Culture

«Midnight Special», l'éveil d'un imaginaire anti-Spielberg

Le nouveau film de Jeff Nichols («Take Shelter», «Mud»…) s'affranchit avec brio de ses modèles pour conquérir un nouvel espace de liberté.

Le jeune Jaeden Lieberher I Warner Bros Entertainment Inc. and Ratpac-Dune Entertainment LLC
Le jeune Jaeden Lieberher I Warner Bros Entertainment Inc. and Ratpac-Dune Entertainment LLC

Temps de lecture: 2 minutes

Il est amusant de voir la publicité annoncer avec le quatrième film de Jeff Nichols la révélation d’un nouveau Spielberg. Si le sens du spectacle cinématographique de l’auteur de Take Shelter et de Mud peut en effet être comparé à celui du signataire d’ET, c’est pour en faire un tout autre usage, voir pour affirmer un point de vue opposé et un désir de rupture.

Midnight Special est un conte à la morale assez simple: il faut que les enfants vivent leur vie, l’avenir leur appartient, les parents (et les autres pouvoirs, politiques, religieux, militaires, médiatiques) doivent accepter de les laisser un jour partir vivre leur vie. Soit l’exact contraire du message familialiste, de la prééminence des liens du sang et de l’appartenance à la cellule familiale, martelé sur tous les tons et, éventuellement, à grands renforts d’effets spéciaux par Spielberg.


Il est à cet égard légitime que le film porte le titre d’un song de Leadbelly, musicien noir qui a passé le plus clair de son temps dans un pénitencier près duquel passait ce train de minuit dont la lumière le faisait rêver de liberté. La liberté, dans un sens assez vague, est bien l’enjeu de la fuite dans la nuit de Roy, le père, aidé du policier passé dans le camp opposé Lucas, plus tard rejoints par la mère, Sarah et par Paul, un analyste de la NSA (le seul personnage spielbregien de l’affaire, mais dans un emploi très différent) pour amener le garçon de 8 ans, Alton, à sa mystérieuse destination malgré la mobilisation de la puissance et de la violence des autorités de tout poil.

Fiction ouverte

De tous ces protagonistes, chacun typé d’une manière originale et assez ambivalente, à commencer par Michael Shannon déjà remarquable dans Take Shelter, la mère remarquablement sous-jouée par Kirsten Dunst est certainement la figure la plus singulière, dans un contexte où la pulsion animale de l’amour maternel est une loi quasi-absolue du scénario du cinéma mainstream contemporain, et son surjeu la règle de la part de toutes les actrices recrutées pour cet emploi. 

Jaeden Lieberher et Kirsten Dunst I Warner Bros Entertainment Inc. and Ratpac-Dune Entertainment LLC ici

Le seul protagoniste sans grand intérêt, être fonctionnel plutôt que fictionnel, est Alton, qui est moins un enfant qu’une idée. Si le film cherche à susciter l’identification, c’est avec les adultes qui l’entourent. Comme si Midnight Special n’avait pas à savoir, et encore moins à rendre partageable, ce dont cet enjeu de liberté, et de manière douloureuse, est porteur.

La liberté, c’est aussi celle que se donne Jeff Nichols, et celle qu’il offre à ses spectateurs –là aussi tout à fait à rebours du cinéma dont Spielberg est la figure exemplaire. Pas de manipulation du récit, mais une organisation lacunaire des informations qui laisse ouvertes de multiples hypothèses quant aux motivations des personnages et à la succession des événements. L’accès à des indices disséminés comme les repères d’une «plus grande image», qui ne sera jamais montrée, propose un rapport à la fois ouvert et codé à la fiction, d’un effet très heureux.

Cette architecture narrative étrange, dont l’apparition de structures virtuelles et futuristes donnera une assez juste traduction visuelle à la fin du film, fonctionne grâce à une extraordinaire dépense d’énergie spectaculaire. En ce sens, Nichols est bien un enfant de Hollywood, il s’y entend à mobiliser poursuites, explosions, jaillissements lumineux, débauche de technologie à l’image et dans sa fabrication.

L'adolescent super-héros

Ce recours à l’arsenal du cinéma visant à en mettre plein la vue fait directement écho à l’étrange superpouvoir-maladie dangereuse dont est doté l’enfant au centre de toute l’affaire, selon un oxymore commun à de nombreuses histoires de superhéros. En se souvenant que superhéros, c’est le sort imaginaire de tout adolescent.

Pas difficile désormais de comprendre Midnight Special aussi comme une métaphore de la situation du réalisateur lui-même, et de son aspiration à partir sur sa propre planète de cinéma, habité de présences lumineuses encore inconnues, loin de «parents» (Spielberg, Hollywood) qui ne sont pas comme lui. Espérant dans l’aide de transfuges (qui seront ses Ryan, Lucas, Sarah et Paul?), à voir s’il sera capable d’atteindre cet autre monde, et de le faire partager. Au moins est-ce un projet digne d’intérêt.

Midnight Special

de Jeff Nichols avec Michael Shannon, Joel Edgerton, Kirsten Dunst, Adam Driver. Durée: 1h51. Sortie le 16 mars.

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