Économie

Davos, ou le pessimisme économique globalement correct

L’angoisse actuelle exprimée par les acteurs économiques est bien difficile à justifier.

REUTERS/Ruben Sprich.
REUTERS/Ruben Sprich.

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Chaque année, Davos prend la tournure d’un gigantesque salon parisien. On s’y retrouve entre gens-qui-comptent. On fait assaut de bons mots et de pensées profondes, on y pratique avec ardeur l’admiration mutuelle ou la vacherie bien tournée, on offre aux caméras le sourire le moins carnassier possible. Les médias se pressent pour diffuser le menu du jour de ce gratin de l’importance.

Chaque année, les organisateurs choisissent un thème et s’assurent que le message sera bien transmis. Cette année, c’est le «gloom», l’inquiétude face à des prévisions économiques peu brillantes. Avant la crise, on y célébrait les prouesses des marchés financiers, qui allaient assurer des décennies de bien-être sur la terre entière. Après la crise, les financiers se battaient la coulpe en public tout en se votant des tonnes d’indulgences. D’autres années, on a défendu la lutte contre le réchauffement climatique entre pollueurs et gouvernements protecteurs de leurs industries polluantes, ou bien la cause des femmes d’en haut.

Assaut de pessimisme

C’est diablement bien fait. On colle à l’actualité, on défend toutes les bonnes causes du jour, on fait venir les puissants et les faibles, les têtes chenues célèbres et les jeunes leaders de demain, on fustige tout ce qui est très évidemment condamnable, on encourage quelques transgressions pourvu qu’elles aient de nobles objectifs, on fait applaudir les idéaux inatteignables par ceux qui ont tout à y perdre. On fait dialoguer en public des ennemis qui refusent de se parler en privé, avec de temps à autre des dérapages qui réjouissent les médias.

C’est aussi très profitable. Les patrons des plus grandes compagnies du monde paient des petites fortunes pour serrer la main des puissants et pour débiter des discours entendus soigneusement préparés par leurs staffs. La vanité n’ayant pas de prix, l’argent coule à flot et permet de s’offrir des Prix Nobel à la pelle et des braves combattants persécutés et sans le sou, tout en dégageant de solides bénéfices.

Alors cette année, tout le monde fait assaut de pessimisme sur les perspectives économiques. Les bourses qui dévissent depuis quelques semaines vont dévisser encore plus sans que personne ne comprenne pourquoi. Car, enfin, les États-Unis connaissent une croissance stable et même l’Europe semble sortir du marasme. Certes, il y a la Chine. Elle a cessé de croître à 10% par an et pourrait se stabiliser à 5%. Si c’est le cas, ce que personne ne sait vraiment, ce serait un remarquable atterrissage en douceur après des années de croissance folle (et hautement polluante). Après tout, 5%, c’est vraiment très bien. Certes, il y a le Brésil qui implose, mais ce n’est pas un événement global.

Le pétrole chute? Excellente nouvelle!

On se désespère de voir les prix du pétrole laminés, mais c’est une excellente nouvelle. Ce sont des centaines de milliards de réduction pour les pays consommateurs de pétrole. Les prix vont baisser et on se désole de la déflation qui menace. Pourquoi, au juste? La déflation, c’est très mal quand elle résulte d’une dépression. Cette fois-ci, elle traduit l’effondrement d’une rente scandaleuse que se sont appropriés des pays qui, pour la plupart, sont d’épouvantables dictatures qui ont utilisé cette fortune imméritée pour subventionner des entreprises honteuses et souvent criminelles. Les pays producteurs vertueux, comme la Norvège, ont accumulé un solide matelas pour faire face à une chute de prix et ils s’en servent. Les autres, les pays-cigales, vont pleurer famine. L’Arabie Saoudite envisage, dit-on, de lever des impôts sur le revenu, mais c’est très sain.

La déflation a mauvaise réputation parce que, dans notre subconscient collectif, elle est associée à la dépression économique, et aussi parce qu’elle renchérit la valeur des dettes. Mais c’est hautement souhaitable dans la situation actuelle. Depuis la crise, on peut emprunter à des taux d’intérêt proches de zéro. C’est parfaitement malsain. Cela pousse les épargnants à rechercher du rendement en investissant dans les produits financiers à haut risque. Puisque l’argent ne coûte rien, cela encourage les emprunteurs à se lancer dans des opérations à rendements quasi nuls. Pour ces raisons, on en est à reprocher aux banques centrales leurs politiques de taux nuls ou même négatifs. La déflation, si elle arrivait vraiment, corrigerait tout ça, le temps que la croissance s’affermisse, que les prix remontent et que les banques centrales puissent revenir à des taux positifs. En attendant, le pouvoir d’achat des salaires s’accroîtrait même sans augmentation. Il y a fort à parier que l’on regrettera bientôt que la déflation ne soit pas vraiment produite.

L’angoisse actuelle est bien difficile à justifier. Les marchés boursiers font ce qu’ils font toujours, c’est ce que l’on appelle un comportement moutonnier. Ils redoutent des crises ici ou là, et ce n’est pas impossible. Mais ce n’est pas non plus le plus probable. Les bourses étaient exubérantes avant la grande crise de 2007-8, a contrario c’est presque rassurant de les voir angoissées. Le message de Davos reflète ce pessimisme globalement correct mais si peu justifié. Il ne devrait impressionner personne.

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