Culture / Monde

Un écrivain raconte la terrible indifférence face aux «petits» attentats

L’écrivain indien Karan Mahajan décortique la mécanique psychosociale des attentats terroristes.

Place de la Bourse à Bruxelles, le 23 mars 2016 | PATRIK STOLLARZ/AFP
Place de la Bourse à Bruxelles, le 23 mars 2016 | PATRIK STOLLARZ/AFP

Temps de lecture: 2 minutes - Repéré sur Guernica

L’association des petites bombes: c’est le titre d’un roman qui exhume l’histoire et les conséquences d’un «petit attentat» sur le marché de Delhi en Inde en 1996, écrit par l’Indien Karan Mahajan. Le hasard a voulu qu’il soit publié en anglais le 22 mars 2016, soit le même jour que les explosions qui ont fait plus de trente morts à Bruxelles.

Dans un entretien passionnant publié sur le site Guernica, le romancier décortique la mécanique psychosociale des attentats, en particulier de ces «petits» attentats, ces «petites bombes» qui, parce qu’elles tuent «peu» de victimes en regard des méga-attentats, ou parce qu’elles se produisent dans des pays dont la mort violente est devenu le quotidien, n’entreront jamais dans la grande histoire.

Ce sera par exemple le destin, prophétise le romancier, de l’attentat-suicide de janvier 2016 à Istanbul, tuant dix touristes allemands: «Je suis convaincu que, dans cinq ans, nous aurons oublié l’attaque d’Istanbul.»

Indifférence des autres… et de l’État

Chacun sait au fond de lui-même, même si cela coûte de l’admettre, que la capacité d’éprouver de la compassion est limitée à la fois par le nombre de victimes (certaines attaques sont plus marquantes que d’autres), le temps (la répétition use notre compassion) et l’espace (ce que les médias illustrent quand ils privilégient certains drames proches géographiquement ou culturellement).

Karan Mahajan l’admet: «Je ne sais pas ce que vous pouvez faire si vous apprenez qu’il y a eu une petite attaque dans la seconde, ou la troisième plus grande ville d’un pays X avec lequel vous n’avez pas de lien. Je ne sais pas ce que vous êtes supposé ressentir ou comment vous êtes supposé vous impliquer là-dedans.»

Je ne sais pas ce que vous pouvez faire si vous apprenez qu’il y a eu une petite attaque dans la seconde, ou la troisième plus grande ville d’un pays X avec lequel vous n’avez pas de lien

Karan Mahajan, écrivain indien

Mais l’injustice la plus criante concerne les victimes d’attentats dans des pays où l’État est défaillant, comme en Inde: «Dans le cas de ces petites attaques, la douleur se concentre sur ceux qui sont touchés, parce qu’ils ne sont pas seulement oubliés par tous les autres, ce qui est normal, mais ils sont également oubliés par le gouvernement, qui laisse traîner les dossiers pendant des années dans les tribunaux.»

Vie de terroriste ennuyeuse

Dans ce long entretien, le romancier aborde d’une manière originale la psychologie et le quotidien des terroristes. Forme de «transcendance» ou de dévouement à une cause politique pour certains, l’acte terroriste est vu ici comme un renoncement aux plaisirs les plus élémentaires de la vie. Qu’ont pu bien faire les auteurs des attentats du 11-Septembre pendant tout le temps passé à préparer leur opération sur place? «On se rend compte que ça doit être très ennuyeux d’être un terroriste.»

L’auteur bat également en brèche la pertinence d’un argument largement repris après chaque attentat: il est plus probable de mourir dans un accident de voiture que dans une attaque de Daech. Certes, mais «quelle qu’en soit la raison, les gens savent que les accidents de voiture arrivent et ils ne vivent pas avec la peur quotidienne en roulant, ou du moins ils sont capable de la surmonter».

Le terrorisme répondrait, en revanche, à une demande médiatique insatiable pour l’entretien de la terreur. Contemporains d’internet, les attentats du 11-Septembre ont satisfait cette demande: «Il y a constamment un espace disponible dans les médias et l’esprit des gens pour la peur apocalyptique.» Le bug de l’an 2000 avait rempli cette fonction au tournant du millénaire. Un an plus tard, cette peur trouvait sa justification dans les attaques du 11-Septembre.

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