique sur ce réseau social –que tout le monde ne comprend pas encore– est aussi peu convaincante que celles de ses adversaires politiques ces derniers mois. Claude Bartolone avait fait une tentative timide et très peu assumée lors des dernières régionales, mais l’exemple le plus frappant de ces échecs reste François Hollande. Début novembre, lors de l’annonce de l’ouverture de ce compte, j’avais déjà écrit sur le sujet, expliquant que le président aurait bien du mal à nouer un dialogue avec les jeunes, qui se sentent trahis depuis longtemps. Quelques mois plus tard, le constat est tragique, ses stories sont d’un ennui mortel. 

La faute aux visites officielles qu’il réalise à longueur de journée selon l’immuable triptyque visite de lieux-poignées de mains-discours? Non. Le problème avec le compte de François Hollande est qu’il propose la même distance froide que les caméras des chaînes d’informations en continu. On le voit de loin, serrer des mains, faire des discours, déambuler au milieu d’une foule. Mais il ne regarde jamais la caméra du téléphone qui le suit au quotidien.

Quel intérêt de voir sur Snapchat, qui permet pourtant de nouer des liens plus intimes avec son public, les mêmes images que dans les journaux JT, mais avec une piètre qualité? Snapchat ne sert pas à diffuser des photos et des vidéos, il faut être en mesure d’en jouer, d’y ajouter du texte, des annotations, des filtres, des emojis… et établir un dialogue direct avec son audience. Tout ce que ne fait pas le président de la République.

Pour trouver un compte Snapchat politique intéressant, il faut regarder du côté de «gouvernementfr» qui, depuis un peu plus de deux mois, oriente son discours vers les jeunes en se moquant des complotistes ou en parlant de e-sport. Mais, là encore, il s’agit d’une parole officielle qui, tout en tentant de paraître accessible, ne fait que servir un discours pro-action gouvernementale désincarné. Le Parlement européen a aussi misé sur un ton léger mais revendiquait seulement 1.000 abonnés en septembre dernier. Une démarche incongrue et qui montre bien le décalage avec la jeunesse quand on sait que le Parlement voulait en fin d’année dernière permettre aux États de restreindre l’accès à des applications comme Snapchat aux personnes de moins de 16 ans.

François Hollande serait-il prêt à prendre un selfie en gros plan?

La seule réussite à peu près correcte de politiques sur Snapchat se trouve de l'autre côté de l'Atlantique. Elle concerne les deux candidats à la primaire démocrate pour l’élection présidentielle américaine. Depuis le lancement de leur campagne, Bernie Sanders et Hillary Clinton rivalisent en effet de moments décalés pour amuser leurs abonnés Snapchat. En 2008, Obama avait aussi marqué la campagne en s'appropriant les tous jeunes réseaux sociaux Facebook et Twitter. Aujourd'hui, ses deux potentiels successeurs ont, non seulement un partenariat avec Snapchat qui leur permet de créer des contenus exclusifs encore plus originaux, mais ils misent aussi à fond sur l’autodérision. Peut-être leurs homologues français se disent-ils qu'il est possible d'avoir autant de succès en France. Mais sincèrement, peut-on imaginer un jour François Hollande nous envoyer ce genre de snap?

 

«Il fait très chaud dans l’Iowa», lance Bernie Sanders.

Ou encore Carla Bruni s’approprier le compte de son mari pour vanter ses différentes qualités ou raconter quelques anecdotes amusantes sur lui?

Bien sûr, on s’est aussi moqué d’Hillary Clinton, mais leur présence est, d’ores et déjà, plus réussie que toutes les tentatives d’incursion de la part de la classe politique française. C’est ici qu’apparaît le problème de fond de sa présence sur Snapchat: le mariage impossible entre un discours politique aseptisé et l’autodérision qui constitue l’essence même de ce réseau social. Car, pour bien utiliser ce dernier, il ne faut pas avoir peur de se ridiculiser, d’être moche, de déformer son visage à l’aide de filtres vous permettant de «vomir des arcs-en-ciel», ou même de se prendre le chou avec sa meilleure amie YouTubeuse. Sur Instagram, on se montre en robe de soirée. Sur Snapchat, on se montre à la sortie du lit, les yeux encore collés. Et c’est ce manque de sérieux et ce semblant d'honnêteté qui rendent sa beauté brute si insaisissable pour des communicants politiques qui tentent à tout prix de séduire un public méfiant et désabusé par leurs messages.

Entre un discours trop sérieux et un autre qui pourrait leur faire perdre toute crédibilité, les politiques feraient donc mieux de s’interroger d’abord sur le message qu’ils veulent renvoyer aux jeunes. Et toujours garder en tête qu'il y a un risque à débarquer sur Snapchat: il est très difficile de venir y chercher une crédibilité ou un soutien auprès d’une audience lorsque celle-ci ne croit plus en vous depuis longtemps.  

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