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Comme en 2008, les Démocrates américains ont le choix entre une combattante et un homme qui rêve

Dans l'affrontement entre Hillary Clinton et Bernie Sanders, on trouve des échos de celui qui a opposé la même Obama à Clinton il y a huit ans.

Hillary Clinton et Bernie Sanders lors d'un débat retransmis sur NBC News et YouTube à Charleston, Caroline du Sud, le 17 janvier 2016. REUTERS/Randall Hill.
Hillary Clinton et Bernie Sanders lors d'un débat retransmis sur NBC News et YouTube à Charleston, Caroline du Sud, le 17 janvier 2016. REUTERS/Randall Hill.

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Contrairement aux débats, les forums organisés entre les candidats aux primaires présidentielles américaines ne sont pas le moment de livrer un combat politique. Lors du forum organisé par le parti démocrate  26 janvier –organisé dans l’Iowa, l'Etat américain qui lance le processus des primaires–, en répondant aux questions du public, les trois concurrents, Hillary Clinton, Bernie Sanders et Martin O'Malley, se sont ainsi cantonnés à leur bilan, à leurs opinions et à leur expérience. Pour autant, ils n’étaient pas désarmés. Ils ont mis certains contrastes en évidence et ont souligné les différences qui existent entre eux.

C’est, pour résumer, ce qu’a fait le sénateur Bernie Sanders lors de son passage sur scène. Dans sa conclusion adressée aux Démocrates de l’Iowa, il les a pressés de considérer toutes les occasions où son opinion avait été plus avisée que celle de sa principale rivale, Hillary Clinton. «La vérité, c’est que le scrutin et la question la plus importante que nous ayons affrontée en matière de politique étrangère dans l’histoire moderne de ce pays a été le vote sur la guerre en Irak», a-t-il expliqué au public. «Hillary Clinton a voté pour la guerre en Irak.»

Il a adopté la même approche sur les questions de réglementation financière. «Wall Street s’est comporté très notablement de manière frauduleuse, et de toute évidence son avidité et son imprudence ont contribué à détruire notre économie et à créer la pire récession depuis la Grande Dépression», a-t-il constaté. «J’ai dirigé mes efforts contre la déréglementation de Wall Street. Regardez où se plaçait Hillary Clinton sur cette question.»

Hillary Clinton opte pour la persuasion

Il s’agit là d’une variation sur le thème qui avait aidé à donner la victoire à Barack Obama lors des primaires démocrates de l’Iowa. Pour ce qui est des problèmes cruciaux du moment, a avancé Sanders, Clinton se trompe sur toute la ligne. Et s’il n’a pas la même expérience que l’ancienne secrétaire d’État, vous pouvez faire davantage confiance à son jugement qu’à celui de Clinton.

C’était là une approche agressive mais nécessaire pour Sanders. À ce stade, les primaires de l’Iowa se jouent quasiment à pile ou face. Clinton mène par une moyenne de 0,6 point tout juste qui montre de profondes disparités dans les sondages de l’État. Clinton excelle dans les sondages conduits auprès d’électeurs inscrits sur les listes, où elle est surtout soutenue par les personnes âgées et les femmes –les groupes démographiques les plus susceptibles d’aller voter. En revanche, dans les sondages menés auprès de personnes sélectionnées de façon aléatoire, c’est Sanders qui gagne. Comme le note Nate Cohn dans le New York Times, un récent sondage révèle «une avance de neuf points pour Mme Clinton parmi ceux qui affirment qu’il vont “assurément” voter, et une avance de 10 points pour M. Sanders parmi ceux qui ont affirmé qu’ils iraient “probablement” voter aux primaires.» L'enjeu pour Sanders est de transformer ses supporters potentiels en supporters sûrs et certains, et balancer quelques coups ici et là –pour clarifier les différences entre lui et sa principale rivale– fait partie de cette approche.

Clinton a le problème inverse. Elle doit s’accrocher à son avance symbolique. Au début du mois de janvier, son équipe a attaqué Sanders sur le terrain de son projet pour la Sécurité sociale et sur le fait qu’il s’identifie comme un «socialiste démocrate». Mais comme on a pu le voir lors du forum, Clinton a pris ses distances avec cette tactique. Elle a opté pour la persuasion à la place, en se mettant en avant comme étant mieux équipée pour accomplir des objectifs progressistes sans attaquer Sanders ou s’aliéner ses supporters.

«Vous savez, vous pouvez dire toutes sortes de choses pendant une campagne», a expliqué Clinton, «et nous nous démarquons des Républicains, et nous avons raison de le faire parce que j’ai de profonds désaccords, comme je viens de le souligner, avec une grande partie de ce qu’ils disent et de ce qu’ils font.» Mais, a-t-elle poursuivi,

«quand les élections seront terminées, nous devrons travailler ensemble à résoudre les problèmes auxquels notre pays est confronté. C’est ce que j’ai fait. Je l’ai fait en tant que Première dame lorsque j’ai travaillé, comme je l’ai dit, à mettre en place le programme d’assurance santé pour les enfants. Je l’ai fait pour réformer le système de placement et d’adoption avec Tom DeLay, l’un des républicains les plus partisans de la Chambre des représentants. Je l’ai fait lorsque j’étais au Sénat.»

Comme en 2008, un choix crucial pour les électeurs

Poursuivant cette approche plus douce et affable, Clinton a félicité Sanders d’avoir motivé les jeunes à participer à cette élection (suite à la question d’un supporter de Sanders, qui lui demandait pourquoi elle était «malhonnête»). «Je suis très heureuse de voir que les jeunes s’engagent de quelque manière que ce soit», a-t-elle expliqué. «C’est ce que nous voulons.» De même, dans ses dernières remarques, elle a complimenté l’un des derniers spots de campagne de Sanders, et estimé que ce genre de «prose» était importante pour donner de l’énergie au pays. «Vous savez, on fait campagne comme un poète et on gouverne en prose» a-t-elle résumé, paraphrasant l’ancien gouverneur de New York Mario Cuomo. «Et nous avons besoin de beaucoup plus de poésie dans cette campagne et dans notre pays. Alors, j’applaudis à cela. J’aime cette ambiance. J’aime cette énergie.»

Quand on pense à la position des deux candidats et à la manière dont cet affrontement dans l’Iowa peut se terminer, il vaut la peine de regarder les spots finaux que les deux candidats soumettent aux électeurs des primaires. Clinton se met en avant comme une «combattante» pour les intérêts des citoyens ordinaires. C’est une posture qui met en exergue les compétences et l’expérience –ses principaux atouts. 

Sanders a un autre objectif. Il veut que vous imaginiez une Amérique meilleure. «Il y a ceux qui pensent que nous ne pouvons pas vaincre un système politique corrompu ni réparer une économie truquée», annonce-t-il. «Mais je crois que nous devons élever notre vision au-dessus des obstacles –et regarder vers l’horizon américain.» Sanders est concentré sur sa vision –sa «révolution politique». Cela crée un dynamisme, et c’est efficace.

La question cruciale pour les habitants de l’Iowa, quelques jours à peine avant les primaires, leur est familière; il s'agit d'un écho de la compétition de 2008, lors de laquelle Barack Obama l'avait emporté face à Hillary Clinton et qui a changé la face de la politique américaine. Veulent-ils quelqu’un qui se batte pour leurs intérêts ou qui soit une inspiration pour leurs rêves? À l’époque, lorsque les Démocrates étaient à peu près certains de remporter la Maison Blanche et le Congrès dans la foulée, la réponse était un peu plus facile. Aujourd’hui, face à une opposition républicaine ingérable, c’est beaucoup moins clair.

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