Monde

Les services de sécurité belges sont totalement dépassés

La Belgique a été incapable de démanteler, voire de repérer, les cellules terroristes qui ont planifié depuis des mois une succession d’attaques sanglantes.

Un policier instaure un périmètre de sécurité devant le métro Maelbeek | EMMANUEL DUNAND/AFP
Un policier instaure un périmètre de sécurité devant le métro Maelbeek | EMMANUEL DUNAND/AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Après la capture le 18 mars de Salah Abdeslam, François Hollande et Charles Michel, le Premier ministre belge, se sont félicités de ce succès lors d’une conférence de presse commune. Ils auraient dû être plus prudents. L’arrestation du seul survivant des attaques du 13 novembre à Paris après quatre mois de cavale a été un coup de chance de l’aveu même de membres des services de sécurité belges. Elle a sans doute aussi été le facteur déclenchant des attaques menées à Bruxelles quatre jours plus tard. Car une partie du réseau auquel appartenait Salah Abdeslam n’a pas été démantelé et est passé à l’action, notamment les frères el-Bakraoui.

«C’est comme une toile d’araignée», explique au Wall Street Journal Pieter Van Ostayen, un expert du djihadisme en Belgique. «Le gouvernement belge regardait ailleurs. Il ne voulait pas faire face à ce problème avant qu’il ne soit déjà trop tard».

Un réseau de dizaines de personnes

Les services de sécurité et de renseignement belges ont été incapables jusqu’à aujourd’hui de démanteler voire même de repérer les cellules terroristes qui ont organisé et planifié depuis ce pays une succession d’attaques sanglantes en France et en Belgique. Et il ne s’agissait pas de «loups solitaires» ou de petites équipes, par définition plus difficiles à détecter, mais d’un vrai réseau constitué de dizaines de personnes dont certaines assurant le recrutement, la logistique, l’approvisionnement en armes, la planification des attaques, la fabrication des explosifs. Des cellules francophones constituées d’un mélange de Belges et de Français passés pour la plupart par la Syrie et l’Irak. Selon des documents provenant de la justice belge, le réseau a commencé à envoyer des dizaines de personnes en Syrie depuis 2012. La plupart sont restés des combattants de faible niveau dans les rangs de l’Etat islamique mais ceux notamment qui parlaient arabe ont pu monter en grade et revenir en Europe planifier une succession d'attaques.

Jean-Charles Brisard, auteur d’une biographie de Abou Moussab al-Zarqawi, le fondateur en Irak du précurseur de l’Etat islamique alors sous le patronage d’al-Qaida, estime que 534 belges ont été combattre en Syrie et qu’environ 200 sont revenus. Pour lui, l’organisation franco-belge de l’Etat islamique est bien plus importante que les services de sécurité européens l’ont longtemps estimé.

«C'est terrifiant d'admettre que son pays est hors de contrôle»

Comme le résumait Gilles Kepel dans une interview à France Télé

«Selon [les djihadistes], c'est l'Europe qui est le ventre mou de l'Occident, qu'il faut attaquer en priorité (...), avec pour objectif de dresser les individus les uns contre les autres».

Et la Belgique est manifestement le ventre mou de l'Europe. L’Etat belge a été incapable de mobiliser des ressources suffisantes pour monter une campagne anti-terroriste et les moyens engagés aujourd’hui restent totalement inadaptés à l'ampleur de la menace ce que reconnaissent eux-mêmes les membres belges des services de sécurité. «Nous n’avons pas les infrastructures pour surveiller des centaines de personnes suspectées d’avoir des liens avec des organisations terroristes et pour mener dans le même temps les centaines d’enquêtes en cours», explique à Buzzfeed, sous le couvert de l’anonymat, un membre des services belges. «C’est une situation impossible et honnêtement très grave». Le problème est encore plus criant à Bruxelles où les forces de police sont divisées en six corps dans 19 communes.

«Il y a une infiltration de djihadistes depuis des années. Et ils commencent seulement maintenant à y travailler», explique au Daily Beast un spécialiste américain du contre-terrorisme. «Quand nous sommes en contact avec eux et quand nous envoyons nos agents pour parler avec eux, nous rencontrons essentiellement des personnes qui sont –je vais le dire brutalement– des enfants. Ils ne prennent pas d’initiatives, ils ne savent pas ce qu’il se passe. Ils sont dans le déni. C’est quelque chose de terrifiant d’admettre que son pays est hors de contrôle».

La quasi totalité des attaques terroristes des derniers mois en Europe ont des liens étroits avec la Belgique. Le 24 mai 2014, le djihadiste français Mehdi Nemmouche, de retour de Syrie, attaque le musée juif de Bruxelles. Les armes utilisées par les frères Kouachi le 7 janvier 2015 et  par Amedy Coulibaly le 9 janvier 2015 venaient de Bruxelles. Le 14 janvier 2015, les forces de police belge tuent à Verviers deux terroristes qui avaient ouvert le feu à l’arme automatique. Ils préparaient une attaque en Belgique ou ailleurs. Une tradition bien établie à Verviers puisque les assassins du commandant Massoud le 9 septembre 2001 venaient de Verviers. La kalachnikov d’Ayoub al Kazzhani, qui a mené l’attaque du 23 août 2015 à bord du Thalys Amsterdam-Paris, venait aussi de Belgique. La plupart des huit terroristes qui ont participé aux attaques du 13 novembre à Paris avaient résidé ou même grandi à Molenbeek. Et on peut ajouter à cette liste d'opérations terroristes récentes ayant un lien belge indéniable: Villejuif, Joue les tours et Saint-Martin Fallavier.

Après l’arrestation de Salah Abdeslam, un autre membre du réseau a été identifié, Najim Laachraoui, originaire lui du quartier Schaerbeek de Bruxelles. Son ADN a été trouvée sur des ceintures d’explosifs utilisées le 13 novembre à Paris.

Enfin, celui qui est considéré comme le cerveau des attaques de novembre, Abdelhamid Abaaoud, abattu le 18 novembre à Saint-Denis, est né à molenbeek. Il a joué un rôle essentiel dans quatre opérations terroristes en Europe. Il aurait «guidé» Mehdi Nemmouche. Dans la fusillade de Verviers, il donnait les ordres à distance à deux Belges, Sofiane Amghar et Khalid Ben Larbi, qui avaient combattu auparavant dans la brigade d’élite Battar de l’Etat islamique. Il serait également à l’origine de l’attaque du Thalys. Dans le numéro de février 2015 du magazine de propagande de l’Etat Islamique Dabiq, il se vantait d’être protégé par Allah et d’avoir pu revenir en Syrie après avoir été interpellé par un policier en Belgique incapable de le reconnaître.

cover
-
/
cover

Liste de lecture