Vendredi ou la vie sauvage, paru en 1971, est rapidement devenu un classique de la littérature jeunesse et des œuvres enseignées au collège. C’est dans une moindre mesure, aussi le cas du Roi des aulnes. C’est peut-être pour cela que Michel Tournier, prix Goncourt 1970, est encore si connu du grand public. Vendredi ou la vie sauvage est aujourd’hui dans la liste des œuvres proposées aux enseignants de français en cinquième. Inspiré de et par Robinson Crusoé de Daniel Defoe, le roman est en fait la réécriture d’un autre livre de Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifiques. L’auteur disait préférer sa deuxième version, ainsi que nous le rappelle le Figaro qui retranscrit des propos rapporté dans l’ouvrage Michel Tournier, la réception d'une œuvre en France et à l'étranger:
«Fini le charabia. Voici mon vrai style destiné aux enfants de 12 ans. Et tant mieux si ça plaît aux adultes. Le premier Vendredi était un brouillon. Le second est propre; j'ai simplifié un petit peu parce que j'ai trouvé que Vendredi ou les limbes du Pacifique, c'était trop compliqué et même un peu vicieux, subtil, abstrait.»
Et ce texte, à la fois très accessible et très profond, plaît beaucoup aux enseignants: «Il parle du corps et de la liberté, aujourd’hui cela fait sens, confie Olivier, un professeur de français. Et puis il parle aussi du renversement maître esclave. On peut également aborder le thème de la réécriture.»
Hommages spontanés
Mais ce qui est encore plus intéressant c’est que dans les hommages qui lui sont rendus, on peut lire des témoignages vraiment personnels et singuliers, qui diffèrent des citations de personnalités politiques dont on peut douter de la sincérité. Des mots spontanés et émus tels que ceux que l'on trouve dans cette nécropole contemporaine qu’est devenu Twitter:
Michel Tournier était un maître. Il était venu en Terminale nous expliquer la dimension philo de Vendredi ou la vie sauvage. Brillantissime.
— Julien Arnaud (@Ju_Arnaud) 18 Janvier 2016
Oh non, Tournier est mort, je me rappelle au collège d'avoir étudié "Vendredi ou la vie sauvage." Ce livre était génial
— No fève man (@GenkishiS) 18 Janvier 2016
RIP Michel Tournier. Un des premiers livres que j'ai lu au collège avec son roman jeunesse "Vendredi ou la vie sauvage".
— Ursus Arctos (@Landdry) 18 Janvier 2016
Mon enfance littéraire part à son tour avec M. Tournier - Vendredi ou la vie sauvage, mon premier coup de coeur littéraire, à 6 ans
— Lord Mahammer FQSP© (@lordmahammer) 18 Janvier 2016
Et ceux qui exhument la belle couverture de l’édition de mon enfance :
Ne dites plus “#FF @LeRobert_com, mais "Suivez Vendredi ou la Vie Sauvage"(à vous de choisir) #Beyond140 #Twitter10k pic.twitter.com/bOMWv62sDo
— Adel_Z (@Adelzid) 15 Janvier 2016
Et les références à Vendredi ou la vie sauvage sont legions sur Twitter. On en trouve d’antérieur au décès de l’écrivain, preuve que Tournier était bien là, en 2016, dans nos classes:
La semaine passée, en Français, nous avons travaillé par groupes pour écrire la suite de Vendredi ou la vie sauvage.
— Classe coopérative (@ClasseCoopVadez) 12 Novembre 2015
@Hhhsinfo#5e#Vendredi ou la vie sauvage#civilisation#vie sauvage#différences#cultures#débattre#argumenter#s'exprimer pic.twitter.com/p8tOGhg9hd
— Maissa Jibai (@maissa_jibai) 12 Janvier 2016
Et même des critiques
@louisetourret ça m'avait beaucoup ennuyé
— Letropgrand (@Letropgrand) 19 Janvier 2016
La Fontaine et Perrault pour modèles
Car c’est aussi le destin des auteurs «scolarisés», et les plus attentifs d’entre nous se souviennent des horriblissimes tweets d’élèves sortant du bac français au sujet de Victor Hugo en 2014, l’auteur des Misérables s’y faisait traiter de nom d’oiseaux par des élèves qui avaient peu goûté d'avoir à plancher sur sa poésie.
À propos de Vendredi, «nounours» se plaignait en février 2015 en commentaire d'un site consacré au livre:
«Moi je devais le lire mais je n ai pas trop aime donc je n ai pas pu le finir resultat evaluation demain j ai vraiment peur de me rater et le truc qui m enerve c est que les prof sont oblige de nous faire lire des livres et nous on est oblige de les lire mais on fait comment si on aime vraiment pas du tout du tout le livre?»
Tournier assumait l’ambition de s’adresser à la jeunesse, ainsi déclarait-il dans un formidable entretien accordé à une revue de pédagogie:
«Mon rêve, si j’étais un génie, ce serait d’écrire un traité de métaphysique classique qu’on pourrait faire étudier à des enfants de 10 ans. Mon ambition toujours, c’est d’être suffisamment bon pour que les enfants puissent me lire, comme La Fontaine et Perrault qui n’écrivaient nullement pour les enfants.»
Michel Tournier fut un auteur qui eut l’audace et le talent de s’adresser aux jeunes lecteurs sans se contrefaire et sans démagogie. Quitte à se trouver confronté au risque de s’adresser à des élèves/lecteurs réticents et de devenir un auteur académique, un écrivain «dans le programme». Il le fit surtout pour les enfants. Sans l’avoir lu en classe, je fais partie de ces personnes qu'il a touchées. Le tout, en nous confrontant à un style et à des thèmes qui ne négocient pas avec le confort du lecteur mais font le pari de nous emmener aussi loin que peut le faire l’écriture. Faire au jeune lecteur le cadeau inestimable d’une première vraie expérience littéraire.