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Il faut aussi combattre les préjugés sur le terrorisme djihadiste

Depuis le 11-Septembre, plus de la moitié des victimes du terrorisme sont mortes pour des raisons qui n’ont absolument rien à voir avec l’islam.

Manifestation place de la Bourse à Bruxelles, le 27 mars 2016, en hommage aux victimes des attentats | PATRIK STOLLARZ/AFP
Manifestation place de la Bourse à Bruxelles, le 27 mars 2016, en hommage aux victimes des attentats | PATRIK STOLLARZ/AFP

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Depuis les attentats perpétrés le 11 septembre 2001 aux États-Unis, des terroristes ont assassiné quatre-vingt-treize personnes sur le territoire américain: quarante-cinq sont mortes aux mains de djihadistes, les quarante-huit autres ont eu affaire à des terroristes sans lien avec l’islam. Ces tueries étaient alors motivées par la haine à l’endroit de médecins et d’infirmiers qui pratiquent l’avortement, par le fanatisme antigouvernemental paranoïaque ou par l’idéologie néonazie.

L’étude des cas de plus de 330 personnes condamnées aux États-Unis pour des actes de terrorisme djihadiste depuis le 11-Septembre révèle un profil qui contraste avec les idées les plus répandues sur les auteurs d’attentats terroristes. Lors de leur passage à l’acte, ils avaient en moyenne 29 ans. Un tiers d’entre eux étaient mariés; un autre tiers avaient des enfants. Ils avaient le même niveau d’instruction que la moyenne de la population étasunienne. Et les cas de troubles mentaux au sein de ces groupes sont en moyenne moins fréquents que dans le reste de la population. Autre fait important: tous les attentats islamistes qui ont fait des morts ont été commis par des citoyens américains ou, en tout cas, des résidents en situation régulière aux États-Unis.

Citoyens lambda

En définitive, les terroristes islamistes qui ont opéré sur le sol américain après le 11 septembre 2001 sont des gens on ne peut plus ordinaires. Ils ne sont pas venus de l’étranger; ce sont pour la plupart des Américains qui ont passé la majeure partie de leur vie –ou toujours vécu– aux États-Unis. Il convient par ailleurs de souligner que, dans ce pays, on a 3.000 fois plus de risques de mourir sous les balles d’un compatriote dépourvu de motivations idéologiques que celles d’un djihadiste.

Ces données proviennent de United States of Jihad, un livre publié en 2016 par Peter Bergen, un expert en terrorisme islamiste qui s’est illustré en 1997 pour avoir été le producteur de la première interview télévisée d’Oussama Ben Laden. Cet ouvrage présente une véritable dissection de ce que l’auteur appelle les «terroristes faits maison». Il s’agit des Américains qui se radicalisent et deviennent soldats d’une «guerre sainte» contre les infidèles, en particulier l’Occident, en s’inspirant d’une interprétation extrémiste et déformée du Coran.

Mais comment se fait-il que des personnes qui, de prime abord, ne présentent pas de grandes différences avec le reste de la population décident de se faire djihadistes? Nul ne le sait –même les experts ne s’accordent pas sur les réponses possibles à cette question.

Facteurs de radicalisation

Il existe tout de même quelques éléments incontestables. La radicalisation qui pousse certains à la violence djihadiste résulte de facteurs distincts mais on retrouve  fréquemment (quoique pas universellement) chez les djihadistes la présence d’un épisode déclencheur tel qu’une frustration personnelle, de graves difficultés financières, une terrible douleur face à la perte d’un être cher ou un échec amoureux. Fort heureusement, tous ceux qui connaissent ce genre d’expérience ne deviennent pas terroristes.

Les raisons pour lesquelles des jeunes rejoignent des organisations terroristes ne sont pas tant liées au fait d’être pauvre, musulman ou psychopathe qu’aux vulnérabilités de la nature humaine

Article publié dans le bulletin mensuel de la Société américaine de psychiatrie

C’est aussi au travers de processus psychologiques plus complexes et subtils que l’on en vient à embrasser le djihadisme. La Société américaine de psychiatrie a publié dans son bulletin mensuel un article intéressant, qui récapitule les résultats des études les plus récentes sur le sujet. Des psychiatres pointent essentiellement le besoin de tous les jeunes adultes de «soulager leur existence». Ils précisent:

«Il s’agit de se découvrir, de savoir d’où l’on vient, ce à quoi on attache de la valeur, ce qui donne un sens à sa vie, quelles sont ses ambitions et comment prouver sa bravoure. […] Pour de jeunes marginaux qui sont parfois en transition entre une société et une autre, le processus de formation d’identité peut s’avérer une tâche désespérante.»

Et de conclure:

«Les raisons pour lesquelles des jeunes rejoignent des organisations terroristes ne sont pas tant liées au fait d’être pauvre, musulman ou psychopathe qu’aux vulnérabilités de la nature humaine, qui sont exacerbées par certains aspects des sociétés occidentales. […] Pour de jeunes occidentaux en transition et qui se sentent en marge de la société, perdus, désœuvrés ainsi que dépossédés et accablés sur les plans spirituel et existentiel du fait d’une trop grande liberté, Daech et d’autres idéologies superficielles, mais contagieuses, continueront d’être des solutions immédiates très attirantes face aux profondes difficultés inhérentes à la condition humaine.»

Si ce point de vue psychologique sur le terrorisme djihadiste n’apporte pas d’idée concrète permettant de contrer ce phénomène, il a le mérite de tordre le cou à des idées fausses, mais présentées comme incontestables. Il permet aussi de se rendre compte du danger de politiques qui seraient fondées sur des convictions erronées.

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