Tech & internet / Société

Le premier poisson d’avril sur internet date de 1984, et l'URSS en était le héros

Il y a plus de trente ans, un programmateur facétieux a tenté de faire croire que le Kremlin était prêt à bavarder en ligne avec les Occidentaux.

Montage | Duane Raver, U.S. Fish and Wildlife Service via Wikimedia Commons / Tass /AFP.
Montage | Duane Raver, U.S. Fish and Wildlife Service via Wikimedia Commons / Tass /AFP.

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Ces dernières années, la tradition du poisson d'avril s'est trouvé un terrain de jeu idéal: internet. Le premier poisson d'avril en ligne n'est pourtant pas récent, puisqu'il concernait l'URSS. Le 1er avril 1984, en pleine Guerre froide, est annoncée sur le réseau Usenet la création du site Kremvax, dans un message apparemment signé par le secrétaire général du Parti communiste de l'époque, Konstantin Tchernenko.

Capture d'écran de www.godfatherof.nl

 

On peut y lire:

«La raison pour laquelle nous rejoignons Usenet est de nous donner les moyens d’ouvrir un forum de discussion avec les peuples américains et européens, afin de leur faire part de nos efforts pour atteindre une coexistence pacifique entre le peuple soviétique et eux.

Nous avons été informés du fait que de nombreux internautes tenaient des propos anti-URSS sur ce réseau, mais nous pensons qu’ils ont pu être manipulés par leurs leaders, spécialement ceux de l’administration américaine, dont le but est la guerre et une domination mondiale.

[…] Et maintenant, ouvrons une flasque de vodka et trinquons à notre arrivée sur ce réseau. NA ZDAROVJE!
["Santé!", ndlr]»

Ce site fictif, prétendument situé au siège du gouvernement soviétique, a germé dans le cerveau de Piet Beertema, un des pionniers d’internet, qui travaillait alors au Centre national néerlandais de recherche en mathématiques et en informatique (CWI) et qui raconte toute l'histoire sur son site personnel.

Pour camoufler le canular, d’autres sites sont mentionnés dans les en-têtes tels que KGBvax, qui fait référence aux services de renseignement russes, et Moskvax, pour la ville de Moscou.

Evidemment, les réactions des internautes américains ne se sont pas faites attendre. Certains ont tenté de communiquer réellement avec le chef d’État soviétique, d’autres ont suspecté un poisson d’avril et quelques-uns ont apprécié de pouvoir enfin communiquer avec le bloc de l’Est, qui ne disposait pas encore d’internet. Piet Beertema avait bien entendu pris le soin de toutes les faire converger vers sa boîte mail personnelle.

Mais les blagues les plus courtes sont les meilleures et Piet Beertema y a mis un terme deux semaines plus tard, avec le message suivant:

Capture d'écran de www.godfatherof.nl

«Merci à vous, internautes qui avez répondu à mon article. Lire tous vos commentaires montre que cette falsification pour en cacher la véritable origine en valait la peineIl n'y avait que peu de commentaires négatifs. Donc l'humour prévaut encore en ce monde. "Désolé" pour tous ceux qui ont pris ce poisson d'avril au premier degré...»

Un message qu’il a accompagné d’une compilation des meilleurs commentaires suscités par le message original, tous assortis de ses appréciations personnelles.

Capture d'écran de www.godfatherof.nl

«Beaucoup d'Américains auront tendance à qualifier votre attitude de "xénophobie soviétique typique", et je vous préviens que vous ne réussirez à convaincre personne»

 

«Mon Dieu, est ce que ce message que j'envoie finira dans les dossiers de la CIA et du KGB?»

 

«Wow! Est-ce réel? [...] Je n'aurais jamais pensé que je verrais cela un jour. Est-ce que cela signifique qu'il y a un Unix [système d'exploitation, ndlr] de l'autre côté du rideau de fer?»

Ce canular avait provoqué un tel tollé que le Pentagone lui-même s’était penché sur le cas d’une présence soviétique sur le net. Ce n’est au final que six ans plus tard, après la chute du mur de Berlin, qu'il est devenu réalité. Le jour où le premier site russe est connecté à Usenet sous le nom de demos.su, certains internautes se demandent s'il ne s'agit pas d'un nouveau canular. En guise de plaisanterie, Vadim Antonov, le programmeur du site, renomme alors la passerelle du site kremvax.demos.su, pour «démontrer que le sens de l’humour dépasse les barrières culturelles».

Aujourd’hui, ce site existe toujours et porte encore le même nom. Comme quoi, un simple poisson d’avril peut unir des peuples.

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