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La démocratie américaine a encore beaucoup à nous apprendre

S'il est de bon ton en France de s'en gausser, le début des primaires est pourtant riche d'enseignement de ce côté-ci de l'Atlantique.

Des effigies de l'âne et l'éléphant, les symboles des Démocrates et des Républicains, à Washington en 2008. KAREN BLEIER / AFP.
Des effigies de l'âne et l'éléphant, les symboles des Démocrates et des Républicains, à Washington en 2008. KAREN BLEIER / AFP.

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Il fut un temps, pas si lointain, où il était de bon ton, en France, de se gausser d'une démocratie américaine pourrie par l'argent et incapable d'offrir de vrais alternatives aux électeurs. Nous prétendions, à l'inverse, proposer aux citoyens des «choix de société» lestés par un solide clivage droite-gauche.

Le moins qu'on puisse dire est que le début du processus de désignation des candidats à l'élection présidentielle américaine de 2016 invalide cette manière de voir. Les votes du caucus de l'Iowa, lundi 1er février, ont mis en évidence des clivages politiques qui n'ont plus guère d'équivalence de ce côté-ci de l'Atlantique.

Un paysage politique très clivé

Le Parti républicain apparaît plus à droite que jamais. C'est un ultra-conservateur appuyé sur le puissant vote des chrétiens évangéliques, Ted Cruz, qui l'a emporté de ce côté dans ce petit État. Et c'est un démagogue xénophobe et insultant, Donald Trump, qui est arrivé second.

Côté démocrate, à l'inverse, le balancier penche aujourd'hui fortement à gauche. Un vieux défenseur acharné des travailleurs, qui revendique l'étiquette de «démocrate socialiste», Bernie Sanders, a pratiquement fait jeu égal avec la représente de l'establishment du parti, soutenue par de puissants réseaux, Hillary Clinton. Les primaires du New Hampshire, le 9 février, s'annoncent encore plus favorables à Sanders même si la suite du parcours sera plus problématique pour un homme très éloigné du profil d'un président des Etats-Unis.

De par son histoire et ses caractéristiques, la vie politique américaine est si différente de la vie politique française que toute comparaison entre les deux expose à de sérieux contre-sens. Les mots même ont des significations diverses des deux côtés de l'Atlantique. Un «libéral» est un audacieux progressiste aux Etats-Unis mais il est vite pris pour un adepte du darwinisme économique en France...

Pour autant, la vie politique américaine offre ici matière à réflexion par l'étrangeté même de certains de ses traits au regard de notre propre manière de faire. Avec ses surprises, la campagne présidentielle de 2016 n'échappe pas à cette règle.

Des primaires pour outsiders

Elle montre d'abord à quel point le système des primaires joue un rôle différent ici et là-bas. Aux Etats-Unis, cette manière de sélectionner le candidat des deux principaux partis est très codifiée et elle a l'immense mérite de permettre la percée d'acteurs politiques nouveaux.

Le système des caucus, tel que ceux qui viennent de se dérouler dans l'Iowa, est quelque peu baroque mais il a l'avantage de permettre un engagement citoyen dans le processus électoral plus intense qu'un simple vote. La compétition dans ce petit Etat du Midwest, qui ouvre le bal des primaires, permet aux outsiders de se faire entendre plus aisément.

Côté démocrate, Bernie Sanders en a été, cette fois-ci, le bénéficiaire, après bien d'autres comme Jimmy Carter en 1976 ou Barack Obama en 2008. Côté républicain, Donald Trump et Ted Cruz ont réussi à s'imposer et à marginaliser le candidat de l'establishment du parti, Jeb Bush, largement en tête pour ce qui est du soutien des élus et de l'argent collecté.

La règle du jeu est bien différente en France. Ici, le système des primaires a été importé de manière très opportuniste. Les socialistes, qui s'étaient pliés à cet exercice en 2011, entendent majoritairement aujourd'hui s'en dispenser au motif qu'un des leurs siège à l'Elysée et qu'il serait, parait-il, inconvenant pour lui de battre l'estrade des primaires.

Les Républicains, de leur côté, vont tenter de départager de la sorte les ambitions présidentielles rivales qui les travaillent, mais tout ce que l'on sait de la préparation de cette primaire laisse peu de chances à de nouveaux candidats d'émerger. Le plus probable, à ce stade, reste que la primaire de droite serve à départager Nicolas Sarkozy (ancien président), Alain Juppé (ancien Premier ministre) et François Fillon (ancien Premier ministre).

Le socialisme passe à l'Ouest

Par un curieux chassé-croisé, la référence «socialiste» prend des couleurs aux Etats-Unis alors qu'elle ne cesse d'être délaissée en France. Au pays des libertés individuelles –au premier rang desquelles se trouve la liberté d'entreprendre–, l'épithète «socialiste» fait traditionnellement figure d'injure. Le «socialisme» ne s'est d'ailleurs jamais acclimaté en Amérique.

Et voici qu'un vieux et fidèle militant, qui se présente courageusement comme «démocrate socialiste», Bernie Sanders, devient l'un des postulants sérieux à l'investiture présidentielle démocrate. Cet homme âgé de 74 ans, qui met en mouvement des foules enthousiastes, est particulièrement soutenu par les jeunes électeurs.

Sanders remet au centre du discours démocrate la lutte contre les inégalités, forçant Hillary Clinton, qui reste la mieux placée dans la course à l'investiture démocrate, à infléchir son propos en ce sens. En France, on le sait, la gauche gouvernante a pratiquement abandonné ce terrain, obnubilée qu'elle est par la recherche de compétitivité économique quand elle n'est pas préoccupée par les questions sécuritaires.

On ignore si Jean-Luc Mélenchon est impressionné par Bernie Sanders, mais le parcours du «démocrate socialiste» américain devrait aussi faire réfléchir la gauche radicale française. Sanders est devenu l'avocat politique des classes populaires grâce à un travail patient et pragmatique d'implantation locale. Élu maire de Burlington (Vermont) en 1981, il s'est attaché à résoudre les problèmes de sa ville. Très attentif aux luttes syndicales, ce «prophète populiste» devenu sénateur s'est fait l'infatigable porte-voix de l'indignation des travailleurs face aux injustices qu'ils subissent.

Ce rapport concret aux réalités sociales manque terriblement aux dirigeants de la gauche radicale de ce côté-ci de l'Atlantique. Ils préfèrent généralement les grandes envolées idéologiques et la mobilisation de concepts abstraits qui parlent de moins en moins à des classes populaires déboussolées par la crise.

Le populisme puissance dix

A droite, ce petit jeu sans prétention des comparaisons offre également un curieux spectacle. Donald Trump, le favori pour l'investiture républicaine, qui vient d'enregistrer un résultat décevant dans l'Iowa, fait figure de dangereux extrémiste par rapport à notre Marine Le Pen. Le milliardaire américain veut interdire l'entrée des musulmans aux Etats-Unis. La présidente du Front national n'a jamais préconisé une mesure analogue.

Le protectionnisme de Trump, qui propose de taxer lourdement les importations, est autrement plus entier que celui de Le Pen. Ses injures répétées font passer, par contraste, la présidente du FN pour un personnage particulièrement délicat et policé.

L'autre favori, au stade actuel, de la compétition républicaine met en évidence une radicalisation à droite qui n'a pas d'équivalent en France. Ted Cruz est un idéologue conservateur, très lié à la droite religieuse, qui menace de faire basculer le «Grand Old Party» dans un extrémisme peu porteur de succès présidentiel. La bonne tenue, dans l'Iowa, d'un candidat un peu plus modéré, Marco Rubio, montre que nombre d'électeurs républicains sont conscients de ce danger.

En France, Nicolas Sarkozy a beau être convaincu qu'il terrassera ses rivaux en mobilisant une thématique franchement droitière, les équilibres idéologiques de l'électorat conservateur poussent à une certaine modération. Le succès d'Alain Juppé dans les enquêtes d'opinion en témoigne.

L'ancien Premier ministre de Jacques Chirac trouvera enfin quelque réconfort dans la bataille présidentielle américaine. Ses adversaires ne manquent pas de mettre en cause l'âge de cet homme de 70 ans. Alain Juppé a pourtant quatre ans de moins que Bernie Sanders, seulement un an de plus que Donald Trump et deux ans de plus qu'Hillary Clinton.

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