Culture / Monde

Après les attentats, le défilé des robots émotifs

Fausses informations, Safety Check sur Facebook, dessins, récupération politique, hommages... Les deux attentats survenus à Bruxelles ce 22 mars viennent encore démontrer que nous nous habituons à ce type d'événements (et à y réagir).

Image de Marianne détournée par le gouvernement sur Twitter après les attentats à Bruxelles le 22 mars | DR
Image de Marianne détournée par le gouvernement sur Twitter après les attentats à Bruxelles le 22 mars | DR

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Quelques jours seulement après l’attentat survenu à Istanbul, en Turquie, ou à Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, le monde entier a réagi comme il pouvait aux attentats survenus à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem et à la station de métro Maelbeek, dont le bilan provisoire s’élève pour l’instant à au moins trente-et-un morts. Après les attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, ceux à Paris et Saint-Denis le 13 novembre, la France et l’Europe sont encore traumatisées. Moins de deux heures après la diffusion de l’information évoquant des explosions à l’aéroport, des photos de témoins sont publiées sur Twitter, les dessinateurs prennent leurs crayons pour s’exprimer, certains utilisent le hashtag #porteouverte pour accueillir les Bruxellois qui voulaient être en lieu sûr, hommages et réactions de politiques et de personnalités sont ensuite rapidement venus des quatres coins de la planète. 

D’un attentat à l’autre, les heures et les réactions qui suivent les attaques se ressemblent de plus en plus, comme si nous avions l’habitude de ces événements tragiques, pourtant extraordinaires.

Les fausses images relayées à l’envi

Pour montrer ce qu’il se passe à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem, des images ont été diffusées par plusieurs médias dans la matinée du 22 mars. Sauf que, comme l’ont signalé des internautes, ces images ne montrent pas les explosions survenues dans la capitale belge mais celles de l’attentat de l’aéroport de Domodedovo de Moscou en 2011.

Une autre vidéo a circulé dans la matinée, relayée ici par un journaliste de la chaîne France 24. Il explique que les vidéos de surveillance dans les transports en commun ne sont souvent diffusées que dans les jours qui suivent, ce qui n’a pas empêché une télé iranienne de les reprendre.

Les photos violentes publiées sur les réseaux sociaux

Après l’explosion à la station de métro de Maelbeek, une photo où l’on voit de la chair humaine a circulé sur Twitter, reprise par Vice News notamment. Tout comme une image du bain de sang du Bataclan avait été reprise sur internet le 14 novembre, avant d’être censurée. Après l’attentat à Charlie Hebdo, Le Monde avait volontairement choisi de publier une photo de traces de sang dans la rédaction.

Des dessins partout très rapidement

L’attentats à la rédaction de Charlie Hebdo avait donné lieu à la réaction de nombreux dessinateurs, choqués par la disparition de leurs confrères. Le 13-Novembre a entraîné la même réaction. Bruxelles ne fera pas exception. À chaque fois, ce sont les symboles du pays qui sont repris: cette fois, la statue du Manneken-Pis ou Tintin (un journaliste des Inrocks a aussi partagé une image des frites, largement reprise). En 2015, c’était Marianne et la Tour Eiffel.

Le Monde a publié un dessin de Plantu, qui sera en une du journal daté du 23 mars.

Le dessinateur Joann Sfar a mis en ligne trois dessins dans la foulée sur son compte Instagram.

 

Mon coeur est à Bruxelles.

Une photo publiée par Joann Sfar (@joannsfar) le

 

 

Mon coeur est à Bruxelles

Une photo publiée par Joann Sfar (@joannsfar) le

 

 

Mon coeur est à Bruxelles

Une photo publiée par Joann Sfar (@joannsfar) le

 

Et beaucoup d’autres ont fait comme lui.

Il y a eu tellement de dessins que certains redoutent la récupération. En novembre 2015, le dessinateur à l’origine du dessin le plus rapidement relayé –une Tour Eiffel à l’intérieur d’un signe de paix– avait été critiqué par certains internautes pour avoir publié son dessin très vite –les terroristes présumés n’étaient pas encore neutralisés. Le dessin a depuis été déposé aux États-Unis, indiquait Libération en janvier 2016. Même si l’auteur a toujours autorisé l’utilisation gratuite, il a accepté une rémunération quand son logo a été repris lors d’un concert de U2, souligne Libération. 

En janvier 2015, après l’attentat à Charlie Hebdo, le logo «Je suis Charlie», imaginé par le directeur artistique de Stylist Joachim Roncin, avait fait le tour du monde. Mais son auteur a toujours refusé d’en faire une utilisation commerciale. L’Institut national de la propriété industrielle (Inpi) a tout de même dû refuser certaines demandes de dépôts de marque «Je suis Charlie».

Certains internautes craignaient ce 22 mars la récupération commerciale et l’envie de profiter d’un peu de visibilité grâce à une «bonne» réaction. 

Même idée avec ce tweet grinçant du site satirique Le Gorafi:

«Je suis»

LE symbole du 7 janvier 2015, «Je suis Charlie», est réutilisé et adapté à la situation en Belgique.

L’opération «porte ouverte»

Comme pour le 13-Novembre, lorsque les Parisiens avaient ouvert leurs appartements à ceux qui ne savaient pas où aller après les attaques successives à Saint-Denis, dans le Xe arrondissement, au Bataclan et dans le XIe arrondissement, les mots-clés #Porteouverte et #opendoor ont émergé pour Bruxelles.

Le Safety Check de Facebook

C’est un peu après onze heures, soit trois heures après les explosions à l’aéroport de Bruxelles-Zaventem que le réseau social a mis en place le Safety Check, cette fonctionnalité qui permet aux résidents d’une ville ciblée par des attentats de rassurer leur proche en leur disant rapidement qu’ils vont bien. Un peu tard pour certains Belges. Facebook avait été critiqué pour ne pas l’avoir mis en place au Liban le 12 novembre, au Nigeria, ou en Côte d’Ivoire il y a quelques jours.

La résignation

La fréquence des attentats ces derniers mois provoque aussi une foule de réactions de résignation. Frappés très près de chez eux, les Français avaient publié de longs textes après le 13-Novembre, tandis que d’autres les lisaient frénétiquement. En novembre, l'écrivain Michel Houellebecq écrivait dans Il Corriere della Sera:

«On s’habitue à tout, même aux attentats. La France résistera. Les Français sauront résister même sans se prévaloir d’un héroïsme exceptionnel, sans même avoir besoin d’un sursaut collectif d’orgueil national […]. Ils résisteront parce qu’on ne peut pas faire autrement, et que l’on s’habitue à tout. Parce qu’aucune émotion humaine, pas même la peur, est plus forte que l’habitude.»

Fin 2015, Titiou Lecoq soulignait à quel point elle voulait que cette année se termine. En janvier dernier, Europol, le police européenne, publiait un rapport indiquant que la France devait se préparer à de nouveaux attentats. Ce 22 mars, on ne sait donc plus comment réagir tant les attentats se succèdent.

La récupération

Après de tels événements, la classe politique ne pouvait pas rester silencieuse. Le contexte français de campagne pour la primaire du parti Les Républicains et plus globalement de la campagne présidentielle à venir semble avoir joué. Il y a les politiques qui se servent des attentats comme d’un argument pour appuyer leurs discours. À gauche –comme Bruno Le Roux, qui évoque la déchéance de nationale–, comme à droite, avec Robert Ménard ou Nadine Morano.

Ce qui rappelle le 13-Novembre aux internautes, quand droite et extrême droite avaient utilisé les attentats.

Il faut aussi se souvenir de la façon dont Nicolas Sarkozy avait bousculé le protocole pour figurer au premier plan sur la photo du 11 janvier lors de la marche organisée en hommage aux morts à Charlie Hebdo et où de nombreux chefs d’État étaient présents.

Les hommages du monde entier

Comme aux lendemains des attentats de Paris quand le monde a pris les couleurs du drapeau français, Paris, et d’autres villes, vont se mettre aux couleurs de la Belgique.

En France:

Au Royaume-Uni:

 

David Cameron: «Je suis choqué et préoccupé par les événements survenus à Bruxelles. Nous ferons tout ce que nous pouvons pour aider.»

À New York:

 

Bill de Blasio: «Nous transmettons toutes nos forces à Charles Michel et aux habitants de Bruxelles. La police de New York est en alerte dans toute la ville. Nous vivrons pas dans la peur.»

À Washington:

 

Barack Obama: «Nous envoyons nos pensées et prières à tous les Belges.»

Les réactions sur les réactions

Quelques heures après, arrive alors ce moment étrange où certains en sont à juger qui a eu la meilleure réaction, à dénoncer toutes les formes de récupération. Ce 23 mars, au lendemain des attentats à Bruxelles, le dessinateur Joann Sfar a publié un texte sur son compte Instagram pour répondre à ceux qui ont critiqué ses dessins.

 

Les dessinateurs qui t'ordonnent de faire silence.

Une photo publiée par Joann Sfar (@joannsfar) le

 

 Ces critiques existaient après les attentats de Paris et Saint-Denis. Ce qu’un journaliste analysait au lendemain du 13 novembre comme une façon comme une autre de réagir aux actions irrationnelles de l’Etat islamique. Ça doit être ça.

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