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Trump, le candidat «made in China»

Les emplois perdus à cause de la Chine ont contribué au succès de la candidature du républicain.

Avant un meeting le 20 janvier 2016 dans l'Oklahoma I REUTERS/Nick Oxford
Avant un meeting le 20 janvier 2016 dans l'Oklahoma I REUTERS/Nick Oxford

Temps de lecture: 5 minutes

Qui les républicains peuvent-ils remercier pour le succès de Donald Trump? Vous allez rire, mais la réponse est la République populaire de Chine. Non, je ne sous-entends pas que Trump est un candidat manchou avec un crime dans la tête, le cerveau lavé par les membres d’un sombre complot communiste dans le but de renverser la démocratie américaine de l’intérieur. Mais jetez un œil aux régions où le soutien pour Trump est le plus fort, ainsi qu’à sa popularité auprès des hommes blancs aux diplômes de niveau secondaire ou inférieur, et vous verrez un motif se détacher clairement. L’Amérique de Trump est celle qui a été frappée le plus durement par la désindustrialisation causée par la Chine.

Depuis quelques mois, le magnat de l’immobilier milliardaire électrise les républicains en focalisant sa campagne présidentielle presque exclusivement sur l’immigration. S’il y a une chose que les électeurs des primaires républicaines savent sur Trump, c’est qu’il a l’intention d’ériger un mur le long de la frontière sud des États-Unis et qu’il compte se débrouiller pour obliger le Mexique à le financer. S’il y a une autre chose que savent ces électeurs, c’est probablement que Trump caresse l’idée d’empêcher les musulmans, en tout cas certains d’entre eux, d’entrer aux États-Unis «jusqu’à ce que nous puissions comprendre ce qui se passe» point d'orgue de son premier spot de campagne télévisé.

Une relation commerciale gagnant-gagnant 

Mais Trump attire aussi l’attention sur le déficit commercial des États-Unis avec la Chine et agite un poing métaphorique en direction de la superpuissance asiatique depuis au moins 2011. Et la semaine dernière, à en croire un article de Maggie Haberman du New York Times, il a appelé à l’imposition d’un droit de douane de 45% sur les importations chinoises. Bien que Trump insiste sur ses opinions de «free trader», partisan du libre-échange, il avance que les pratiques commerciales de la Chine sont si monstrueusement injustes que les États-Unis n’ont guère d’autre choix que d’exercer des représailles.

Les détracteurs du candidat républicain verront sans aucun doute dans cette attaque de la Chine un nouvel exemple de bouffonnerie trumpienne. Quasiment n’importe quel étudiant qui travaille sur les relations commerciales entre les États-Unis et la Chine vous dira que les deux pays bénéficient des flux de biens et de services entre les deux côtés du Pacifique, et que même si la Chine impose des barrières non-tarifaires, subventionne ses exportateurs en violation des règles commerciales internationales et ne respecte pas la propriété intellectuelle des entités américaines, les avantages pour les investisseurs, les salariés et les consommateurs américains dépassent massivement les inconvénients. Cependant, ce point de vue présente un problème.

C’est le rôle du gouvernement de s’assurer que les «perdants» de la concurrence des importations chinoises reçoivent l’aide nécessaire pour s’intégrer

Des régions dévastées

Quels que soient les effets de la concurrence des importations chinoises sur l’économie américaine dans son ensemble, il ne fait aucun doute qu’elle a eu un impact dévastateur sur certaines régions et sur certains groupes de salariés. Tout le monde sait que le libre-échange est une aubaine pour certains et une plaie pour d’autres. Mais c’est le rôle du gouvernement de s’assurer que les «perdants» de la concurrence des importations chinoises reçoivent l’aide nécessaire pour faire les ajustements qui leur permettront de s’intégrer à l’économie. Et il semble assez clair que notre gouvernement n’a pas particulièrement bien fait le boulot.

En 2013, David Autor, David Dorn et Gordon Hanson ont publié un article sensationnel analysant l’impact de la concurrence chinoise sur les marchés du travail locaux aux États-Unis entre 1990 et 2007. Les régions qui ont essuyé le plus gros des conséquences de cette concurrence ont connu une augmentation du chômage, un moindre taux d’activité et des salaires plus bas. Les industriels qui se sont retrouvés en concurrence avec les importations chinoises ont dégraissé leurs effectifs, et certains ont carrément été obligés de mettre la clé sous la porte. 

Des communautés bafouées

Il est assez intéressant de constater que la baisse des salaires déclenchée par la poussée des importations chinoises a d’abord été observée en dehors du secteur industriel. Lorsque le chômage a augmenté et que les salaires ont baissé dans les régions les plus touchées, les revenus moyens des ménages ont eux aussi dégringolé. Inévitablement, les familles de ces régions ont été forcées de dépendre des allocations chômage et handicap et des prestations médicales en nature, entre autres transferts. L’impact négatif sur l’emploi a été particulièrement prononcé pour les adultes qui n’avaient pas fait d’études supérieures.

Dans un précédent article, Autor, Dorn et Hanson révèlaient qu’en réduisant les opportunités d’emplois masculins, la concurrence des importations chinoises a sans doute contribué à la baisse du nombre de mariages et à l’augmentation brusque de la proportion d’enfants élevés dans des foyers à bas revenus. Ces communautés ont pâti de nombreux autres problèmes que les auteurs n’abordent pas directement, des hauts niveaux de mauvais traitements chez les enfants à la toxicomanie en passant par des taux de suicides très élevés. Le désespoir et l’absence de perspectives sont des éléments familiers de l’Amérique de Trump.

Les effets du change

Cela signifie-t-il que les États-Unis se seraient mieux portés si nous avions érigé des barricades contre les importations chinoises ou si nous avions imposé des tarifs douaniers de 45% à la Trump il y plusieurs dizaines d’années? Sérieusement, j’en doute. Pourtant, il est frappant de voir le degré d’indifférence des élites tant républicaines que démocrates devant les effets dévastateurs de la désindustrialisation.

Les effets de la désindustrialisation ont été si longtemps ignorées parce qu’ils étaient masqués par la flambée de l’immobilier sur laquelle Trump s'est enrichi

En s’inspirant des travaux des économistes Doug Campbell et Ju Hyun Pyun, Ryan Avent a observé qu’entre 1990 et 2002 le dollar s’est apprécié de 48%, ce qui a conduit à une flambée du coût relatif de la main d’œuvre aux États-Unis. Cette flambée à elle seule explique une grande partie du déclin de l’emploi dans le secteur industriel. Où étaient les voix appelant la Réserve fédérale et le Département du Trésor à intervenir sur les marchés des changes pour protéger les intérêts du secteur industriel américain? Elles ont sûrement été noyées sous celles qui appelaient à mettre en place des politiques visant à protéger les intérêts des secteurs financiers et de l’immobilier.

Fortune et népotisme

De toutes les délirantes ironies inhérentes à l’émergence de Trump dans le rôle de tribun de la classe ouvrière blanche d’Amérique, la plus étrange de toutes est qu’en tant que promoteur immobilier milliardaire, Trump a bâti sa fortune dans le secteur le plus corrompu, le plus pourri et le plus népotique de l’économie américaine moderne. Une des raisons pour lesquelles les conséquences de la désindustrialisation ont été si longtemps ignorées par les législateurs est qu’elles étaient masquées par la flambée de l’immobilier. L’augmentation des prix des logements stimulait le développement et les travaux dans le secteur, ce qui à son tour générait de l’emploi pour au moins certains hommes de niveau bac ou inférieur –dont une part disproportionnée étaient de jeunes immigrants et des Américains de deuxième génération qui vivaient dans la Sun Belt, pas des blancs quinquagénaires dépérissant dans la Rust Belt.

Je ne sais absolument pas si Donald Trump va gagner les primaires dans l’Iowa ou le New Hampshire ni s’il continuera sur sa lancée et remportera les élections pour l’investiture républicaine dans la perspective des présidentielles. Ce que je sais en revanche c’est que lorsque Trump tape sur la Chine, il s’adresse à l’angoisse de millions d’Américains qui se sentent ignorés depuis bien longtemps. L’échec des autres républicains à reconnaître cette angoisse et à faire quelque chose de significatif pour y remédier est une souillure morale pour le Good Old Party.

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