Économie

Entre ventes privées et cashback, vis ma vie de «nouveau radin»

Quand faire des économies devient un emploi à plein temps.

Calculating Savings / <a href="https://www.flickr.com/photos/68751915@N05/6736166839/">401(K) 2012</a> via Flickr CC <a href="https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0/">License by.</a>
Calculating Savings / 401(K) 2012 via Flickr CC License by.

Temps de lecture: 11 minutes

6h30. La sonnerie de mon réveil retentit, un peu plus tôt que les jours de boulot –je suis en RTT. Mais j’ai une bonne raison pour me lever de bon matin. Hier, j’ai reçu un mail de Vente-privée qui m’annonçait: «Demain: vente Sandro».

Ventes privées

Je suis inscrite sur ce site gratuitement depuis 2006, cinq ans après les débuts de ce précurseur des ventes privées, qui a vu par la suite naître des concurrents comme Brandalley ou ShowRoomPrivé. Ma meilleure amie m’avait parrainée, adepte de ce leader du marché qui, sur une période qui dure entre 24 heures et quelques jours, brade à prix réduits des produits que de grandes marques (ou de plus petites) n’ont pas écoulés.

Un parrainage = 8 euros de réduction. Je me suis moi aussi empressée de parrainer ma sœur. Mais elle me dit que c’est un «piège», qui incite à acheter des choses dont on n’a pas vraiment besoin. En 2008, elle a même voulu me démontrer que certains de ces sites abusaient de leur position: la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) en avait épinglé une bonne partie. Alors qu’ils prétendaient pratiquer des réductions allant parfois jusqu’à -70%, ils ne précisaient pas de prix de référence: «S’ils ne peuvent justifier d’un prix de référence effectivement pratiqué, les sites de ventes privées ne doivent pas annoncer de rabais et doivent se limiter à une communication commerciale sur des prix bas», précisait alors la DGCCRF.

Depuis un arrêté du 11 mars 2015, la législation s’est assouplie, et «toute annonce de réduction de prix est licite sous réserve qu’elle ne constitue pas une pratique commerciale déloyale», une telle pratique étant laissée à l’appréciation des juges. Avant, ce prix de référence devait être calculé selon des critères précis: c’était notamment le prix le plus pratiqué au cours des trente derniers jours. Aujourd’hui, il doit toujours être indiqué, mais il est «déterminé par l’annonceur», qui doit toutefois pouvoir «justifier de la réalité du prix de référence». Si ma sœur estime que ça ouvre la porte «à toutes les interprétations et à des pratiques potentiellement douteuses», je me dis surtout que les marques peuvent continuer à pratiquer des réductions sans être trop inquiétées... et à moi les -70%!

6h45. Je suis donc connectée sur Vente-privee.com pour décrocher une robe à -70%, que je pourrais offrir à ma sœur pour son anniversaire –et, par là même, lui démontrer les avantages de Vente-privée. Mieux vaut s’y prendre à l’avance, car parfois, le site sature. Pas moins de 22 millions de personnes sont membres dans le monde et plus de 2,5 millions d’accros s’y connectent chaque jour. Quand j’arrive finalement à atteindre la page qui m’intéresse, il est trop tard: les stocks sont épuisés. C’est parfois ce qui arrive, quand les offres sont très intéressantes...

Cartes de fidélité

Pendant que je rumine en prenant mon petit-déjeuner –peut-être devrais-je prendre mon propre abonnement Internet plutôt que de continuer à utiliser ce wi-fi public qui rame et m’a fait passer à côté d’une occasion en or–, la sonnerie de mon téléphone me sort de mes pensées. C’est un SMS de Camaïeu qui m’annonce des réductions jusqu’à -70%, réservées à ceux qui ont la carte de fidélité. Bien sûr que je l’ai! Je fais partie de ces 30% de consommateurs qui ont au moins quatre cartes de fidélité, selon une étude de la Sogec, une société de marketing opérationnel et de relation client. Mais si je fais attention aux réductions, c’est aussi comme les 29% de CSP- qui voient ici un moyen de «dépenser moins et de faire des économies».

A chaque passage en caisse dans un nouveau magasin, je demande donc ma carte de fidélité. Et je l’active tout de suite: je ne comprends pas ces personnes qui tardent et rechignent à remplir et renvoyer les formulaires, qui de plus, sont souvent disponibles en ligne maintenant. Combien de fois ai-je écrit mes nom, prénom, date de naissance (ils envoient souvent des offres pour les anniversaires!), sexe, adresse, mail pour avoir ma carte de fidélité...

Prospectus

10h30. Mon moment favori de ma journée: je vais chercher mon courrier. Bon, OK, il y a parfois des factures. Mais il y a surtout une montagne de prospectus! Le «stop pub»? Hors de question! Oui, je sais que ce n’est pas très écolo, puisque 40 kg de papier par an sont déposés dans ma boîte aux lettres. Mais avec cet autocollant, je passerais à côté des offres que les supermarchés, et même les magasins spécialisés envoient par dizaines chaque jour. Et je ne suis pas la seule à le faire: selon l’étude menée par la Sogec, c’est le cas de plus d’un consommateur interrogé sur deux.

Je commence à feuilleter page par page. Les prix barrés se suivent, en gros ou en plus petit: 10,11 euros au lieu de 13,49 euros sur ce saumon fumé, 2,35 euros au lieu de 3,92 euros pour ce fromage, -25, -30, -50% de remise immédiate... Il y en a tellement! Je ne suis pas tout à fait dupe: je sais que c’est un moyen d’attirer les consommateurs. Et pour les marques vendues, c’est à qui pratiquera la meilleure réduction et réussira à mieux séduire que ses concurrentes, sur des marchés très faiblement différenciés. Mais avec toutes ces réductions, beaucoup de consommateurs –moi la première– ont tendance à ne plus acheter qu’en période promotionnelle. Je me demande donc ce que les enseignes et les marques ont à gagner: si elles ne pratiquaient des réductions que de temps en temps, ce serait certainement plus intéressant pour elles sur le plan commercial.

Tout en réfléchissant, je découpe les offres qui m’intéressent; je les emmènerai quand j’irai faire mes courses. Comme ça, s’ils n’appliquent pas ces prix en magasins, je leur prouve que leur publicité est mensongère. Car il faut tout de même se méfier de ces promotions, que j’étudie minutieusement. Selon une récente étude de l’UFC Que Choisir, ce sont des «promesses non tenues»: les prix de référence –ceux qui sont barrés– sont parfois les «prix les plus élevés observés chez les concurrents au cours des six derniers mois, ce qui a évidemment pour effet de gonfler artificiellement le montant du rabais», et «les rabais affichés surestiment d’au moins 14 points les baisses réellement consenties». Il faut dire qu’il y a tellement de réductions aujourd’hui, que les enseignes ne font pas toujours délibérément des erreurs. Mais dans le même temps, elles ne sont pas vraiment incitées à la vigilance: la probabilité d’un contrôle par la DGCCRF est quasi-nulle et les consommateurs portent rarement plainte.

Au supermarché: comparateurs de prix et coupons de réduction

Je prends et je stocke. C’est grâce à cela que je ne manque jamais d’essuie-tout ou de shampooings

Je tente donc de ne pas me laisser avoir par ces promotions parfois trompeuses. Pour cela, quand je vais faire mes courses, je scanne les codes-barres de tous les articles avec l’appli Prixing, qui me géolocalise et me permet de savoir si je peux trouver moins cher dans une autre enseigne aux alentours. Sa base de données est alimentée de manière participative: ce sont les clients qui renseignent le prix des produits, et ils peuvent même poster leur avis sur ceux-ci. Si je vois, quand je suis chez Auchan, que je peux trouver moins cher chez Leclerc ou Carrefour, je le note et je m’y rends plus tard. Des applications comme celle-ci, il en existe d’autres, certaines fonctionnant même pour les drives.

Après le déjeuner, me voilà donc partie faire mes emplettes. Sur les prospectus de ce matin, j’ai également repéré les ventes en gros: «2 bouteilles de vin + 1 gratuite», «186 cotons démaquillants + 24 gratuits», «le lot de 5 paquets de pâtes pour 3,08 euros»... Je prends, et je stocke. J’en aurais forcément besoin un jour. C’est grâce à cela que je ne manque jamais de rouleaux d’essuie-tout, ou de shampooings.

Après plus de deux heures à déambuler dans les rayons de trois supermarchés pour être certaine d’obtenir toujours les offres les plus avantageuses, j’arrive à la caisse du dernier. Je sors les coupons de réduction acquis lors de mes dernières courses; comme j’avais 30% de remise sur l’achat d’un beurre de grande marque valable jusqu’à demain, j’ai glissé la plaquette dans mon caddie, et le bout de papier à la caissière. Idem pour du dentifrice et des yaourts. Comme 23% des Français, je choisis mes produits en fonction de mes coupons de réduction, selon une étude de la Sogec. Le monsieur derrière moi ronchonne un peu, le temps que l’hôtesse de caisse effectue toutes les remises. Mais pour quelques minutes de plus, ce sont encore quelques centimes économisés!

Les ventes groupées de Groupon

16h. J’ai rendez-vous pour un soin en institut, que j’ai réservé sur Groupon. Ce site achète en gros certains produits ou services, qu’il propose ensuite à ses clients à un moindre prix. L’offre ne sera valable que si un nombre d’acheteurs fixé à l’avance par le site se montre intéressés, pour que son opération soit rentable. Alors bien sûr, là encore, certaines arnaques existent, les réductions réelles n’étant pas toujours celles annoncées... Groupon, même s’il apparaît comme un intermédiaire, est censé vérifier les offres proposées par ses fournisseurs. C’est en tout cas ce qu’a estimé le tribunal correctionnel de Paris en mars dernier.

Coupon de réduction sur Internet

Après ce moment de détente qui m’a fait oublier la malhonnêteté de certaines de ces offres qui me rendent la vie moins chère, je me pose devant l’écran de mon ordinateur et consulte mes mails. Mon ex m’en a envoyé un pour me dire que je devrais lire L’argent dans le couple et la famille, de Marie-Claude François-Laugier. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Selon la psychanalyste, je ferais partie de ce que l’on pourrait appeler les «nouveaux radins»:

«Ce sont des personnes qui ont un souci de l’économie à tout prix. C’est d’autant plus accentué depuis la crise de 2008, et ça peut partir d’un bon sentiment de vouloir être un bon gestionnaire. Ça traduit aussi une peur de l’avenir: économiser et épargner, c’est sécuriser son avenir.»

Pour elle, essayer de trouver de bonnes affaires, ce n’est pas pathologique; c’est aussi une volonté de «ne pas se laisser avoir par la société de consommation», voire d’en jouer: «Collectionner tous ces bons peut avoir une dimension ludique: c’est amusant de tromper le système de la consommation.» Mais elle assure que quand une personne passe ses journées à trouver la bonne affaire, à trier ses coupons promotionnels et à faire des kilomètres pour trouver le produit le moins cher, cela vire à l’obsession:

«Cela peut venir de l’enfance, et plus précisément de la coupure avec la mère; certaines personnes se trouvent dominées par la peur du manque. Cela peut être le cas des collectionneurs de bonnes affaires, qui veulent économiser à tout prix pour ne manquer de rien. Mais ce n’est pas du niveau de l’avarice, qui elle est pathologique: les avares ont une obsession d’accumuler de l’argent et ne dépensent donc rien. Ce qui n’est pas le cas des "nouveaux radins".»

Alors que je m’apprête à commander ce livre sur Amazon, je me souviens avoir reçu grâce à la newsletter du site de vente en ligne, à laquelle j’ai pris soin de m’abonner, un coupon de 10 euros de réduction sur une sélection de livres. Il me suffira d’entrer un code pour gagner quelques euros... si le livre fait partie de cette sélection. Pas de chance, ce n’est pas le cas. Tant pis. Je ne comprends d’ailleurs pas vraiment pourquoi il faudrait que je le lise.

Satisfait ou remboursé

Je ferais partie
de ce que l’on pourrait appeler les «nouveaux radins»

Je préfère m’imprimer ces «conseils pour faire des économies rapidement», que je pourrai lire tranquillement ce soir. Mais alors que je lance l’imprimante que je viens d’acheter, je remarque à quel point l’impression est lente. Ni une ni deux, je me connecte au site de Boulanger pour faire une réclamation.

L’enseigne d’électro-ménager et de high-tech propose une garantie «Satisfait ou remboursé». Eh bien, me voilà non satisfaite, donc en droit d’être remboursée. Si beaucoup d’enseignes proposent ce genre de service, elles ne sont pourtant pas tenues par la loi de le faire, du moins lorsqu’il s’agit d’un achat en magasin. C’est donc un geste purement commercial. La législation est cependant différente pour un achat en ligne, ou par correspondance, téléachat ou téléphone:

«Vous disposez d’un délai de 14 jours pour changer d’avis sur votre achat à distance. […] Le droit de rétractation s’applique aussi si le produit est soldé, d’occasion ou déstocké.»

Cela ne fonctionne pas pour tous les produits. Les aliments, ou les CD, DVD ou logiciels qui ont été ouverts, sont notamment exclus de cette garantie. Et mon imprimante? Je l’ai achetée dans un point de vente, mais Boulanger me précise sur son site:

«Nous nous engageons à échanger tout produit restitué en magasin dans son état d’origine et complet (emballage, accessoires, notice...) avec sa facture ou son ticket de caisse.»

Aucun problème: habituée, j’ai bien pris soin d’ouvrir le carton très délicatement, en ne coupant que les petits morceaux de scotch nécessaires. Il est resté dans un coin, et personne ne peut le toucher pendant quinze jours, délai pendant lequel j’ai le droit de changer d’avis. Quant à la facture, je l’ai bien entendu gardée; elle est classée avec toutes les autres, par ordre chronologique et par thème.

Si en principe, les produits que l’on peut restituer ne doivent pas avoir été utilisés, certaines exceptions existent, comme le mentionne cet article du Particulier.fr: «Utiliser un appareil est quelquefois nécessaire pour s’apercevoir qu’il ne convient pas. Or, dans ce cas, le produit ne peut être rendu que si l’utilisation ne l’a pas dégradé.» Et le site précise que «Boulanger et la Fnac reprendront un ordinateur portable qu’un client a essayé». Mais dans ce cas, ce n’est pas à un remboursement auquel j’aurai droit, mais un échange... C’est toujours mieux que rien: je renverrai donc le tout par la Poste, à mes frais. Et cette imprimante-là, que va-t-elle devenir? Elle sera probablement remise en rayon, renseigne l’article, souvent à un prix plus bas et avec une «pastille» indiquant qu’elle a déjà servi.

Au cas où ma demande n’aboutisse pas (ils sont parfois très tatillons sur l’état du colis), je vais tout de même jeter un coup d’œil sur les prix des imprimantes dans les autres enseignes. Car avec la garantie «meilleurs prix certifiés», si l’on trouve moins cher ailleurs dans les 30 jours suivant l’achat, Boulanger rembourse la différence. Je passe parfois des heures à comparer les prix dans différents magasins.. C’est éprouvant, mais nécessaire; si le service existe, c’est pour qu’il soit utilisé, non?

Cashback

Après avoir répertorié dans un carnet tous les codes promotion reçus dans ma boîte mail avec leur date de validité, me voilà en train de commander un pull sur La Redoute, faute d'avoir obtenu celui sur Vente-privée. Pour cela, je vais utiliser le système du cashback.

En m’inscrivant gratuitement sur un site comme i-Graal ou EbuyClub, je peux bénéficier d’une remise lors de mes achats en ligne. Ces sites ont en effet des partenariats avec des enseignes en ligne, qui les rémunèrent en fonction du trafic que le cashback génère. En tant que cliente, lorsque je commande un produit sur l’un de ces sites partenaires, le site de cashback me crédite quelques euros sur un compte, euros que je peux récupérer quand je le demande.

Mais il faut faire attention: certains sites de cashback sont payants. Dans ce cas, payer chaque mois plusieurs dizaines d’euros pour avoir droit de temps en temps à quelques réductions, ça ne vaut pas toujours le coup. En revanche, comme le conseille cette internaute avisée, «si vous êtes un acheteur averti, […] vous avez tout intérêt à passer par un site de ce type».

Renégocier mon forfait de téléphone

Alors que je m’apprête à commander des pizzas grâce aux bons de réduction qu’on m’a distribués dans la rue, j’aperçois une note sur mon agenda: dans deux semaines tout pile, mon engagement d’un an auprès de mon opérateur mobile touche à sa fin. J’ai bien pris soin de le noter pour pouvoir le renégocier à temps et obtenir le meilleur prix: en effet, lorsqu’on a souscrit un engagement de 12 mois, on ne peut pas le résilier sans frais avant la fin. C’est différent avec un engagement de 24 mois: la loi Chatel de 2008 permet de ne payer que 25% des sommes restant à régler à partir du douzième mois.

Je ressors toutes mes factures téléphoniques, bien rangées dans un classeur. Je les reçois par mail –que j’imprime– et par courrier, ce qui me permet de les avoir en double. Depuis quelques semaines, je parcours les offres proposées par les autres opérateurs. J’ai calculé qu’en résiliant maintenant et en payant le quart des mensualités qui restaient dues, tout en changeant d’opérateur pour un forfait de 10 euros moins cher par mois, je serais gagnante.

Mais avant d’envoyer une demande de résiliation à mon opérateur par lettre recommandée avec accusé de réception, j’appelle le service résiliation pour essayer de négocier. Il est conseillé de le faire, en promettant de changer d’opérateur si leurs offres ne sont pas plus intéressantes. Après dix minutes d’attente avant d’avoir un conseiller, puis 25 minutes à négocier, me voilà avec une offre exceptionnelle chez le même opérateur.

Cette journée épuisante se termine. Demain sera plus reposant: je retourne travailler. En faisant un tour sur Facebook avant d’aller me coucher, je vois qu’une vente privée flash de 24 heures aura lieu demain à partir de 7h. Je programme mon réveil à 6h30.

Merci à Béatrice Parguel, chercheuse au CNRS au sein de l’Université Paris-Dauphine.

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