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Novak Djokovic, le champion d’à-côté

En dominant nettement les débats en finale de l’Open d’Australie face à Andy Murray (6-1, 7-5, 7-6), Novak Djokovic a prouvé qu’il était de loin le meilleur joueur du moment. Et qu'il pourrait même rejoindre le palmarès de Roger Federer

Novak Djokovic lors de la finale de l'Open d'Australie contre Andy Murray, le 31 janvier 2016. REUTERS/Jason Reed
Novak Djokovic lors de la finale de l'Open d'Australie contre Andy Murray, le 31 janvier 2016. REUTERS/Jason Reed

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Le tennis vit une époque particulière, une sorte d’âge d’or un peu trompeur dans la mesure où ce sport n’en a pas profité pour prendre vraiment un nouvel élan en termes de développement au niveau du nombre de ses pratiquants. Mais cette période imprime sa trace dans l’histoire peut-être comme aucune autre, au moins sur la durée.

Actuellement, trois joueurs en activité, Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic cumulent à eux trois 42 tournois du Grand Chelem remportés entre 2003 et 2016. En effet, en gagnant l’Open d’Australie pour la sixième fois –un record de l’épreuve– Djokovic vient de faire passer son total de titres majeurs de 10 à 11 quand Federer survole la situation avec ses 17 trophées, Nadal et ses 14 couronnes se situant à mi-chemin. Jamais dans l’histoire du jeu, pendant une séquence de 13 ans, une telle amplitude en termes de domination n’avait été constatée sachant qu’Andy Murray, battu pour la cinquième fois en autant de tentatives en finale de l’Open d’Australie, ne fait pas partie de la même dimension que ces trois champions en dépit de l’appellation abusive de «Big Four» qui l’englobe. Tout là haut, ils ne sont en réalité que trois.

Djokovic pourra-t-il dépasser Federer?

Chacun à leur tour ils ont exercé une très forte emprise sur le jeu: Federer particulièrement de 2004 à 2007, Nadal en 2008 et 2010, Djokovic en 2011 puis en 2015. Compte tenu de son âge –34 ans– Federer ne règnera plus sur le tennis même si un 18e titre du Grand Chelem reste tout à fait à sa portée. A 29 ans, Nadal est aujourd’hui en difficulté à l’image de son élimination au premier tour de cet Open d’Australie et il paraît hasardeux, à ce stade, de l’imaginer aussi rayonnant que dans le passé sachant qu’une 10e victoire à Roland-Garros demeure naturellement dans ses cordes. Pour Djokovic, 28 ans, désormais au faîte de sa toute puissance, l’avenir semble, en revanche, plus prometteur comme l’atteste ce nouveau succès australien qui, dans les livres d’histoire, le place donc à égalité avec Rod Laver et Björn Borg avec 11 titres du Grand Chelem.

Compte-tenu du niveau actuel de Djokovic, l’exploit est à sa taille au «détail près» qu’il a toujours échoué à Paris

Peut-il rejoindre et dépasser les 17 titres du Grand Chelem de Federer? Oui, mais le chemin reste extrêmement long et incertain. Lorsque Nadal a remporté son 14e tournoi majeur en 2014, il était logique de penser qu’il allait y parvenir. Et puis, il en est resté là jusqu’à ce jour.

En 2015, le Serbe a tout écrasé, ou presque, en s’arrogeant trois des quatre tournois du Grand Chelem et en enregistrant le total dérisoire de six défaites en 88 matches. L’une des saisons les plus abouties de la discipline avec la perspective pour lui de faire encore mieux en 2016. Grâce à ce nouvel Open d’Australie, Djokovic reste, de fait, le seul en course en 2016 pour essayer de devenir le premier joueur depuis Rod Laver en 1969 à s’imposer lors des quatre tournois du Grand Chelem au cours d’une même saison. Compte-tenu de son niveau actuel, l’exploit est à sa taille au «détail près» qu’il a toujours échoué à Paris. Trois finales pour trois défaites. La dernière, contre Stan Wawrinka, a été la moins anticipée de toutes et cela d’autant plus qu’il avait enlevé la première manche face au Suisse.

Le Serbe le sait: aussi longtemps qu’il n’aura pas mis la main sur les Internationaux de France, une astérisque sera placée à côté de son nom quel que soit son total de trophées. Mais en attendant, vainqueur de son septième tournoi d’affilée à Melbourne depuis le mois de septembre, sur une lancée de 17 finales consécutives depuis un an (à une seule du record d’Ivan Lendl entre 1981 et 1982), il exerce aujourd’hui un pouvoir solitaire sans partage.

Dans l'ombre de Federer et Nadal

Au cœur de leur rivalité, Federer et Nadal étaient inextricablement liés l’un à l’autre. Ils ont eu chacun à leur tour des moments de suprématie «à la Djokovic», mais ils ont toujours vécu sous la menace de l’un et de l’autre tant leur opposition a été constitutive de cette époque. Pour Federer, il y avait toujours le danger Nadal. Pour Nadal, il y avait en permanence la menace Federer. «Ni avec toi, ni sans toi», pour reprendre les derniers mots du film de François Truffaut «La femme d’à-côté» en guise d’épitaphe sur une histoire d’amour où tout réunit et tout oppose deux êtres. Tout l’éclat des années actuelles pour le tennis sera jugé à l’aune de ce classique Nadal-Federer comme les années 1970-1980 ont été imprimées par le choc Borg-McEnroe. Même s’il les a affrontés plus que de raison et même s’il mène désormais dans son tête-à-tête individuel face à Federer (23-22) et Nadal (24-23), Djokovic évoluera toujours dans l’ombre des deux autres comme naguère Lendl, aussi dominateur que lui au milieu des années 1980, mais qui n’a jamais réussi à pénétrer tout à fait dans le halo de lumière créé par Borg-McEnroe. C’est l’injustice d’avoir surgi en troisième par ordre d’arrivée.

Djokovic subit l’injustice d’avoir surgi en troisième par ordre d’arrivée.

De manière extrêmement méchante, le magazine américain Sports Illustrated avait consacré toute sa Une à Ivan Lendl après sa victoire à l’US Open en 1986 avec cette accroche très irrévérencieuse «The champion that nobody cares» (le champion dont personne n’a rien à faire). Novak Djokovic n’en est pas encore là, mais avant l’Open d’Australie, L’Equipe Magazine lui avait dédié sa couverture sous un titre «Un pouvoir absolu» accompagné d’une question «Le tennis survivra-t-il à la domination du Serbe?» comme s’il y avait péril en la demeure avec lui.

En raison de son pouvoir solitaire, et peut-être parce que se forme déjà une nostalgie post Federer-Nadal, Djokovic ne suscite pas (encore) une adhésion plus unanime, mais il serait stupide d’affirmer qu’il ne serait pas populaire. Il l’est énormément, mais moins, c’est vrai, que Federer et Nadal, et gagner 20 titres du Grand Chelem ne changerait probablement pas grand-chose à l’affaire pour lui. Il n’y a rien qu’il puisse faire. C’est comme ça.

Un triomphe à Roland-Garros modifierait, toutefois, la perspective. Lors de ses deux dernières défaites à Paris, Djokovic a reçu à chaque fois une très longue et très puissante ovation de la foule parisienne qui lui témoignait ainsi toute son affection. Mais c’était aussi parce qu’il avait perdu. S’il s’impose enfin sur la terre battue de la Porte d’Auteuil et s’il allait ensuite marcher sur les traces de Donald Budge (1938) et de Rod Laver (1962, 1969), les seuls champions ayant accompli le Grand Chelem, il y aurait toujours des insatisfaits pour affirmer que «trop, c’est trop», que son style de jeu métronomique et presque scientifique est ennuyeux, et pour le désigner en héritier presque «illégitime» de ces glorieuses années alors qu’il en sera peut-être (mais seulement peut-être) le plus brillant représentant. Dure réalité d’être devenu un champion à-côté de Federer et Nadal.

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