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Primaire républicaine: et si Marco Rubio n'y arrivait pas?

Vu comme le favori de l'establishment républicain, il ne s'est classé que cinquième dans le New Hampshire après sa prestation désastreuse lors du dernier débat.

CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.
CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP.

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Manchester (New Hampshire)

L’effondrement de Marco Rubio a bien eu lieu. Et pour la première fois, mardi 9 février au soir, il l’a admis.

«Je sais que beaucoup sont déçus. Je suis déçu par ce qui se passe ce soir», a-t-il avoué lors de sa soirée électorale à Manchester. «Vous devez savoir une chose: notre déception ce soir, ce n’est pas de votre faute. C’est de la mienne. Je n’ai pas été bon samedi soir [lors du débat républicain à la télévision], mais écoutez-moi bien: cela ne se reproduira pas.»

Il y a quelques jours encore, Rubio semblait sur le point de remporter la deuxième étape de sa stratégie «3-2-1» (finir troisième dans l’Iowa, deuxième dans le New Hampshire et premier en Caroline du Sud), et peut-être même de marquer un point aux dépens d’un Donald Trump blessé en commençant par un «3-1». Une première ou une bonne deuxième place l'auraient débarrassé, dans le «couloir de l’establishment», de rivaux comme Chris Christie ou John Kasich et, après qu’il aurait encore vainement gaspillé des sommes folles dans un ou deux États, de Jeb Bush. Des forces naturelles auraient poussé Rubio –nanti de cet espace vital pour gagner du terrain et soutenu par la majorité du parti– jusqu’au sommet, au bout du chemin.

Et puis, pendant le débat de samedi, on a découvert que tout ce temps, il n’avait été qu’un robot. Il a «fondu», comme l’a dit Christie, et s'est finalement retrouvé à participer à la bataille pour la troisième place avec Bush et Ted Cruz, bataille qu'il était en voie de perdre au moment de l'écriture de cet article (cinquième avec 10,6% des voix sur 89% des bulletins dépouillés).

«Cela ne clarifie pas la course»

Au début, c’est la perplexité qui a dominé la soirée, qui se tenait au Radisson Hotel de Manchester. Le silence était presque total lorsque les deux écrans branchés sur Fox News ont donné Trump vainqueur. L’atmosphère s’est un peu allégée lorsque la Fox a déclaré que Christie, qui n’a cessé de pilonner Rubio toute la semaine dernière, finissait sixième. Des acclamations de joie encore plus fortes ont éclaté lorsque la chaîne a mentionné que Bernie Sanders arrivait en tête dans le camp démocrate.

Et pourtant, alors même que la mauvaise nouvelle leur tombait dessus, les supporters de Rubio ne se sont pas laissé envahir par le désespoir qui aurait accablé ceux de Bush s’il était arrivé derrière lui, ou ceux de Kasich si leur champion n’avait pas au moins été en deuxième position, ou par celui qui écrase les supporters de Christie en ce moment. Et c’est parce que même encore aujourd’hui, même après l’échec du débat, Rubio reste perçu comme le plus fort des quatre.

«En aucune façon, je ne pense que cela va entraver ses perspectives de progression», affirme Ben Markowitz, étudiant de Harvard venu faire campagne pour Rubio dans la dernière ligne droite. «Dans le Sud, quelqu’un comme John Kasich n’a pas d’organisation. Il y est allé les mains dans les poches. Seulement maintenant, il va falloir qu’il commence à s’organiser.» Et Jeb [Bush]? «Quoi Jeb? "Merci de m'applaudir"! Il va encore demander tout un tas de choses. Je ne crois pas qu’il ait une chance.» Il se montre ravi à l’idée que Christie, persécuteur de Rubio, soit sur le point de sortir du jeu: «Je ne vais pas m’en plaindre.»

D’autres sont troublés par la vitesse à laquelle la bonne fortune de Rubio s’est retournée, adoptant presque un point de vue pragmatique. «Cela ne clarifie absolument pas la course, absolument pas», regrette Dwayne, vendu de Dunbarton et qui préfère ne pas donner son nom de famille. «Ceux que je m’attendais à voir abandonner la course ont bien mieux réussi que ce que je pensais. Ça devrait être intéressant à regarder.» Et pour Leslie Mason de Manchester, la façon dont ont été représentées les répétitions de Rubio pendant le débat est «injuste»: «Cette histoire de répétition d’arguments, je crois qu’il pensait qu’ils ne comprenaient vraiment pas ce qu’il voulait dire: qu’Obama est essentiellement en train d’essayer de modifier la trame même de la nation.» Elle gardait encore l’espoir que Rubio s’en sorte à mesure que les résultats parvenaient au compte-goutte, mais ne pensait pas que le coup serait fatal s’il perdait.

Une bataille, mais pas la guerre?

Le bar à prix modestes adoucissait la possible déception, mais malgré tout, les militants présents ne donnaient pas l’impression de penser que leur poulain était cuit. Et cela a beaucoup à voir avec l’interprétation de Markowitz de la course. Kasich a créé la surprise en finissant deuxième, mais il lui a fallu battre le rappel lors de plus de 100 rassemblements politiques dans des mairies et dépenser la quasi-totalité de ses ressources limitées dans un État qui lui était favorable, le tout pour perdre d’une vingtaine de points derrière Trump. La même chose est valable pour Bush –violemment hué par le camp Rubio lors de la diffusion de son discours mardi soir–, qui a déployé presque autant d’énergie pour finir plusieurs points de pourcentage en dessous, presque à 10%. Contrairement à Kasich, Bush a l’organisation nécessaire pour entrer dans la course en Caroline du Sud et au-delà. Et comme Kasich, il représente toujours une marque de conservatisme de centre-droit que la majorité du parti ne manifeste aucune envie d’intégrer dans ce cycle électoral.

Cette idée selon laquelle seul Rubio a l’attrait et les ressources nécessaires pour prendre la tête dans le «couloir de l’establishment», débat raté ou pas, pourrait bien expliquer la capacité de ses militants à encaisser l’échec de mardi et à poursuivre tête haute vers le Sud. Les donateurs et autres cadres qui espéraient tant que Rubio l’emporte mardi soir sont peut-être déçus mais ils n’ont aucune raison de penser qu’il s’agissait de l’ultime bataille. Comme l’a dit Rubio dans son discours: «Nous ne nous retrouvons pas là où nous le voulions, mais cela ne change rien à l’endroit où nous serons à la fin du combat.»

Cette théorie part du principe que Rubio occupe un vaste espace que ni Bush ni Kasich ne sont capables de remplir. Rubio est peut-être en effet le seul à pouvoir s’y installer. Mais qu’en serait-il si les résultats du New Hampshire étaient un signe que les électeurs considèrent vraiment que Rubio est un poids plume, et que son espace se réduit à la portion congrue? Ou si Bush ne s’arrête jamais de lui piquer ses voix?

Cruz et Trump ont remporté les primaires des deux premiers États. L’histoire veut que l’un d’entre eux soit le candidat final, et ils sont les favoris pour la prochaine primaire en Caroline du Sud. À l’exception notable de Newt Gingrich en 2012, cet État choisit toujours le candidat républicain vainqueur. Le parti n’a pas seulement besoin de choisir un candidat de l’establishment autour duquel se rassembler –il lui faut un très bon candidat à la campagne solide pour réaliser ce qui serait un comeback défiant tout antécédent historique contre Trump ou Cruz. Des quatre prétendants, Rubio est considéré comme le seul capable de remplir ce rôle. Et s’il n’y arrivait pas?

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