Culture

Les auteurs de BD ne veulent pas de décoration, ils veulent de l'argent

Des promotions de Chevalier des arts et des lettres vues comme «des médailles en chocolat», la designation du Grand Prix du festival d'Angoulême contestée, le sexisme du milieu régulièrement dénoncé... Au-delà des polémiques, ce que veulent les auteurs de BD, c'est gagner leur vie.

Fleur Pellerin lors du Festival de BD d'Angoulême le 28 janvier 2016 | Georges Gobet / AFP
Fleur Pellerin lors du Festival de BD d'Angoulême le 28 janvier 2016 | Georges Gobet / AFP

Temps de lecture: 3 minutes

Mise à jour le 2 février à 12h50: ajout de la réaction de Riad Sattouf qui a choisi d'accepter la médaille de chevalier des Arts et des Lettres.

Ça devait être une bonne nouvelle. Fleur Pellerin, ministre de la Culture, annonce par voie de communiqué le 28 janvier dernier (dans la foulée de sa visite au festival de BD d'Angoulême) que huit créateurs et créatrices de bande dessinée vont être promus chevaliers des Arts et des Lettres.

Les auteur(e)s concerné(e)s sont: Julie Maroh, Chloé Cruchaudet, Aurélie Neyret, Tanxxx, Marguerite Abouet, Christophe Blain, Mathieu Sapin, Riad Sattouf. Jacques Glénat, l'éditeur de la maison éponyme, est élevé au rang d'officier.

Sauf que cette distinction ne les intéresse pas vraiment. Notamment parce qu'elle vient après que les auteur(e)s ont déploré que les trente sélectionnés pour le Grand prix du Festival d'Angoulême ne soient que des hommes. Cette décoration apparaît ainsi comme un moyen d'apaiser la situation et non comme une véritable reconnaissance de leur travail. 

«Pas de médaille en chocolat»

L'auteure du Bleu est une couleur chaude, Julie Maroh, écrit ainsi sur son blog:

«Si là soudainement et dans ce contexte un ministère comptait me faire croire que mon “art mérite une médaille de la part du pouvoir politique en place, non seulement je me sentirais instrumentalisée mais de surcroît insultée dans mon intelligence. Qu’on n’essaye pas de me faire avaler ça, qu’on n’invoque pas mon talent lorsque la récupération politique est flagrante. J’ai 30 ans, merde! J’ai publié deux romans graphiques, “d’esthétiques ni singulières ni abouties, je n’ai pas fini de “m’engager et surtout je ne suis le “symbole de RIEN. Les auteurs et les autrices de bande dessinée ne veulent pas de médaille en chocolat de la part du gouvernement, nous voulons du dialogue et des mesures concrètes.»

Les mesures concrètes qu'évoque l'auteure, ce sont celles qui sortiraient les auteurs de BD de la précarité. Comme Julie Maroh le soulignait déjà sur Slate.fr il y a quelques semaines

«90% des auteur-e-s de BD agonisent complètement depuis un an en essayant d’attirer l’attention sur le passage en force du RAAP et des nouvelles cotisations retraites. Certains doivent soit arrêter cette profession soit en prendre une supplémentaire. On ne sait pas comment on va payer le loyer et habiller les gosses. Mais tout le monde s’en fout, la misère sociale ne fait pas d’audimat.»

Avec des arguments proches de ceux Julie Maroh et Tanxxx, la dessinatrice Aurélie Neyret (Les Carnets Cerise) explique elle aussi dans un message publié sur sa page Facebook pourquoi elle n'accepte pas cette promotion:

«Au-delà de l'aspect illégitime et politique de la récompense, on notera que pour recevoir le titre (en supposant qu'on y soit invités personnellement un jour), il faut payer une centaine d'euros. Sérieusement? Au lendemain de la révélation de l'étude menée par les États Généraux de la BD, qui montre que plus d'un auteur sur deux n'arrive pas à vivre de son métier, que la moitié des femmes auteures de BD vit en dessous du seuil de pauvreté, que le RAAP nous a imposé une réforme qui finira de saigner à blanc la profession, la réponse du Ministère est de nous donner –non pardon de nous vendre– des médailles?»

Riad Sattouf a, lui, choisi de l'accepter. Aussi, écrit-il sur Facebook, pour pouvoir aller parler directement à la ministre des conditions des auteurs aujourd'hui:

«Je profiterai de cette occasion, aussi, pour pouvoir parler directement à la ministre actuelle, de la réforme du RAAP et de l'appauvrissement des auteurs, et exiger des réponses claires de sa part.»

La précarité pousse les auteurs à arrêter

Des conditions précaires détaillées par le syndicat national des auteurs et des compositeurs dans un cahier de doléances publié lors du Festival de BD d'Angoulême. Il y a quelques jours, l'auteur Boulet a tweeté les conclusions de ces États généraux de la BD où a été présenté ce cachier de doléances.

Les auteurs sont dans une situation tellement critique qu'ils en viennent ainsi à dire que les récentes polémiques autour du Grand Prix (dont le mode de fonctionnement a été changé) ou le sexisme régulièrement dénoncé du milieu permettent d'apporter de la lumière sur les «problèmes de fond», à savoir la détresse économique de ceux qui veulent créer de la BD.

Les dessinateurs dénoncent en effet depuis des années la paupérisation croissante qui menace leur art. Certains ont déjà décidé d'arrêter.

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