France

Ce qui sépare vraiment Martine Aubry de Manuel Valls

Pour Martine Aubry et la gauche qu'elle incarne, la France doit se défendre contre un capitalisme brutal. Pour Valls et les sociaux-libéraux, le mal est d’abord français et réside dans cette méfiance envers le libéralisme.

Manuel Valls et Martine Aubry à Lille le 18 mars 2015 | DENIS CHARLET/POOL/AFP
Manuel Valls et Martine Aubry à Lille le 18 mars 2015 | DENIS CHARLET/POOL/AFP

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L’actualité est parfois savoureuse. Le jour même où la maire de Lille Martine Aubry tirait à boulets rouges sur la politique économique dite «de l’offre» du gouvernement, le groupe Peugeot annonçait un retour à l’équilibre en 2015 et une prime de 2.000 euros pour chacun de ses salariés français. La politique de l’offre chez PSA a fait souffrir les salariés, avec la fermeture de l’usine d’Aulnay-sous-Bois, le gel des rémunérations pendant deux ans, la suppression de 17.000 emplois sur 120.000. Mais elle paie, le groupe a retrouvé une bonne rentabilité avec deux ans d’avance sur son plan, il repart de l’avant. Pendant que le PS se déchire sur «la politique de l’offre», PSA apporte la démonstration de son efficacité.

L’intérêt du texte signé par Martine Aubry ne tient pas au vitriol de l’attaque, qui vise en particulier le Premier ministre, mais dans l’éclairage qu’il donne sur sa vision de l’économie et de l’entreprise. En France, en 2016, au PS mais aussi dans une partie de l’opinion publique, subsiste une conviction foncièrement antilibérale. L’entreprise, est sinon l’ennemie de classe, du moins l’adversaire selon la survivance marxiste du «lieu d’extraction de la plus-value», autrement dit de l’exploitation de l’ouvrier. Le libéralisme, depuis trente ans, montre que ceux qui à gauche ont voulu passer des compromis «avec le capital» ont toujours perdu, les salaires sont à la baisse partout dans le monde développé, les conditions de vie s’abîment, les riches de plus en plus riches. La crise, provoquée par les banques, a été payée par les ménages. Bref, le capitalisme est de plus en plus dur, les rapports sociaux ne sont pas un dialogue, ils sont un combat, plus que jamais.

Cette vision négative se limitait au réduit français mais elle se redéploie aujourd’hui en Grande-Bretagne chez un Jeremy Corbyn ou aux États-Unis avec Bernie Sanders. Elle reprend corps dans la tectonique transformation de l’économie qui provoque l’atrophie des classes moyennes. Aubry s’appuie sur ce socle: la dureté du capitalisme, de la crise profonde actuelle et des remèdes.

Peugeot Citroën donne raison à Hollande, Valls et Macron. Le préalable à tout regain de l’économie française est le retour à la compétitivité

Mais les arguments puisés au niveau mondial pour nourrir l’antilibéralisme, sont appliqués à la France avec déraison. Si le capitalisme est dur, il l’est bien moins ici qu’ailleurs. La France, avec des dépenses publiques record de 57% du PIB, reste un pays «socialiste», les inégalités n’explosent pas, la protection des salariés est considérable. Ce qui provoque la souffrance spécifiquement «française», le chômage à 10%, est plutôt l’ensemble des coûts, des lourdeurs et des retards français. La grande fracture Aubry-Valls est là: pour la gauche de la gauche, le capitalisme est brutal, défendons-nous d’abord en France; pour les sociaux-libéraux, le mal est d’abord français, réformons. Il y a déjà trop de libéralisme pour les uns, il en manque pour les autres.

Maux français

Au niveau national, en France, la gauche de la gauche développe un deuxième argument: les entreprises françaises sont mal gérées. Un Arnaud Montebourg représentait parfaitement ce dédain: l’État est plus intelligent que la bourgeoisie française. C’est historique, la société civile (privée) est faible, on ne peut pas lui faire confiance. Donner des aides aux entreprises ne peut se concevoir que dans un cadrage très serré pour éviter qu’elles n’empochent les avantages pour servir les patrons et les actionnaires. Le chef de l’État aurait dû exiger des contreparties précises et contraignantes aux 20 milliards du CICE, parce que les organisations patronales en veulent toujours plus, sans rien donner en échange.

Aubry a tort. Sur le fond, parce que la société civile donne aujourd’hui les signes d’un dynamisme qui a déserté l’État, resté organisé selon le capitalisme keynésien d’hier. Elle a tort aussi sur sa vision des entreprises. Les patrons, assommés par les chocs fiscaux depuis 2011, préfèrent consolider leurs marges avant d’investir et plus encore d’embaucher: rien là que de logique et de prévisible. La gauche de la gauche antilibérale ignore le temps. L’Allemagne a démontré que la politique de l’offre met plusieurs années avant de porter ses fruits, surtout quand les mêmes chefs d’entreprise entendent en France toutes les semaines des attaques contre le CICE et se disent que le gouvernement pourrait revenir en arrière. La confiance est, justement, ruinée par les discours des frondeurs ou les manœuvres de la maire de Lille, mais sans doute est-ce en réalité voulu par des calculs politiciens.

Avec éclat, Peugeot Citroën donne raison à François Hollande, Manuel Valls et Emmanuel Macron. Le préalable à tout regain de l’économie française est le retour à la compétitivité. La France est en panne d’abord à cause de ses coûts, de ses charges, de la lourdeur des prélèvements. Réformer, c’est alléger. Le déficit commercial, qui a plongé dans les années de l’instauration des 35 heures compensées par des aides aux entreprises (faut-il le rappeler?), est le premier des maux français. Les pays en déficit importent du chômage. Toute politique de la demande, celle que veut maintenir la gauche de la gauche, se traduirait aujourd’hui tout simplement pas plus d’importations, c’est-à-dire aucun emploi.

Peugeot ne va pas embaucher de sitôt en France. Il n’a pas fini sa mutation. Mais le groupe est sauvé, il peut engager un développement, une croissance, laquelle apportera directement ou indirectement des bénéfices à la France. C’est une dynamique d’ensemble. Et cela peut aller assez vite, justement parce que les entreprises françaises sont pleines d’élans.

Cet article a été initialement publié dans Les Échos.

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