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Suivant l’exemple américain et le précédent de la primaire socialiste de 2011, les appels à créer une primaire à gauche se multiplient. La droite a quant à elle déjà prévu son grand événement pour novembre et d’autres mouvements appellent à organiser une consultation plus large, ouverte à des candidats issus de la société civile. Dans cette forêt d’initiatives nouvelles, pas facile de s’y retrouver.
Deux groupes ont lancé chacun de leur côté une initiative appelant à une primaire à gauche, pour faire élire des candidats de partis. L’une est portée par onze intellectuels et politiques, dont les plus connus sont sans doute l’écologiste Daniel Cohn-Bendit, l’écrivaine Marie Desplechin, et l’économiste Thomas Piketty. Ils ont écrit une tribune dans le journal Libération le 10 janvier, qui a relancé le débat sur la nécessité d’organiser une telle confrontation à gauche. L’autre est préparée depuis l’été dernier par Caroline de Haas, passée par l’Unef et le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, Arnauld Champremier-Trigano –ancien dir-com de la campagne de Mélenchon– ou encore le jeune geek Elliot Lepers. Mais ils ne cessent de le dire: leur initiative est «complémentaire» et non «concurrente».
À côté de ces structures issues de la société civile, mais dont le but est clairement d'organiser une primaire avec des candidats des partis déjà existants, d'autres initiatives existent, qui sont ouvertes à des personnalités issues de la société civile. Elles bénéficient d'un potentiel de sympathie du public, au moment où les partis sont confrontés à une grave crise. Selon un sondage Ifop, deux tiers des Français se disent favorables à la tenue d’une primaire non partisane. Un récent sondage Elabe confirme la tendance.
Le mouvement La Transition a été lancé en janvier par le communicant Claude Posternak, dont le but est de «présenter un candidat issu de la société civile à la présidentielle 2017». LaPrimaire.org est ouverte à tous, y compris des personnalités issues des partis politique. Enfin, l'initiative la moins connue, La Vraie Primaire, veut aussi un candidat «dégagé des partis».
Voici la carte d’identité de ces primaires alternatives.
1.Notre primaire(À gauche et pour un candidat issu des partis)
Date de lancement le 10 janvier.
Qui? L'économiste Julia Cagé, le député européen Daniel Cohn-Bendit, la sémiologue Mariette Darrigrand, l'écrivaine Marie Desplechin, le rédacteur en chef du mensuel Alternatives économiques Guillaume Duval, l'acteur-réalisateur Romain Goupil, l'écologiste Yannick Jadot, le démographe Hervé Le Bras, la sociologue Dominique Méda, l'économiste Thomas Piketty et le sociologue Michel Wieviorka.
Texte de référence «Notre système politique est bloqué», appel paru dans Libération
En une ligne, c’est quoi? Un appel à une primaire de gauche en même temps que la primaire de droite. Ses auteurs ne prétendent pas eux-même l’organiser, mais ils veulent alimenter des débats et rencontres «au plus près des électeurs», retournant aux sources «de l’expérience sociétale et des avancées concrètes dont les professionnels de la profession politique ont rarement connaissance».
Quelques chiffres Leur appel, «Ré-enchantons le débat politique, exigeons une primaire des gauches et des écologistes», a pour l’instant récolté environ 78.000 signatures sur change.org.
Une citation «Il n’y a pas de fatalité à l’impuissance politique. (...) Nous avons une conviction: la primaire des gauches et des écologistes est la condition sine qua non pour qu’un candidat représente ces forces à l’élection présidentielle en incarnant le projet porteur et bienveillant dont la France a besoin.»
Philosophie Dans leur appel ces intellectuels, artistes et personnalités politiques s’inquiètent de tendances de fond, particulièrement d’une forme de dépolitisation en France, qui se caractérise par la montée de l’abstention et une défiance vis-à-vis de la politique. L’appel critique aussi les institutions de la Ve République, avec une «élection présidentielle-reine» qui favorise le culte de la personnalité. Des phénomènes plus récents les préoccupent, comme la montée du Front national (FN), le glissement de la société à droite, ou le rapprochement (la confusion?) idéologique entre droite et gauche.
Une ligne politique? Si François Hollande n’est pas nommé ni exclu de leur initiative, ces intellectuels ne sont clairement pas des proches du président de la République, dont ils critiquent dans leur appel la déchéance de nationalité, «rupture politique majeure», selon eux. Ils espèrent tous plus ou moins que cette primaire permettra de faire surgir une alternative à François Hollande, mais n’envisagent pour la plupart, et au contraire de leurs alliés de «Primaire de gauche», «pas de primaire sans le PS», comme nous a expliqué Yannick Jadot, l’une des onze personnalités à l’origine de l’appel. Ne serait-ce que pour des questions organisationnelles. Selon l'eurodéputé écologiste, pour tenir 10.000 urnes, il faut «50.000 militants», soit des bataillons que seul le PS peut fournir.
L’initiative «Notre primaire» est-elle concurrente de l’initiative «Primaire de gauche»? Pour Dominique Meda, sociologue faisant partie du collectif à l’origine de l’appel, les deux démarches sont «plutôt complémentaires»:
«Nous souhaitons promouvoir l'idée, montrer que cette primaire est indispensable, organiser des débats, démontrer qu'il y a des alternatives, et tout faire pour que les candidats soient obligés de s'exprimer sur certains sujets: la finance; les inégalités; l'Europe; la conjugaison de la question sociale et de la question écologique; la réforme des institutions...Voilà pour nos ambitions.»
2.Primaire de gauche(À gauche et pour un candidat issu des partis)
Site https://primairedegauche.fr/
Date de lancement le 23 janvier.
Qui? La militante féministe Caroline de Haas, passée par l’Unef et le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem; l'ancien directeur de la communication de la campagne de Mélenchon, Arnauld Champremier-Trigano; l'activiste web Elliot Lepers.
Texte de référence «Ça a commencé autour d’un dîner», sur l'histoire du mouvement.
En une ligne, c’est quoi? Des personnes qui veulent organiser la primaire de gauche, eux-mêmes, sans la laisser aux partis: «Pour que cette primaire renouvelle la vie politique et offre la perspective de construire une alternative, elle ne doit pas être pilotée par les appareils», affirment-ils.
Quelques chiffres Plus de 2.800 volontaires se sont inscrits sur le site, et 260 personnes veulent organiser des réunions, selon Caroline de Haas.
Une citation «Les appareils ne peuvent pas en permanence dicter les règles du jeu. C’est à nous de le faire. La politique se flétrit de cela.» (Elliot Lepers).
Philosophie Contrairement à Notre primaire, Primaire de gauche ne croit pas, ou peu, que le PS organisera une primaire. Ils veulent donc à tout prix l’organiser. «On est sur l’arsenal opérationnel. Eux [Notre primaire, ndlr], ce sont des intellectuels, donc ils ne vont pas mettre les mains dans le cambouis. Mais ce qu’ils amènent, c’est une couverture médiatique. On ne joue pas dans la même dimension», explique Elliot Lepers.
Une ligne politique? Si, comme «Notre primaire», les activistes de «Primaire de gauche» affirment ne pas exclure François Hollande, le ton est clairement plus dur à son endroit. Dans une vidéo diffusée sur leur site, on y voit des extraits du discours de François Hollande au Bourget, durant la campagne présidentielle de 2012: «Mon adversaire, c'est le monde de la finance.» Suit l’évocation de l’affaire Cahuzac, des chiffres sur le chômage, les propos du ministre de l’Économie Emmanuel Macron annonçant la fin des 35 heures, ou du Premier ministre Manuel Valls sur les roms.
Si le PS ne participe pas, Caroline de Haas et Elliot Lepers ne s’en offusqueront pas. «Nous concevons tous cela comme une alternative à la politique actuelle. Si Hollande veut mener une politique alternative à ce qu’il fait, il est le bienvenu, mais j’en doute. Je ne pense pas qu’une primaire puisse faire changer de conception du monde un président», affirme Elliot Lepers.
«Pour l’instant, pour moi, mon échiquier politique ce sont les gens qui ont dit qu’ils étaient intéressés par la primaire. Le PC, les écologistes, Nouvelle donne et Ensemble, cela commence à faire beaucoup de monde», nous explique Caroline de Haas. «Qui est responsable du merdier aujourd’hui? C’est Hollande. Je pense que s’il veut se passer de la primaire, on peut la faire. Ce serait hallucinant qu’un parti politique qui a perdu la moitié de ses adhérents décide de tout», dit-elle encore plus clairement, tout en assurant aussi plus tard que la primaire est «ouverte à tout le monde».
3.LaPrimaire.org(Sans couleur politique, ouverte aux candidats hors partis)
Date de lancement 15 octobre 2015, dans les locaux de l'incubateur de start-ups The Family.
Qui? Elle est organisée par deux personnes, Thibault Favre et David Guez. L’un est avocat, l’autre ingénieur en informatique. Ils ont créé une société de services et de conseils pour vivre, Telegraphe.ai, par l’intermédiaire de laquelle ils conseillent des mairies «dans leurs relations avec les citoyens». Mais ils assurent qu’il n’existe «aucun flux financier entre LaPrimaire.org et (leur) société».
Texte de référence Le manifeste de la primaire.
En une ligne, c’est quoi? Une primaire «100% numérique», ouverte à tous les candidats, de gauche et de droite, et qui n’est rattachée à aucun parti. Les candidats seront présentés de manière aléatoire aux participants qui auront téléchargé l'application LaPrimaire.org, les votant ne voyant donc qu'une poignée de candidats sur potentiellement plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines ou plusieurs milliers si l'application rencontre un certain succès.
Quelques chiffres La primaire va se dérouler en plusieurs phases: un premier temps d'identification des candidats, une étape où chaque candidat va se préparer et présenter son programme, une phase de sélection avec confrontation des candidats puis le vote final. LaPrimaire.org en est actuellement à cette première phase. Pour être qualifié, un candidat doit recueillir 500 soutiens à travers les votes de l’application LaPrimaire.org, qui doit être lancée prochainement. Les candidats qualifiés seront rendus publics en septembre 2016. Pour l’instant, près de 18.000 citoyens se sont inscrits pour voter.
Une citation «Nos partis politiques actuels sont obsolètes et ne nous représentent plus. La solution ne viendra donc pas d’eux. C’est à nous – citoyens– de nous prendre en main», clament les organisateurs dans une tribune sur Medium.
Philosophie Aujourd’hui, les candidats aux élections présidentielles sont désignés par les adhérents des partis. Soit 0,5% de la population française, expliquent Thibault Favre et David Guez. L’idée est donc d’élargir la base des citoyens désignant ces candidats, comme pour toute primaire, mais d’élargir aussi les possibilités de désignation, jusque-là uniquement rendues possibles par les partis eux-mêmes (qui présélectionnent les candidats aux primaires qu'ils organisent). Ce que veulent les deux comparses, c’est redonner confiance aux citoyens, «catalyser les forces vives du pays», «insuffler un nouvel élan à la vie politique», «réimpliquer le plus grand nombre de citoyens». À défaut, sans volonté politique forte, disent-ils, «nous donnerions carte blanche à une poignée d’entreprises gigantesques, 100% non-démocratiques, pour décider de notre futur».
Une ligne politique? Thibault Favre et David Guez l’assurent: il n’y a aucune idéologie derrière leur démarche. Ils ne portent pas de programme politique, affirment-ils dans leur manifeste. Ils ne sont que des citoyens «attristés par l’état de la représentation nationale dans notre pays».
4.La Transition(Sans couleur politique, uniquement ouverte aux candidats hors partis)
Date de lancement Le site a été lancé le 17 janvier 2016.
Qui? Parmi les membres fondateurs on trouve le communicant Claude Posternak; Audrey Bourolleau, déléguée générale de la puissante association Vin & Société, qui représente l’ensemble de la filière; le consultant François Momboisse (qui a occupé d’importantes responsabilités à la Fnac); l'essayiste Zohra Bitan (ex-porte-parole de Manuel Valls); le chef d'entreprise Xavier Alberti, etc.
Texte de référence Le manifeste de La Transition.
En une ligne, c’est quoi? L’idée de Posternak et de ses amis est de présenter un candidat issu de la société civile à la Présidentielle 2017 qui s’engage pour cinq ans, avec une équipe issue de la société civile. Comme nous l'explique Audrey Bourolleau, La Transition sera en compétition avec d'autres mouvements issus de la société civile comme Les Zèbres et Nous citoyens. Ils sont actuellement en train de réflechir à une modalité de désignation de ce candidat mais pourraient s'appuyer sur des structures comme LaPrimaire.org ou le dispositif de Synopia.
Quelques chiffres 78% des Français sont prêts à voter pour un candidat ni issu ni soutenu par un parti, clame La Transition sur sa page Facebook, en s’appuyant sur des chiffres de l’institut de sondages Elabe. Le mouvement a déjà 3.000 adhérents parmi lesquels «70% sont de province», selon Audrey Bourolleau. Il a récolté 10.000 euros de dons.
Une citation «Nous ne voulons plus voter PS ni LR et jamais FN. Alors on fait quoi?» (sur le site de La Transition).
Philosophie Le mouvement part d’un simple constat: notre modèle politique et économique est en crise. Il faut un président dégagé des intérêts des partis qui puisse réformer en profondeur ce système. «L'avant-garde est aujourd'hui dans l'opinion. La société civile doit prendre ses responsabilités. Elle est la seule à pouvoir remettre la société française sur le chemin de la transformation», martèle La Transition dans son manifeste.
Mais quel type de candidat? La Transition ne l’a pas encore choisi, mais elle a déjà des idées. Sur le plan économique, elle veut «bâtir un nouveau compromis historique» avec un nouveau «partage des richesses». Cela nécessite, estime-t-elle, un contrat de travail unique, pour mettre fin au fossé qui oppose travailleurs précaires (CDD, apprentis etc. ) et travailleurs protégés. Mais aussi moins de charges et «moins de contraintes».
Sur le plan politique, elle propose que le président de la République ne puisse faire qu’un seul mandat, que les autres élus ne puissent «pas faire plus de deux mandats dans une vie, sans cumul» et que soit mis en place une garantie pour que tout citoyen qui souhaite s’engager en politique «puisse retourner à la vie active à la fin de son mandat».
Une ligne politique? Claude Posternak est un vieil ami de la maire de Lille Martine Aubry. Mais il affirme qu’il n’y a aucune ligne politique derrière son mouvement. «On n'est ni de droite ni de gauche. On n'en a rien à foutre», s’écrie-t-il dans le JDD.
5.La vraie primaire(Sans couleur politique, ouverte aux candidats hors partis)
Site http://www.lavraieprimaire.fr/ (le site sera étoffé après le lancement officiel)
Date de lancement La vraie primaire va se lancer officiellement le 10 mars.
Qui? A l’origine de «La vraie primaire», on trouve le think-tank Synopia et l’organisation La Cité, qui «a eu l’idée de cette primaire au printemps 2015». Derrière ces deux structures se cache Alexandre Malafaye, un écrivain avec un parcours de chef d’entreprise, secrétaire Général de La Cité et président de Synopia. A ses côtés, un entrepreneur spécialiste de l’intelligence collective, Émile Servan-Schreiber, à la tête du cabinet de conseil Lumenogicet, et un professeur à Sciences-Po, Lex Paulson.
Texte de référence La charte de La vraie primaire.
En une ligne, c’est quoi? Synopia veut organiser «une vraie primaire, dégagée des partis, et ouverte à tous (...) pour faire émerger de nouveaux candidats» même si les élus sont aussi acceptés. À la différence de LaPrimaire.org, tous les prétendants seront présentés à l'ensemble des participants, et les votants pourront aussi voter «contre» certains candidats, de manière selon les organisateurs à «éliminer les extrêmes».
Quelques chiffres Chaque candidat doit obtenir au moins 1.000 soutiens («likes») pour valider sa candidature et s’acquitter de 100 euros de frais de dossier, ce qui constitue selon Émile Servan-Schreiber, un moyen d'éviter que certains ne s’inscrivent «par jeu»: «Une grande différence avec LaPrimaire.org, c’est qu’on n’est pas dans l’idée que tout le monde peut être candidat. Il faut une équipe, des soutiens». Il y aura ensuite deux, trois ou quatre tours de vote.
Une citation: «Il y a un problème d’exaspération de la société, et à un moment les Français vont renverser la table. Il faut écouter la société civile (...) il faut amener d’autres têtes, d’autres talents» (Alexandre Malafaye dans l’émission Le secret des sources).
Philosophie Le but des organisateurs de La vraie primaire est de faire émerger un nouveau candidat à l’élection présidentielle, un candidat qui portera «un changement profond des règles de gouvernance politique». Mais par rapport à LaPrimaire.org qui est plus «technologique», selon Émile Servan-Schreiber, La vraie primaire veut «mettre en avant des idées». Sa charte présente quelques propositions, que les candidats ne seront pas obligés d’accepter, mais qu’ils devront a minima discuter: «Chaque candidat à La vraie Primaire devra adopter cette charte, ou expliquer pourquoi il ne valide pas tel ou tel point.» À commencer, comme La Transition, par l’adoption d’un mandat unique de président de la République.
La vraie primaire propose aussi que le gouvernement soit composé d’une majorité de personnes «exerçant, ou ayant exercé, un métier en dehors de la politique». Professionnels de la politique qui squattez les bancs de l’Assemblée nationale et les conseils des collectivités territoriales depuis vingt ans, passez votre chemin. Ou fourbisssez vos arguments. Le candidat de La vraie Primaire devra aussi discuter de l’organisation d’un référendum en début de mandat, pour faire connaître et accepter son programme par tous les citoyens.
Une ligne politique? Les organisateurs de La vrai primaire se disent indépendants de tout parti. Mais ils mettent en avant l’aspect «politique» de leur démarche, qui ne se limite pas à une procédure de sélection des candidats. «Faire une primaire en dehors des partis c’est déjà un acte politique. Nous voulons imposer une façon de faire», explique Émile Servan-Schreiber.