Santé

François Hollande n’a toujours pas inversé la courbe du tabagisme

En février 2014, le chef de l’État partait en guerre contre le tabac. Deux ans plus tard, la consommation atteint des sommets. Seule «consolation»: son adversaire Nicolas Sarkozy est totalement inaudible sur le sujet.

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La baisse espérée de la consommation du tabac n'a pas eu lieu | Catrin Austin via Flickr CC License by

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Maison de la Chimie, 4 février 2014. François Hollande lance solennellement le troisième volet (2014-2019) du Plan Cancer, initiative née en 2003 à la demande de Jacques Chirac, alors président de la République. Contrairement à ce qui était redouté par les militants anti-tabac, le chef de l’État tient un discours des plus volontaires, soutenu en cela par le Pr Olivier Lyon-Caen, son «conseiller santé». Extrait du discours de François Hollande: 

«Le tabac est responsable de 30% des décès par cancer. C’est la première cause de mortalité pour les femmes, comme pour les hommes –mais de ce point de vue l’égalité est en marche, et ce n’est pas la meilleure! Le second Plan Cancer [mis en œuvre par Nicolas Sarkozy, ndlr] avait fixé comme objectif une baisse de la prévalence du tabac, c’est-à-dire du nombre de fumeurs, de 30% à 20% dans la population. Le taux aujourd’hui est de 33%. Il y a plus de fumeurs qu’il n’y en avait il y a cinq ans.

J’ai donc demandé à Marisol Touraine de présenter, avant l’été, un programme national de réduction du tabagisme, s’intégrant précisément dans la stratégie nationale de santé. Il sera élaboré par tous les acteurs concernés pour agir sur la consommation, qui devient une addiction.»

Le Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) est présenté en septembre 2014 par Marisol Touraine. «Le gouvernement a choisi son camp, celui de la santé publique», explique alors la ministre. Elle ajoutait, en référence à la cigarette électronique: «Je ne crois pas à la mesure miracle qui réduira, à elle seule, le tabagisme.» Le PNRT est ambitieux. Il prévoit qu’en 2019, le nombre de fumeurs devra «avoir baissé d’au moins 10%»; qu’en 2024, la France «doit être passée sous la barre des 20% de fumeurs» (contre plus de 30% aujourd’hui); et qu’en 2032, plus de 95% des jeunes de 18 ans devront être non-fumeurs.

Les jeunes en première ligne

Ces objectifs sont d’autant plus ambitieux que ce PNRT n’a toujours pas vu le jour et que la consommation du tabac ne cesse d’augmenter, tout particulièrement chez les jeunes, comme en témoigne l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies:

«En 2014, plus de quatre jeunes de 17 ans sur dix (43,8%) déclarent avoir consommé du tabac au cours des trente derniers jours. Après une hausse d’environ 2,6% entre 2008 et 2011, l'usage quotidien continue à augmenter entre 2011 et 2014 (32,4% contre 31,5%), avec une légère prédominance masculine (31,9% parmi les filles, 33,0% parmi les garçons). Il faut tout de même noter que l’augmentation du tabac quotidien est supportée majoritairement par l’évolution de la consommation quotidienne des filles depuis 2011 (+1,7%). Le niveau d’usage récent (au cours du mois) parmi les jeunes Français est plus élevé que la moyenne européenne (38% contre 28%), les situant à la sixième position (sur trente-six pays).»

Le PNRT ne repose, en pratique, que sur une seule mesure, très largement médiatisée par la ministre de la Santé: le «paquet neutre», qui deviendra obligatoire en mai prochain chez l’ensemble des buralistes. Or, les éléments disponibles dans ce domaine démontrent que cette disparition des logos publicitaires ne peut être efficace que si elle s’inscrit dans une politique volontariste de santé publique associant la neutralité à une augmentation constante du prix des produits du tabac. À lui seul, le paquet neutre ne peut être une arme efficace contre cette forme d’esclavage qu’est l’addiction au tabac.

Le miracle australien

Le meilleur exemple est ici celui de l’Australie dont les résultats de la lutte anti-tabac viennent d’être publiés dans la revue Public Health Research and Practice par un groupe de chercheurs dirigé par Anita Dessaix (Cancer Institute NSW, Sydney).

Ces données nous donnent l’espoir que d’ici à la fin de notre vie, nous puissions voir en Australie le taux de tabagisme descendre à 1 ou 2% parmi les jeunes

Anita Dessaix

La leçon australienne est assez simple: le renchérissement du prix des cigarettes associé à l’emballage neutre des paquets sont les principaux facteurs d’explication du déclin massif du tabagisme chez les jeunes Australiens. Ils ne sont plus aujourd’hui que 3,4%, âgés de 12 à 17 ans, à fumer quotidiennement. Soit dix fois moins qu’en France.

«Ces données nous donnent l’espoir que d’ici à la fin de notre vie, nous puissions voir le taux de tabagisme descendre à 1 ou 2% parmi les jeunes. Nous n’avons jamais vu un taux aussi bas parmi des adolescents», explique l’auteure principale, Anita Dessaix. 

Les responsables sanitaires australiens estiment, chiffres à l’appui, qu’ils sont probablement au début d’une génération sans tabac. «Ces tendances se reproduisent à travers toute l’Australie parmi les élèves du secondaire», ajoute Anita Dessaix. Le même phénomène est observé chez les adultes, où la proportion de fumeurs est descendue à environ 15%. Les fruits d’une véritable politique de sante publique anti-tabac sont également observés en Grande-Bretagne, où (sans paquet neutre) le taux de fumeurs est passé sous la barre des 20%. Des signes encourageants sont également observés aux États-Unis.

L'abus de mesurettes est dangereux pour la santé

Or, en France, le gouvernement se refuse obstinément (notamment sous la pression des buralistes) à augmenter de manière dissuasive le prix du tabac. Et ce en dépit des engagements on ne peut plus clairs pris, il y a deux ans, par François Hollande lors du lancement du troisième Plan Cancer:

«Nous devons utiliser tous les leviers. Le premier, c’est le prix. Que nous révèle l’expérience? Elle nous enseigne que les seules baisses significatives –elles ont été rares– de la consommation de tabac se sont produites après des augmentations fortes du prix des cigarettes. Ce fut le cas en France en 2003, seulement pour quelques années. Quelle est la situation aujourd’hui? De 2005 à 2012, il y a eu des hausses continues, qui ont relevé en moyenne le prix du tabac d’1,20 euro. 1,20 euro, ce n’est pas négligeable, mais ces hausses ont été progressives et parfois conçues davantage pour accroître les recettes de l’État, sans être accompagnées des mesures indispensables pour inciter les fumeurs à ne plus l’être. […]»

De ce point de vue, rien n’a changé. On s’est borné à des mesurettes, comme l’extension du relèvement du forfait annuel de «soutien à l’achat de substituts nicotiniques». Ce forfait est passé de 50 euros à 150 euros pour les 25 à 30 ans, les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle et pour tous… les malades du cancer. François Hollande avait encore parlé d’un «encouragement des buralistes» à s’associer à l’objectif gouvernemental de diminution du nombre de fumeurs. «Je rappelle que le tabac tue en quinze jours ce que la route, hélas, décime en une année, avait ajouté le chef de l’État. Nous ferons donc le même effort, et plus d’efforts encore, pour ces campagnes d’information à la télévision et sur les radios.»

Le tabou de la cigarette électronique

Dans le même ordre d’idée, il avait ajouté: «Nous garantirons l’effectivité de l’interdiction de vente du tabac aux mineurs. Mineurs cela veut dire moins de 18 ans. Nous savons qu’il y a trop de moins de 18 ans qui sont déjà des fumeurs. Nous renforcerons les sanctions liées aux ventes de produits de tabac sur internet et nous lutterons encore plus efficacement par rapport à ces achats hors de nos frontières, à ces trafics, qui concernent de plus en plus les paquets de cigarettes. Voilà ce que nous ferons.»

Si vous acceptez le paquet neutre, vous aurez demain des intégristes qui vous demanderaient la bouteille neutre puis le fromage neutre

Nicolas Sarkozy

Deux ans plus tard, le constat est sans appel qui, une nouvelle fois, montre le fossé pouvant exister entre les annonces politiques et les résultats. Un constat d’autant plus accablant que la lutte contre le tabagisme est un remarquable outil d’évaluation de l’action politique et du courage de l’exécutif. Il restera ici à comprendre pourquoi Marisol Touraine, depuis bientôt quatre ans qu’elle est ministre de la Santé, s’est frontalement opposée à toute forme d’ouverture vis-à-vis de la cigarette électronique; une e-cig qui peut être un levier important d’aide à l’abandon des fumées et goudrons cancérigènes du tabac carbonisé.

Nicolas Sarkozy et l'opposition à la neutralité

L’histoire récente de la lutte contre le tabac reste marquée par l’action voulue par Jacques Chirac lors de son quinquennat. En imposant une politique d’augmentation des prix, il a permis à la France de connaître, entre 2002 et 2007, l’un des meilleurs résultats du contrôle du tabac jamais observé dans le monde avec une baisse de 34% des ventes de cigarettes et de 76% du tabagisme des collégiens parisiens. «Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, entre 2007 et 2012, la France vit une catastrophe en terme de contrôle du tabac, poussant des dizaines de milliers de jeunes supplémentaires à consommer et n’épargnant pas les 10.000 vies qui auraient pu l’être», démontre le Pr Bertrand Dautzenberg, spécialiste de pneumologie, dans son ouvrage La République enfumée: les lobbies du tabac sous Chirac et Sarkozy.

Il n’est pas dit que Nicolas Sarkozy soit, sur ce sujet, prêt à faire son mea culpa. Participant, le 3 février à une «journée de travail sur l’agriculture et la ruralité» organisée par Les Républicains, l’ancien chef de l’État a tenu les propos suivants, rapportés par le site des buralistes français:

 «Je voudrais revenir sur cette histoire de paquet neutre. Si nous acceptions le paquet de cigarettes neutre, dans six mois on vous proposera la bouteille de vin neutre et c’en sera fini de nos appellations et c’en sera fini de nos terroirs, et c’en sera fini de la défense de notre savoir-faire.

Si vous acceptez le paquet neutre, vous aurez demain des intégristes qui vous demanderaient la bouteille neutre puis le fromage neutre. Cette bataille, c’est la bataille de nos appellations, c’est la bataille de notre savoir-faire, c’est la bataille de notre identité, c’est la bataille de notre histoire, c’est la bataille de nos terroirs. Et si nous cédons là, nous cèderons sur tout. Il est vrai que nous avons déjà un président normal!»

«Si vous voulez interdire la cigarette, vous interdisez la cigarette»

Devant le tollé suscité par ses déclarations, Nicolas Sarkozy est revenu sur le sujet le 4 février dans l’émission «Des paroles et des actes» de France 2:

«J’ai, à la suite de Jacques Chirac, engagé le plan cancer le plus ambitieux que notre pays ait jamais connu. J’ai, à trois reprises, augmenté brutalement le prix du paquet de cigarettes qui est la seule façon de réduire la consommation de cigarettes. […] Comment peut-on dire qu’on va moins consommer de cigarettes parce qu’on mettra à la disposition des consommateurs un paquet de cigarettes sans la marque? Qui peut croire une fable pareille, […] ça n’a aucun sens. Si vous voulez interdire la cigarette, vous interdisez la cigarette. Mais dire: la cigarette reste à disposition mais au prétexte que c’est un paquet sans marque, on va moins en vendre… C’est une plaisanterie, de mauvais goût de surcroît […].»

Nous en sommes là, avec une consommation massive de tabac, un paquet neutre à venir qui ne la réduira pas et quatre-vingt mille morts prématurées chaque année. Et rien n’interdit de penser que cette question majeure de santé publique pourrait constituer l’un des thèmes des primaires qui s’annoncent, dans le camp de Nicolas Sarkozy comme dans celui de François Hollande.

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