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Défendre les accents circonflexes, c'est défendre une pratique élitiste et stérile

S'emporter contre la réforme orthographique de 1990, qui aurait dû être mise en place il y a longtemps, est un combat mené à peu de frais. Mais qui oublie les vrais enjeux de l'Éducation nationale.

BORIS HORVAT/ AFP
BORIS HORVAT/ AFP

Temps de lecture: 2 minutes

Et hop c’est reparti avec l’orthographe! Une vieille réforme oubliée remise au goût du jour et voilà que des voix s'élèvent pour défendre, à peu de frais, l’accent circonflexe. Que les conservateurs jouissent sur Twitter de pouvoir pester contre un pays qui part à vau-l'eau, l'éducation française qui se dégrade... Ha avant! Comme c'était mieux!

Les comptes Twitter s'en sont donnés à coeur joie, notamment avec le hashtag «Je suis circonflexe». Et notamment à droite et à l'extrême-droite. 


Cette indignation me semble complètement à côté de la plaque. D'abord parce que non, l'accent circonflexe ne s'apprête pas à disparaître. Ensuite parce que si le vrai problème en orthographe c’était les accents circonflexes, quelques «ph» et un oignon, nous vivrions dans un paradis langagier. 

Non, le problème c’est l’accord du participe passé, la confusion des mots et de leur sens, l’absence d’analyse de la phrase: quel est le verbe, à quel temps est-il conjugué et à quelle personne? Quand un élève de 3ème confond le verbe être au présent de l'indicatif et avoir au présent du subjonctif (tu es/tu aies), on est loin des soucis d’accentuation. 

Les enseignants le savent, ce sont les fautes de conjugaison et de syntaxe qui rendent les copies parfois incompréhensibles du collège à l’université, et qui compliquent le rapport au monde des élèves, les empêchent d'exprimer ce qu'ils veulent dire, de se faire comprendre, voire de comprendre eux-mêmes. 

Les Italiens écrivent foto, ça n’en fait pas un peuple de débiles

L’orthographe syntaxique est un vrai problème, l’orthographe lexicale se corrige avec n’importe quel correcteur automatique, y compris sur les téléphones. Et bien d'autres langues que la nôtre ont modernisé ou simplement transformé des mots à partir de leurs racines. Le mot photo(graphie) vient du grec ancien φῶς, phỗs («lumière»). Les Italiens écrivent foto, ça n’en fait pas un peuple de débiles. On met sa fierté là où on peut.

Dans une interview accordée au Monde en 2008, André Chervel, agrégé de grammaire, docteur ès lettres et auteur de L'orthographe en crise à l'école. Et si l'histoire montrait le chemin?, suggérait d'ailleurs que l'on simplifie ainsi la langue française: 

«Quand la prononciation le permet, il faut supprimer les "y" (ceux qui ne correspondent pas à un double "i"), supprimer les "h" après les "t" ou les "r", remplacer "ph" par "f".»

Chervel le préconisait dans un but pragmatique. Il expliquait qu'un déclin s'est amorcé dans la pratique de l'orthographe à partir des années 50 et qu'«une fracture orthographique est apparue dans la société. Elle rappelle le fossé, au XIXe siècle, entre ceux qui connaissaient le latin et les autres. C'était une discipline de "luxe", qui avait une fonction de discrimination sociale. Au concours d'entrée des grandes écoles scientifiques comme Polytechnique, il y avait une version latine dont le seul rôle était de contrôler l'origine sociale des postulants, ou au moins leur volonté d'adaptation aux règles de la société bourgeoise. L'orthographe est, de la même façon, en train de devenir une pratique d'élite, et du même coup un handicap social pour ceux qui ne la maîtrisent pas et ne pourront plus accéder à un certain nombre d'emplois.»

L'orthographe doit se simplifier pour que les larges masses puissent apprendre à lire

André Chervel

Le spécialiste ajoutait: 

«Si l'on veut que tous les jeunes Français apprennent l'orthographe, faisons comme nos ancêtres qui l'ont déjà simplifiée une première fois pour faciliter l'apprentissage de la lecture. Simplifions-la, mais enseignons-la: elle doit redevenir une discipline à part entière de l'école et du collège. (...) L'orthographe doit donc se simplifier pour que les larges masses puissent apprendre à lire.»

Défendre l’orthographe sur Facebook ou Twitter, c’est chic et pas cher pour passer pour un amoureux de la langue. Mais c’est aussi superficiel que de faire des fautes d’inattention, et, au fond, juste stigmatisant pour ceux qui ont des difficultés.

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