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Affaire Polanski: Penser aux enfants

Je préfère vivre dans un pays qui protège les mineurs et juge les prédateurs, même si cela signifie être en butte à la désapprobation.

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L'Office fédéral de la justice (OFJ) suisse a annoncé mardi 6 octobre qu'il s'opposait à la remise en liberté provisoire du cinéaste Roman Polanski, détenu en Suisse depuis le 26 septembre. L'OFJ rejette la requête de l'artiste demandant la «reconsidération de son arrestation». Il estime qu'il présente «un grand danger de fuite». «Même avec une liberté sous caution, il n'est pas garanti que M. Polanski restera dans la Confédération», défend un porte-parole de la chancellerie. Roman Polanski est depuis 1978 un fugitif aux yeux de la justice américaine.

Quand on commence à remarquer la déontologie particulière qu'on appelle la règle de l'exception hollywoodienne, on n'en finit plus de la voir partout .Dans un livre récent intitulé, «We'll Be Here for the Rest of Our Lives», le maestro des émissions du soir Paul Shaffer estime qu'il devrait peut-être commenter la condamnation de Phil Spector pour le meurtre d'un autre être humain dont la plupart des gens ont oublié jusqu'au nom. Alors il dit quelque chose. «Je regrette la tragédie qui entoure Phil depuis quelques années». Voilà ce qu'il a choisi de dire. Autant dire qu'il n'a même pas vraiment essayé.

Ces derniers jours, on a également associé dans une même phrase les mots «tragédie» et «Roman Polanski». Dans son cas, cela me paraît un tout petit peu plus justifié. Polanski a réalisé plusieurs tragédies pour le grand écran et il a aussi été victime de malheurs épouvantables dans sa propre vie. Les médias utilisent maintenant le mot tragédie lorsqu'ils veulent dire que des mauvaises choses sont arrivées à des gens biens ou - encore pire - des célébrités. Mais il n'y a que deux genres de tragédies qui en méritent véritablement cette appellation: la tragédie hégelienne et la tragédie grecque. Hegel trouvait tragique deux droits se retrouvant en conflit. Les Grecques trouvaient tragique un grand homme défait par un défaut fatal.

Le mot que l'on trouve dans le second type de tragédie - hubris - s'applique de plusieurs façons à Polanski. (Pour moi c'est de la prétention démesurée d'appeler son adaptation d'une tragédie relativement connue Macbeth filmé par Roman Polanski) Il s'est peut-être aussi trouvé tellement cool et dans son droit pour donner à sa victime de l'alcool et un Quaalude, une drogue qui relaxe les muscles, détail auquel on n'a pas très envie de penser. Il y a bien là un défaut fatal.

Et cela continue. En juillet 2005, Polanski profite des fameuses lois britanniques sur la diffamation pour attaquer en justice mes collègues de Vanity Fair pour avoir blessé ses sentiments et empoche des dommages et intérêts. Peu importe le motif supposé de la plainte - il avait prétendument fait des avances à une mannequin scandinave en lui assurant qu'il ferait d'elle la prochaine Sharon Tate - sinon que Polanski ait eu l'audace de faire un procès sur la question de sa propre moralité et de sa réputation. «Je ne pense pas» a-t-il été cité  à propos de l'allégation, «qu'il existe un homme qui se comporterait de cette façon.» Pardon?

Inquiets pour sa petite personne, les tribunaux britanniques n'ont même pas mis Polanski dans la position difficile de comparaître dans un pays où il n'avait jamais vécu. Ils lui ont offert l'occasion d'exprimer son hypersensibilité et son indignation en faisant la moue par liaison vidéo. Puis ils l'ont couvert d'argent tout neuf. C'est le moment où j'ai commencé à me glacer d'effroi. Et après, en décembre dernier, toujours en fuite, Polanski dépose une requête depuis l'étranger pour annuler, sans plus de cérémonie,les accusations originelles du procès pour viol sur mineur, auquel il avait plaidé coupable à Los Angeles.

Il n'est donc pas si extraordinaire d'apprendre que les procureurs ont apparemment réouvert une affaire vieille mais toujours en cours. Ce qui plus étonnant, c'est que Polanski ait été capable de poursuivre sa combine de fugitif pendant si longtemps, les doigts dans le nez, empochant même des dommages et intérêts au passage, et menant une vie prospère grâce à une carte «Sortez de Prison» et un laisser-passer lucratif, tout en rappelant à la justice son impuissance.

Il est en quelque sorte émouvant  que la victime de l'affaire lui ait pardonné et ne souhaite pas voir le dossier réouvert, mais à proprement parler ce n'est pas plus pertinent que si elle avait dit la même chose à l'époque. La justice poursuit ceux qui violent des mineurs, et elle le fait en partie pour ceux qui ne l'ont pas encore été. On prend un cas particulier, peu importe l'identité des individus, et on l'utilise comme précédent. Et on oublie combien on a de la chance de pouvoir le faire.

Il y a à peine trois semaines, au Yémen, Fawziya Youssef, 12 ans, a succombé à une hémorragie en tentant de donner naissance à un mort-né. Son  accouchement ou plutôt sa torture a duré assez longtemps. Elle avait été mariée légalement à l'âge de 11 ans à un homme deux fois plus âgé qu'elle. Son cas n'est absolument pas unique au Yémen, où l'on estime que plus d'un quart des filles sont mariées au plus tard à 15 ans, la plupart étant des mariées bien plus jeunes. Des tentatives pour augmenter l'âge légal du mariage ont été contrecarrées par les partis politiques, dont je n'ai pas besoin de vous préciser la nature, car vous avez déjà deviné. Le scandale de l'enfant-mariée - un nom poli pour un scandale qui implique viol, torture, esclavage et inceste - est aussi un aspect de la vie en Arabie Saoudite et d'autres pays de la région, où, par précaution, il est aussi accompagné de la mutilation des organes génitaux des fillettes.

En Iran - où la révolution islamique avait d'abord réduit l'age légal du mariage à 9 ans - l'âge minimum est aujourd'hui de 13 ans, bien que cette loi ne figure pas parmi celles que les gardes révolutionnaires s'efforcent de faire respecter. Vous pouvez, si vous en avez envie, plaider pour le relativisme culturel - des standards différents pour chaque société et chaque tradition - mais le fait est que le Prophète Mahommet fût promis à sa femme Aisha lorsqu'elle avait 6 ans et la prit pour femme lorsqu'elle en avait 9, ce qui donne des arguments à ceux qui aiment que les choses fonctionnent ainsi et veulent en préserver la légalité.

Pendant ce temps, un éminent prince de l'église catholique américaine est installé au Vatican comme cardinal, lui qui a pendant des décennies facilité et couvert la sodomie institutionnalisée des mineurs. Je préfère somme toute vivre dans un pays qui protège les mineurs et juge les prédateurs, même si cela signifie être en butte à la désapprobation (et ce n'est apparemment pas la même chose à Hollywood).

Christopher Hitchens

Traduit par Juliette Berger

Lire également: Si Roman Polanski s'est fait arrêter, c'est de sa faute et La France ne peut rien pour Roman Polanski.

Image de Une: Roman Polanski au festival de Cannes Jean-Paul Pelissier / Reuters

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