Égalités

On a testé pour vous Scruff, la classe A des applis de drague gay

Étonnant mais personne n'a donné son avis sur la nouvelle version de Scruff, l'application de drague géolocalisable, forte de 8 millions d'inscrits. Deux mois après son introduction, premier bilan.

Temps de lecture: 4 minutes

Les applications de drague se mettent régulièrement à jour mais, la plupart du temps, on a du mal à voir ce qui a réellement changé. Ces derniers mois, Tinder a effectué une percée notable avec des milliers de jeunes dont le style capillaire mériterait à lui seul un article. Hornet est l'autre app pour les jeunes malpolis qui ne répondent jamais à vos messages. GayRomeo a changé sa maquette sans grande évolution. Et Grindr est dans une phase inquiétante: de plus en plus de spams provenant de profils qui ne sont visiblement pas des vraies personnes. La nouvelle version de Scruff, elle, apporte du nouveau.

Depuis son apparition, en 2010, Scruff est le rendez-vous des hommes nature, poilus, sympas (surtout quand ils sont étrangers). Chez les Américains par exemple, les profils sont souvent rédigés avec soin, les hommes se décrivent assez bien, ce qui a contribué à une nouvelle poésie de la drague, avec pas mal d'humour et d'autodérision. On y suit aussi mieux l'évolution sociétale. C'est sur Scruff que l'on a noté, par exemple, la montée en puissance de l'usage d'un traitement préventif contre le sida comme le Truvada, des blacks qui refusent qu'on leur demande les dimensions de leur sexe, de ceux qui aiment fumer (420 friendly) ou de l'importance accordée aux préférences musicales (si vous ne supportez pas l’opéra, rien ne sert de courir après un mec qui va vous imposer tout Verdi). Depuis quelques mois, on y voit de plus en plus de profils asiatiques, ce qui atteste de l'élargissement de l'appli au niveau géographique.

La domination du prestige

La cinquième version de Scruff accentue un mode de sélection par réputation en privilégiant ceux qui ont le plus de succès. Deux nouvelles fonctionnalités permettent de voir des hommes qui sont le plus «woofés», que ce soit parmi les derniers arrivés (nouveaux mecs) ou très récemment (dans la dernière heure). 


Cet accent mis sur la popularité rajoute une couche en termes d'inégalités sexuelles. Avant, l'orientation se limitait à deux zones: une recherche internationale et une recherche locale. Désormais, on est attiré dès la home page vers les mecs les plus beaux. Sçruff se positionne ainsi comme l'application de la Classe A, de la notoriété, des mecs les plus recherchés, ceux qui font de la gym, qui voyagent et qui ont presque le même look: des torses poilus, des muscles, des barbes. C'est la crème de la crème –sexy mais un peu aliénant. C'est le Wall Street de la drague en temps réel, tout chaud tout beau, comme une pizza qui sortirait du four ou un costume Brioni tout juste exposé dans une vitrine de l'avenue George V. Cette catégorie n'existe que pour vous faire rêver en lisant les profils des mecs que vous n'aurez jamais ou pour augmenter votre taux d'autohumiliation. Pire: une autre nouvelle application, Hanky, s'est fait remarquer car elle refuse carrément les hommes «moches».

La fonction Match

Autre vraie nouveauté de la nouvelle version de Scruff, la fonction Match vous offre une fois par jour une sélection d'hommes que les moteurs de recherche jugent intéressants pour vous. Tinder, qui a introduit ce système, a donc déjà eu son petit impact sur Scruff. Les visages apparaissent les uns après les autres et on appuie sur la touche «Ça m'intéresse» ou «Pas pour moi». Si l'attirance est mutuelle, Scruff vous le fait savoir. C'est la version baise des jeux à gratter au PMU. À noter, Scruff vous propose surtout les mecs pas sexy de votre coin dans une tentation désespérée de marier ceux qui n'ont rien à se mettre sous la dent (façon de parler).

Le New York Times pense que ce plus bonus de Scruff met l'accent sur le «social». Avec la fonction Venture, on peut d'ailleurs plus facilement rechercher des hommes vivant dans 500 villes étrangères. «Nous avons découvert que les gays voyagent d'une manière différente de celles d'un couple ou d'un voyageur hétérosexuel. Les homosexuels sont plus sociaux quand ils vont dans une nouvelle ville», explique Eric Silverberg, un des créateurs de Scruff. Traduisez: c'est surtout du tourisme sexuel.

Désormais, le bandeau de New York affiche le nombre d'hommes connectés en temps réel, ce qui contribue au boursicotage des villes les plus gay-friendly

Vous pouvez ainsi regarder qui est à Berlin, mais aussi qui prévoit d'y aller. C'est l'agence de voyage version cul. En fait, les gays sont plus sociaux que les hétéros quand ils voyagent car ils pensent surtout au sexe. Une semaine avant de prendre leur avion, ils ont déjà calé les rendez-vous de baise à 3 heures de l'après-midi ou à 20 heures. Avant, pour rechercher les hommes de New York, il fallait taper la destination dans le moteur de recherche. Désormais, le bandeau de New York affiche le nombre d'hommes connectés en temps réel, ce qui contribue au boursicotage des villes les plus gay-friendly: 735 personnes pour New York, 370 pour Paris, 22 pour Tel-Aviv. Et on vous avertit si vous visitez un pays où l'homosexualité est illégale.

La tyrannie du muscle

Comme Growlr, Scruff a toujours été une application pour mecs sympas. On est loin du formatage gay de Grindr, ou de la sélection via la jeunesse comme Tinder ou Hornet. Les nouvelles fonctionnalités de Scruff permettent de voir davantage de profils donc davantage d'hommes différents. Plus de diversité, en somme. Mais un article récent du Guardian considère que c'est l'inverse qui se produit: malgré un choix illimité d'hommes qui se cherchent, les homosexuels deviennent leur propres oppresseurs. Le look masculin des gays devient une norme qui est multipliée par l'uniformisation de leur présentation à travers les applications de drague. Dans The Atlantic, Brandon Ambrosino parle de la tyrannie du muscle qui est souvent un tri sélectif contre les gros, les efféminés, les minces, les vieux et les Asiatiques.

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Ces nouvelles applications ne cessent de mettre des hommes en contact et remplacent de plus en plus la drague directe dans les clubs et les bars. Scruff reste la plus variée, en termes d'âge, de look et sa version 0.5 est la plus aboutie si on la compare à celles de Grindr ou GayRomeo. Mais l'uniformisation des apparences devient partout de plus en plus pesante. En tout cas, ce que l'on voit, et malgré ce qui est annoncé, c'est que le look barbu a encore de belles années devant lui.

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